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@rib News, 09/04/2014

Interview – Jacques Bigirimana : « Il n’y aura plus de génocide au Burundi »

De passage à Bruxelles, Jacques Bigirimana, président du parti Forces Nationales de Libération (FNL) et chef de l’opposition politique légale au Burundi s’est entretenu avec ARIB.INFO. Selon lui, il n’y a pas et il n’y aura plus de génocide au Burundi. Il appelle également le président Nkurunziza à tranquilliser le peuple burundais à travers un message à la Nation à propos d’un probable génocide en préparation selon l’opposition radicale. Bigirimana répond également à d’autres questions liées à l’ADC-Ikibiri, au changement de la Constitution, à l’accord d’Arusha et à la situation politique actuelle au Burundi. – Découvrez ci-dessous la longue interview en intégralité.

Vous êtes président des Forces Nationales de Libération (FNL). Et l’on sait que le parti s’est divisé en plusieurs ailes. Vous, c’est quel FNL ?

Au parti FNL, il n’y a pas d’ailes. Il n’y a qu’un seul parti FNL que je dirige, parti officiellement reconnu et deuxième formation politique du pays. Ce qui a fait que je sois le chef de l’opposition politique au Burundi.

Mais il y a quand même Agathon Rwasa qui reste populaire au sein du FNL. Quelles sont vos relations actuelles avec lui?

Rwasa n’est plus aussi populaire que certains le prétendent. La réalité est tout autre. Néanmoins, il reste un ami de longue date, un compagnon de lutte, malgré qu’il ait été exclu de notre parti, FNL.

On a vu une tentative louable du parti Uprona de Nditije de se réconcilier afin d’unir leur force pour les élections en vue. Y-a-t- une démarche similaire au sein du FNL ?

Pour cette question, je m’adresse à tout le monde. A la communauté nationale et internationale, et surtout aux Banamarimwe. Les portes au sein de notre parti restent ouvertes à tout le monde, y compris ce dernier (Agathon Rwasa, NdlR).

Mais à condition que vous restez président… ?

Il n’y a pas de conditions. Le règlement d’ordre intérieur et les statuts sont clairs là-dessus. Il [Rwasa] sait lire, il connait ces textes. C’est lui-même qui a mis sa signature sur ces textes. Le contenu n’est pas nouveau pour lui. Alors, je dis que les portes sont ouvertes tout en vous signalant que toute personne voulant entrer ou réintégrer le parti devra impérativement suivre les textes qui nous régissent.

A part Rwasa, quelles sont vos relations avec les autres partis politiques au Burundi ?

Moi, je suis de l’opposition politique reconnue par la loi au Burundi. Je représente plusieurs partis politiques. Toujours les portes restent ouvertes à tout le monde qui voudrait intégrer nos rangs, y compris ceux qui se disent de l’opposition radicale. Nous, nous sommes de l’opposition responsable en bonne et due forme, nous plaidons pour l’intérêt supérieur de la Nation et la manière dont nous exerçons nos activités est une manière quasiment propre à nous, c’est-à-dire nous menons une opposition responsable constructive.

Et les autres, notamment l’Alliance des Démocrates pour le Changement (ADC-Ikibiri), mènent quelle opposition selon vous ?

Ils mènent une opposition violente. Comment ? Si tu es un homme politique, il faut que tu mènes une entreprise qui aboutit. Mais pour l’ADC-Ikibiri, à cause de leur arrogance, leur orgueil, ils ont chaque fois parlé mais sans effet. Pourquoi ? A cause de leur mauvaise façon de procéder. Nous, nous avons vu que le pouvoir élu par le peuple montre clairement qu’il ne veut pas une opposition qui l’intimide. Au lieu de changer, ce pouvoir endurcit la situation si tu veux utiliser la pression, la force. Donc, nous avons opté pour la voie du dialogue avec le pouvoir pour faire cesser les abus. En disant au pouvoir, s’il vous plaît, nous venons comme des partenaires. Et nous reconnaissons que beaucoup de choses ont changé. On y va doucement mais sûrement. Je pense que l’ADC devrait changer de stratégie. Qu’elle cherche plutôt à privilégier le dialogue et à demander sans exiger. Nous, on nous écoute parce que nous ne les insultons pas. On y va poliment. Et donc, on a besoin que l’ADC nous rejoigne ou nous soumette leurs doléances et je m’imagine qu’ils se sont déjà rendu compte que la voie de l’orgueil et de l’arrogance n’aboutit pas.

Avez-vous des exemples des activités que vous avez déjà menées en tant qu’opposition politique au Burundi ?

Depuis que nous avons eu l’honneur d’occuper ces lourdes responsabilités de représenter l’opposition, la première chose a été de faire libérer les prisonniers politiques, en commençant bien sûr par les FNL qui étaient incarcérées pour avoir uniquement appartenu au parti FNL. Plus de 400 membres FNL ont été libérés. Nous sommes en train de plaider pour les autres détenus politiques reconnus pour qu’ils soient libérés et sans condition.

Nous avons également fait plusieurs conférences publiques à l’endroit de la communauté nationale et internationale pour décrier et faire pression sur le gouvernement afin de pouvoir considérer les doléances en rapport avec les malversations économiques, la corruption, les exactions extra-judiciaires. Nous en avons produit des documents qui ont été transmis à la communauté internationale et qui ont été rendus publics par les médias. Et ça a été un travail dur. Mais on y est arrivé.

Nous avons aussi travaillé en rapport avec les tracasseries qui s’entendent à la Commission Nationale des Terres et autres Biens (CNTB). Là, nous avons mené des contacts avec les responsables de cette dernière. Nous avons exigé à ce qu’il y ait une gestion sérieuse, une gestion sage de cette affaire. Et on reste à l’œuvre. C’est dur mais nous nous y employons efficacement. Nous pensons que notre objectif pourra aboutir.

Comme vous l’avez fait pour vos membres, allez-vous aussi plaider pour les membres du Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD) aujourd’hui emprisonnés et dont certains condamnés à la perpétuité ?

Oui, il est temps qu’on fasse de la tolérance politique. Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui ont suivi le président du parti MSD. Mais quand les choses se sont compliquées, ils ne s’imaginaient pas que leur chef allait s’enfuir et les laisser sur place, alors qu’il se dit prêt à mourir avec ses militants pour « la révolution ». Cela prouve qu’ils ne voyaient pas les choses de la même façon. Il y avait ceux qui étaient là sans savoir que ça allait se passer comme ça s’est passé.

Mais le président de la République, le père de la Nation « twomusaba guca inkoni ngufi nk’umuvyeyi, agatezurira barya bahenzwe n’uwarajejejwe kubayobora, ariko baronswe impanuro ntibaze basubire kurwa mu rudubi ». Même Buyoya l’a fait. Même au Rwanda où il y a eu un génocide, ils sont en train d’alléger des sanctions. Ces jeunes emprisonnés, au lieu de les punir trop sévèrement, il faut plutôt les conseiller, les encadrer, les guider. Au nom de l’opposition extraparlementaire, je demande qu’on poursuive plutôt celui qui les a mobilisés et qu’on libère ces jeunes. Ils ont été manipulés. Je demande ainsi avec insistance que le pouvoir pardonne à ces jeunes et les libère.

Plusieurs signaux d’instabilité politique sont visibles. D’où des manifestations ici et là dans le monde. En tant chef de l’opposition extraparlementaire reconnue, vous ne craignez pas un regain de violence dans les prochains jours ?

Avant de vous répondre à cette question, je voudrais d’abord faire un clin d’œil à la communauté internationale surtout l’Europe. Ils écoutent seulement une partie. Et en continuant à écouter un seul côté, cela signifie qu’ils le soutiennent. Il faut qu’ils écoutent toutes les deux parties. Si un crime est commis par un seul Hutu, ce n’est pas tous les Hutus. Si c’est un seul Tutsi, ce n’est pas tous les Tutsis, un seul membre du CNDD-FDD, ce n’est pas tout le CNDD-FDD. Chacun est responsable de ces actes. Mais que les Européens ne continuent pas d’écouter seulement l’opposition radicale. J’appelle la communauté internationale à nous écouter tous. Moi, j’apprécie qu’ils m’écoutent parce qu’il n’y a aucun ambassadeur qui ne m’écoute pas. Mais je demande qu’ils écoutent aussi d’autres. Que ceux qui annoncent le génocide en préparation soient bien écoutés et fournissent les preuves. Mais par après, il faudra aussi aller écouter ceux qui sont pointés du doigt. Si ce n’est pas comme cela, les relations avec certains pays vont se détériorer.

Je tiens à vous informer que c’est dommage que des Burundais qui ne sont pas des novices en politique puissent arriver à souhaiter pour leur chère patrie un génocide. C’est vraiment dommage ! Alors, moi en tant que chef de l’opposition politique au Burundi, moi Jacques Bigirimana, président du parti politique FNL, je jure, au nom de la vérité, qu’il n’y aura plus de génocide au Burundi. Ça, je vous le dis. Au moment opportun, vous allez me retourner le micro pour me dire, voilà Jacques, ce que tu as dit, ça été finalement vrai. Plus jamais de génocide !

Plus jamais ? J’espère que vous réalisez ce que vous dites. D’où tirez-vous cette assurance ?

Je vous dis ce que je peux répéter. Jamais au plus grand jamais, il n’y aura plus de génocide au Burundi. Qui pourra oser organiser ce génocide ? Ce génocide est aujourd’hui décrié par le parti Uprona (Union pour le Progrès National) et par le Frodebu (Front pour la Défense de la Démocratie). Or ce sont les deux partis présumés responsables des génocides qui ont jusqu’ici endeuillé le Burundi. Donc si ces deux partis ne sont pas dedans dans cette préparation de génocide, il n’y a aucun autre parti qui pourra l’organiser. Ce sont ces deux partis qui en ont l’expérience. L’Uprona est accusée du génocide des Hutus en 1972 et le Frodebu est accusé du génocide des Tutsis en 1993 à la suite de la mort de Ndadaye. Ces deux partis se sont alors entendus sur comment gérer ces responsabilités et ont abouti aux accords d’Arusha. Je vous rassure personne d’autre ne pourra oser préparer un génocide si l’Uprona et le Frodebu ne sont pas impliqués.

Le pouvoir actuel ne peut pas préparer un génocide. Comment le pourrait-il ? Nous avons environ 25 000 jeunes qui savent manier le fusil. Ces derniers ne sont pas pour le génocide. Nos jeunes sont des ex-combattants. Avec les JRR (Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore, affiliée au parti Uprona), Intakangwa du Frodebu et les MSD, qui oserait dire ce que nous ne sommes pas d’accord ? C’est plutôt à lui que se retournerait ce qu’il nous veut.

Mais vous dites aussi que la situation politique à Bujumbura est pourrie?

Il est tendu mais la responsabilité incombe aux deux parties : l’opposition et le pouvoir.

Selon vous, quels sont les vrais problèmes entre pouvoir et opposition au Burundi ?

C’est parce qu’il y a ceux qui ne veulent pas les élections et ceux qui les veulent vraiment. Le changement de la Constitution n’est pas vraiment le problème. Elle pouvait bien être modifiée. Il y a des politiciens qui sont venus me voir avec des convictions autres que celles qu’ils disent aujourd’hui. Les points de discorde ne sont pas à chercher ailleurs. C’est parce que si les élections ont lieu, ces politiciens voient que CNDD-FDD est en train de dilapider le trésor public et de les menacer, et alors ils se disent que s’il gagne les élections de 2015, ce sera fini pour eux. C’est ça le point de discorde, rien que ça.

Autre point de discorde, c’est la CNTB. L’opposition voit que si le CNDD-FDD continue à régner, avec cette CNTB qui réquisitionne les terres aveuglement sans considérer les acquéreurs de bonne foi, ça sera fini pour eux.

C’est pour cela que moi je dis quand même qu’il faut que le Gouvernement accepte de dialoguer, de s’asseoir ensemble avec ces gens pour rassurer les uns les autres. Pour qu’il n’y ait plus des gens qui pensent qu’ils seront morts une fois que le CNDD-FDD continue son règne en 2015. Et je demande aussi que le président de la République s’adresse à la Nation pour rassurer à la population à propos de ce génocide. Moi, je sais qu’il n’y a pas de génocide en préparation. Mais si le président ne dit rien, ce n’est pas bon. C’est le père de la Nation. Et qu’il le prouve bien qu’il n’y aura pas de génocide. Qu’il n’envoie pas ses porte-paroles, mais qu’il vienne lui-même s’adresser à la Nation. Ça, il faut qu’il le fasse le plus vite possible. Et qu’il recommande un dialogue entre tous les partenaires politiques. Qu’il les rassure. Et les Burundais aujourd’hui nous ne sommes pas vraiment ennemis pour nous entrer dedans. Nous sommes venus de loin. Le CNDD-FDD, autant que l’opposition actuelle, avons vécu les mêmes problèmes. Nous sommes tous des Burundais. Nous pouvons résoudre nos problèmes nous-mêmes sans impliquer la communauté internationale.

Admettons que le 3è mandat voulu par Nkurunziza est un autre point de discorde. Pour votre opposition, s’agira-t-il d’un 3è mandat ou dites-vous la même chose que le pouvoir, c’est-à-dire le premier mandat n’entre pas en ligne de compte pour les élections de 2015 ?

Le parti FNL que je représente n’a peur de qui que ce soit. Que ce soit Nyabenda, Minani, Nkurunziza, Radjabu, qui que ce soit, on n’a peur de personne. Nous, nous sommes sur terrain, nous nous engageons politiquement, avec toute notre énergie. Nous ne pouvons rien dire sur ce 3è mandat. Si la Constitution le lui permet, la Cour constitutionnelle nous le dira. C’est cette Cour qui est la mieux placée pour analyser cette question. Dernièrement, la loi sur la presse a été partiellement invalidée par cette Cour. La Cour constitutionnelle a dit non, il y a des imperfections. Retournez cette loi. Ils sont toujours intervenus en temps utile. Même aujourd’hui, la Cour constitutionnelle pourra se prononcer.

Il y a l’Assemblée nationale qui nous a démontré ses compétences. On pensait que l’Assemblée nationale ne pouvait pas arriver à honorer son nom. Alors, vous avez vu ce qu’elle a fait. Même aujourd’hui comptez sur les organes habilités. La Cour constitutionnelle est là pour trancher. Vous aurez peut-être douté sur la Commission Nationale Electorale Indépendante (CENI) parce que imposée par le président de la République. Mais la Cour constitutionnelle, non. Attendons alors ce que la Cour constitutionnelle va dire. Que vraiment les gens ne traînent pas les pattes dans la boue, entrain de laisser le terrain au seul CNDD-FDD. Il faut qu’ils commencent à occuper le terrain, allons dans le pays et travaillons. Pourquoi pas de coalitions ? Faisons des coalitions ! C’est maintenant le moment ! Envisageons des scénarios. Occupons le terrain même si on ne gagne pas. Moi c’est mon objectif.

Et votre position par rapport aux accords d’Arusha ? Parce qu’il a semblé que le changement voulu de la Constitution n’allait pas dans le sens des accords d’Arusha.

L’accord d’Arusha fait partie des textes qui nous régissent. La Constitution de la République en est issue. C’est clair que l’on doit respecter, considérer l’Accord d’Arusha. Ça c’est clair. Mais même l’Accord d’Arusha dans ses clauses, c’est bien mentionner comment cet Accord-là peut changer. Avec les 9/10. Pour vous dire que ce n’est pas la Bible. Et puis, la Constitution, a-t-elle une valeur ou pas ? C’est la Loi fondamentale ou pas ? Si c’est la Loi fondamentale, elle exprime en clair comment pourrait-t-elle changer. Si on change la Constitution, les Accords d’Arusha ne sont pas nécessairement mis en danger. Pas du tout. Et ce n’est pas le CNDD-FDD ou le FNL qui avait proposé ces clauses dans la Constitution et dans les Accords d’Arusha. C’est Buyoya et le Frodebu. Alors, nous acceptions ce que Buyoya et le Frodebu nous ont légués. Ce sont les Accords et la Constitution. S’ils ont accepté que ces textes se contredisent, nous nous les appliquons tel que. Si on change la Constitution, on voit bien que l’Accord est aussi touché. Mais ce n’est pas nous. On n’était pas là.

Donc, les Accords d’Arusha, nous les respectons et nous voulons qu’ils continuent. Le partage du pouvoir basé sur les ethnies ne pourra jamais faire marche arrière. Et d’ailleurs, au lieu que les 40% alloués aux Tutsi diminuent, nous nous disons que ça devrait plutôt monter jusqu’ à 50% comme à l’Armée et au Sénat. Parce que ce sont des enfants du pays comme les autres. Que personne n’en fait pas prétexte. Je te rassure, considérant à quel point notre pays a sombré dans les divisions ethniques, l’Accord d’Arusha ne pourra pas changer. Les autres choses peuvent changer mais pas cet Accord. Il sera notre héritage à nos enfants pour leur montrer qu’un jour le Hutu et le Tutsi se sont mis d’accord comme le Wallon et le Flamand sont aussi un jour arrivé à un compromis.

Propos recueillis par Jérôme Bigirimana