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En 2010, des candidats ont sillonné Villes et collines pour se faire élire comme représentants du peuple. Ils ont fait des promesses à la population. Cinq ans après, qu’est-ce qui a changé ? Iwacu entame une série de descentes dans le Burundi profond pour recueillir les sentiments et les attentes de la population en 2015. Cette semaine, Iwacu s’est rendu à Kirundo.
Kirundo est aujourd’hui relativement calme après les tensions observées entre les jeunes affiliés aux partis politiques au début et milieu de 2014.

A l’entrée de la ville de Kirundo, seul le drapeau du parti Sahwanya Frodebu Nyakuri du Dr Jean Minani accueille le visiteur. Mais en plein centre ville, des drapeaux et emblèmes des partis CNDD-FDD, Sahwanya Frodebu, Parena et Uprona flottent.

Selon Gérard Ngabonziza, conseiller principal du gouverneur de Kirundo, 18 partis politiques sont inscrits au niveau provincial. Toutefois, d’après lui, jusqu’au mois d’octobre dernier, six partis étaient considérés comme actifs : le CNDD-FDD, Sahwanya Frodebu, Sahwanya Frodebu Nyakuri, MSD, Parena et Uprona. L’administration, déclare M. Ngabonziza, est pour le moment « fière de la collaboration sur le terrain entre les militants des différents partis. » En effet, une tension, voire des assassinats entre les militants des différents partis politiques ont marqué cette période.

Mais les habitants de Kirundo affirment que les violences ont diminué sensiblement.

Côté développement, à première vue, Kirundo attire par ses constructions modernes érigées par des particuliers sur les montagnes surplombant la ville. Les routes qui mènent dans les quartiers sont propres. Elles viennent d’être pavées grâce à l’appui de la Coopération Technique Belge (CTB).

A quelques quatre kilomètres, sur le lac Rwihinda, l’œuvre de ces quatre dernières années : l’Université de Kirundo, la fierté de la province. Un bâtiment en étage avec un seul niveau.

La construction a débuté au lendemain des élections de 2010. L’université a été bâtie, soulignent les habitants de Kirundo, pendant les travaux communautaires et grâce aux cotisations de la population. Quatre salles de cours et un bloc administratif seront bientôt prêts pour accueillir les premiers étudiants.
Repères
• En 2010 quelques 278534 citoyens sont inscrits au rôle d’électeurs
• 264.997 ont voté.
• Après le retrait de certains partis politiques à la course électorale, il ne restera que trois partis sur 12 : CNDD-FDD, Sahwanya Frodebu Nyakuri et Uprona.
• Le parti CNDD-FDD se taillera la part du lion à l’Assemblée nationale : cinq sièges sur sept. L’Uprona et le Sahwanya Frodebu obtiennent un siège chacun.
• Le CNDD-FDD occupe presque tous les sièges des conseillers communaux, soit 73 conseillers sur 105 dans toute Kirundo.
• Le parti présidentiel est suivi du parti FNL, soit 17 conseillers ainsi que l’Uprona avec 9 conseillers.

Au fin fond de Kirundo, les champs sont verdoyants et le conseiller principal rassure : « Kirundo va désormais reprendre son ancienne appellation de grenier du Burundi. » Surtout, rappelle-t-il, avec l’exploitation de ses lacs : Cohoha, Kanzigiri, Rweru et Rwihinda.

Il est convaincu que le prix du kilogramme de haricot dit « kirundo », fixé aujourd’hui à 700Fbu, peut chuter jusqu’à 500Fbu, à la prochaine récolte.

Au moment où l’on s’achemine vers les élections générales de 2015, Gérard Ngabonziza fait un clin d’œil à la population : «Pas de politique, le ventre affamé.»

Promesses envers la population

En 2010, Dr Jean Minani, Pasteur Ryahama et Jean Marie Pasteur Uwimana, respectivement députés des partis Sahwanya Frodebu Nyakuri Iragi rya Ndadaye, Uprona et CNDD-FDD à Kirundo garantissent la sécurité, la lutte contre la famine, la construction des infrastructures sociales, l’amélioration de la qualité de l’enseignement et des soins de santé, la plaidoirie médiatique et des visites régulières.


Réalisations : les opposants dressent un bilan négatif

Dr Jean Minani se veut sincère : « Je n’ai tenu aucune promesse.» En 2012, se souvient-il, il investit entre 50 et 100 millions dans la pisciculture. Les poissons se reproduisent. Au moment de les distribuer et de les vendre, il fait savoir que l’administration l’ a accusé de pulvériser des produits nocifs à la santé: « Le projet a été vite interrompu. »

La construction d’un barrage électrique à Kabuyenge a échoué également alors qu’une somme d’un milliard de francs avait été collectée. D’après M. Minani, il a manqué 3 milliards et demi pour y arriver. Il accuse l’administration communale et provinciale dominée par le parti CNDD-FDD de n’avoir pas soutenu le projet.

Pourtant, interrogé, le conseiller principal de Kirundo riposte que nul ne peut s’inscrire en faux contre le développement de la province : « Les élus doivent respecter certains principes. »

Pasteur Ryahama avoue à son tour qu’il a régulièrement rencontré la population surtout que dans les communes de Bugabira et Busoni, il persistait des problèmes fonciers. « Des déplacés majoritairement upronistes étaient persécutés, il fallait plaider pour eux à travers les médias », souligne M. Ryahama.

Néanmoins, ce député de l’Uprona déclare que certains administratifs n’ont pas supporté ses sorties médiatiques.

Le parti au pouvoir chante la réussite

Jean Marie Pasteur Uwimana se réjouit de « la sécurité qui règne dans sa province sauf quelques cas rares de concubinage qui risquent de perturber l’ordre public. »

Des infrastructures sociales, poursuit-il, ont été mises en place : « L’exemple le plus éloquent, c’est l’université érigée sur la colline Karehe de la commune Kirundo. » Le député parle également de l’installation de l’électricité à l’hôpital de Mukenke, la construction de la route Kirundo-Busoni-Bwambarangwe-Kobero tant souhaitée par la population et l’adduction d’eau potable dans les communes de Kirundo et Vumbi.


La population regrette l’absence de ses élus

Pour Sabin Nindera, 20 ans, originaire de la colline Shinge, les représentants ont érigé domicile à Bujumbura. Quand bien même ils montent, ils restent sur leurs collines d’origine : « Ils ne viennent pas nous visiter, ils oublient l’essentiel. Leur pouvoir vient du peuple.»
M. Nindera ne s’étonne pas que des députés ne rendent pas service à la population : « Ils ne nous connaissent pas. »
Et Régina Niyibizi de la colline Rugero de lâcher : «Comment savoir qu’ils ont été empêchés de travailler s’il n’y a aucun contact entre nous ? »
Par rapport à 2010, constate-t-elle, sa misère a triplé. Elle se souvient des promesses faites en 2010 comme si c’était hier mais regrette qu’elle vive toujours dans une hutte, ne possède pas sa carte d’assurance-maladie et fait soigner ses six enfants à 100% : « Jai dû vendre mon lopin de terre pour faire sortir de l’hôpital mes deux enfants malades. »

La population reconnaît quelques réalisations

En passant dans toutes les communes de la province Kirundo, des habitants affirment que des infrastructures sociales ont été construites, notamment l’extension des écoles fondamentales.

Adrien Kabura, 42 ans, originaire de la colline Kagege rend hommage au président de la République. Il fait savoir qu’une ambulance octroyée par le numéro un Burundais sert à transporter les malades. Il reconnaît la gratuité des soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans et chez les femmes qui accouchent : « C’est un geste inoubliable. » Il n’y a pas longtemps, M. Kabura a perdu sa première femme pendant l’accouchement parce que l’intervention a traîné.

La commune Gitobe défend à son tour ses représentants. Pendant les vacances parlementaires, précisent Paul Murasandonyi, 38 ans, ils viennent leur rendre visite. Il raconte que la population apprécie le centre de santé de Tonga : « On faisait des dizaines de kilomètres à Busoni pour être soigné. »

Certains députés font la différence. Dr Jean Minani reste gravé dans les esprits de Busoni, sa commune natale pour y avoir construit une école primaire, il y a huit ans : « A chaque année scolaire, il y ajoute au moins une salle de classe malgré la résistance administrative. » Cette année, il a fait l’extension de l’école fondamentale.
Jean Baptiste Nzigamasabo alias Gihahe, se distingue comme un grand mobilisateur. Quant à Pasteur Ryahama, il est toujours présent à Bugabira, sa commune natale.

Des habitants de Kirundo relativisent le rôle des élus : « Nous nous investissons plus que les parlementaires » Ils déclarent que ce sont eux-mêmes qui ratissent les terrains, rassemblent le sable et le moellon, fabriquent les briques, construisent et érigent la charpente. Les infrastructures, concluent-ils, c’est le fruit de notre labeur.


Les attentes de la population pour 2015

La population de Kirundo est unanime : « Aux futurs députés, nous leur demandons de mettre en application les promesses faites par leurs prédécesseurs car ils n’étaient pas si mauvais que ça. » Selon Kirundo, une promesse non tenue est perçue comme une trahison.

A Ntega, des habitants espèrent la construction d’un hôpital. Le seul du coin, confie Sylvestre Ndururutse, date de très longtemps : « C’est la propriété des Italiens. » S’il faut se faire soigner, témoigne Tharcisse Ndururutse, il faut se rendre à Rushubije, à cinq kilomètre du chef-lieu Ntega.

Même la route RP64 Rurata-Ntega, précisent des habitants, est en train d’être réhabilitée par le Paiosa, un programme de la Coopération Technique Belge.

Les habitants de Vumbi estiment eux que leur localité a été « classée dans les oubliettes. » La réhabilitation du pont de Rwisare s’impose. Il y a plus de trois ans, la route menant au chef-lieu de la commune Vumbi est impraticable.