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Jeune Afrique.

Il a « simplement » fallu que le virus tue 11 000 Africains et une dizaine de personnes dans des pays dits développés, que des compagnies aériennes soient menacées, que des partis politiques extrémistes s’en saisissent pour critiquer les pouvoirs en place pour leur « laxisme » envers l’immigration perçue comme un envahissement inacceptable.
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Oui, il a fallu « simplement » cela pour que l’on découvre le vaccin VSV-ZEBOV en moins de deux ans. Il est important de rappeler que le virus Ébola a été découvert au Congo (RDC) en 1976, c’est-à-dire depuis près de 40 ans. Tant que ce virus se limitait à décimer des pygmées de la forêt congolaise, il ne constituait pas un danger pour les « propriétaires du monde » qui se font appeler communauté internationale alors qu’ils ne sont que cinq (5), dont aucun africain.

Notre joie ne saurait durer pour peu que l’on se souvienne que le paludisme poursuit son ravage en tuant des millions de personnes, en majorité des enfants, dix fois plus qu’Ebola, dans les pays dits pauvres ; que le VIH/SIDA décime des millions de personnes à travers le monde particulièrement en Afrique.

Pour ces deux maladies, il est très « compliqué » de trouver un vaccin, par contre, facile de découvrir des médicaments de toutes sortes (Chloroquine, Nivaquine, Amodiaquine, Flavoquine, Méfloquine, Lariam, Halofantrine, Halfan, Artémisinine). Contre le VIH-SIDA il a même été créé la trithérapie c’est-à-dire, l’association de trois médicaments pour un seul et même traitement. Cette série de médicaments antipaludéens en « quine » ressemble curieusement aux séries iPhone 2, 3, 4, 5, 6, et Galaxy S3, S4, S5, S6, sous-tendues par la théorie de la performance à l’infini, donc du service à l’infini, donc de l’achat à l’infini, donc du profit à l’infini.

Médicaments à vie

Pas besoin d’aller à Harvard, Polytechnique ou l’Université d’Ibadan pour comprendre cette nouvelle version de la suite de Fibonacci. Une formule sordide ressemblant à une tombe bien fleurie me révolte : « On ne meurt plus du Sida ». Oui, on ne meurt plus du Sida à condition que l’on se soigne pour la vie ; qu’on achète des médicaments à vie.

Comme si cette réalité incongrue ne suffisait pas, les médicaments inventés pour traiter ces grandes maladies sont présentés sous deux formes (spécialité et générique) qu’il faut bien expliquer au commun des mortels. Un même médicament, selon qu’il soit dans une boîte avec son simple nom scientifique (générique) ou dans une boîte bien colorée avec le nom d’une firme (spécialité), verra son prix changer du simple au décuple.

La plus grave conséquence sanitaire de cette autre anomalie volontaire planétaire est la prolifération de faux médicaments dans de fausses pharmacies gérées par des charlatans ; ou de vrais pharmaciens qui approvisionnent leurs vraies pharmacies avec ces faux médicaments pour remplir leurs caisses.

Des arguments séduisants hypnotisent notre jugement et nous condamnent à avaler la pilule, tel que : « Il faut bien financer la recherche. » Bien sûr qu’il faut, non seulement financer la recherche mais aussi payer et magnifier les chercheurs, les savants qui sont les piliers de notre monde. La vraie question est : Quelle recherche faudrait-il financer ? Avec 10% des sommes faramineuses injectées dans la conception, la fabrication, la vente et l’achat des armes, le monde pourrait se débarrasser de toutes ces maladies faussement décrites comme invincibles.

Peut-être que je me lamente à tort. En regardant le monde avec les yeux de ceux qui ne partagent pas ma vision, on pourrait découvrir, non des vaccins ou des médicaments, mais une théorie simple : « À quoi bon soigner des gens contre lesquels on élabore des armes sophistiquées et ultramodernes de destruction massive ? »

Maladies invincibles

En tant qu’Africain et Guinéen, après avoir participé à la lutte contre Ebola dans mon pays, mon immense joie d’apprendre qu’un vaccin anti-Ebola a été découvert, ne m’empêche pas de faire un récapitulatif de la situation de notre continent : d’autres terribles maladies « invincibles » continuent à tuer des millions de personnes ; des régimes politiques créés par et pour quelques individus ; des matières premières dont les prix sont fixés par des spéculateurs qui ne peuvent même pas montrer sur une carte leurs pays de provenance ; des matières premières dont les populations, réels propriétaires, ne connaissent l’existence que par des discours à la nation prononcés et re-prononcés pendant des dizaines d’années par des tueurs à gage de la liberté et de l’alternance politique pacifique, drapés dans des costumes portant la marque Démocratie ; de l’argent tiré de la poche des pauvres des pays riches pour remplir les poches des riches des pays pauvres ; l’internet et l’antenne parabolique qui déchirent la burka des peuples et libèrent leurs yeux, leurs corps et leurs esprits ; voilà les ingrédients qui ont servi à préparer la soupe pimentée et mortelle que nous servent tous les jours les fous furieux qui massacrent des innocents au nom d’une religion dont ils ignorent le b.a.-ba.

Au nom de l’éthique, de la morale et du respect de la vie humaine, je lance un appel aux savants et aux chercheurs : « Comme pour le virus Ebola, émancipez-vous des pouvoirs politiques, de la boulimie pantagruélique des firmes pharmaceutiques et découvrez des vaccins contre le paludisme et le VIH-SIDA ! » Faites-le car j’ai peur que des esprits courts qui lisent ma réflexion ne se mettent à prier pour que la solution vienne d’autres pandémies – et cela, en tant que médecin, je ne le souhaite guère. Mon souhait le plus ardent est de voir un monde sans maladies dites invincibles ; et aussi de voir les experts et les décideurs des pays africains, ne plus tergiverser quand il s’agira, pendant les exercices de budgétisation, de définir les montants à affecter à la santé, à l’éducation et à la sécurité. Je précise la sécurité des populations, pas celle des présidents seulement.

Peut-être que la jeunesse africaine m’entendra.

Par Morissanda Kouyaté
Morissanda Kouyaté est médecin et directeur exécutif du Comité inter-africain sur les pratiques traditionnelles.