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Désigné comme médiateur dans la crise burundaise, le président ougandais Museveni a convoqué tous les protagonistes à Kampala où il s’efforce de promouvoir un dialogue entre l’opposition, la société civile et les représentants du président Nkurunziza qui campent sur leurs positions.
Mais le président ougandais est-il réellement le mieux placé pour tenter de trouver une solution à la crise de légitimité qui ébranle le Burundi ?
Celui que les Américains considéraient naguère comme l’un des symboles d’une « renaissance africaine » fondée sur le néo libéralisme se prépare lui-même à une nouvelle échéance électorale.

Ce ne sera pas la première : arrivé au pouvoir par les armes en 1986, Yoweri Museveni, lors des élections de 1996 et 2001, était relativement populaire et les taux de participation dépassaient les 70% ; en 2006, ils chutèrent à 69% puis 59% en 2011. Le cinquième terme, qui sera pratiquement acquis lors des élections de février prochain, risque aussi de confirmer l’usure du régime : selon un sondage d’opinion publié par le quotidien The Guardian, 45% des Ougandais ne croient pas que les élections mèneront à l’alternance politique et qu’elles donneront une chance au principal rival du président, l’ancien Premier Ministre Amama Mbabazi. Mais surtout, les principales préoccupations des Ougandais portent sur le chômage qui frappe 70% des jeunes, sur le fait que 20% de la population vit au dessous du seuil de pauvreté…

Longtemps considéré comme l’un des « nouveaux leaders africains » et bénéficiant d’une aide étrangère importante, le président Yoweri Museveni, se présentant comme l’un des favoris des Américains, a toujours voulu faire figure de « sage » dans la région, damant le pion à son voisin rwandais Paul Kagame dont les performances économiques sont cependant bien plus évidentes.

Dans le cas du Burundi cependant, comment oublier qu’il fut souvent partie prenante dans les crises sui secouèrent le pays : après avoir soutenu, à la fin des années 80, le dictateur Bagaza qui fut accueilli à Kampala après son renversement, l’Ouganda, en 1993, fut mêlé à l’assassinat du président hutu Melchior Ndadaye et offrit l’asile à l’un des militaires putschistes le colonel Bikomagu.
Par la suite, c’est le CNDD et l’actuel président Pieter Nkurunziza que Museveni décida de soutenir, au point de financer la campagne électorale de 2011, ce qui obligea le chef de l’Etat, sitôt élu, à vendre son avion Falcon afin de rembourser la dette contractée à l’égard de l’Ouganda…

Plus encore que dans le cas du Burundi, les relations entre Yoweri Museveni et le Congo sont très équivoques. En effet, après avoir soutenu Laurent Désiré Kabila alors qu’il était en lutte contre le président Mobutu, l’Ouganda, aux côtés de son allié rwandais, fut profondément impliqué dans les deux guerres du Congo (1996-1997 et 1998-2002) et le pillage des ressources de son voisin. Au point d’être condamné par la Cour internationale de Justice à devoir rembourser Kinshasa à la suite de la « guerre des six jours » qui, en 2000 détruisit Kisangani, lors des affrontements entre les armées rwandais et ougandaise qui se disputaient le contrôle des comptoirs de diamants.

Actuellement encore, c’est l’Ouganda qui héberge ce qui reste du mouvement rebelle M23, des Tutsis congolais qui furent défaits en 2012 après avoir occupé de larges zones du Nord Kivu voisines de la frontière. Durant des années, le contrôle de la frontière entre l’Ouganda et le Nord Kivu échappa à l’Etat congolais, ce qui permit le fructueux transit des produits miniers et des denrées agricoles. De tous temps, les Nande, l’un des groupes ethniques les plus industrieux et les plus prospères du Nord Kivu, ont été les meilleurs alliés de l’Ouganda et l’un de leurs chefs politiques, Mbusa Nyamwisi, aujourd’hui opposé à Kinshasa, a établi sa base arrière en Ouganda.

L’ingérence militaire et politique de l’Ouganda au Nord Kivu, qui se traduit par des bénéfices économiques évidents, est souvent justifiée par la nécessité de mettre hors d’état de nuire le mouvement rebelle ougandais ADF Nalu, qui se présente comme islamiste et lié aux shebabs somaliens. Mais en réalité, les combattants des ADF Nalu se montrent plus cruels, plus acharnés du côté congolais de la frontière qu’en Ouganda leur pays d’ origine. C’est aux environs de Beni qu’ils multiplient les décapitations et entretiennent une instabilité chronique qui empêche la reconstruction de l’Etat congolais.

Médiateur dans la crise burundaise, le président Museveni peut se targuer d’une longue expérience politique et d’une bonne connaissance de tous les acteurs en présence. Mais le rusé pompier pyromane jouit-il pour autant de la confiance générale ?

Le carnet
de Colette Braeckman