Partage

Dans cinq mois seulement, soit le 26-05-2015, le peuple burundais se présentera aux urnes pour le vote des Députés et des Conseils Communaux, si du moins on se réfère au calendrier des élections publié par la CENI.

La démocratie n’étant pas d’origine africaine, car est un concept qui nous est venu d’ ailleurs ; nous revenons, dans cet article, sur l’analyse approfondie de ce concept dont la définition est unanimement reconnu au niveau universel mais qui est vécu différemment quand il s’agit de le mettre en application.

§1. Le concept « démocratie »

La démocratie est le Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple . L’étymologie éclaire bien le sens de ce concept : démos qui signifie peuple et cratos qui signifie puissance, force.
De cette définition, il en découle qu’un Etat est démocratique lorsque le peuple dispose de la souveraineté, que les gouvernés sont leurs propres gouvernants.

§2. Les principes de la démocratie

La démocratie s’étend sur différents principes : le suffrage universel, l’alternance au pouvoir, la séparation des pouvoirs, le respect des droits de l’homme ; sont quelques-uns des principes démocratiques les plus invoqués à l’époque contemporaine .

A. Le suffrage universel

Partant de l’art. 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, il est disposé que : « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par intermédiaire de représentants librement choisis ».
Ainsi, le principe de suffrage universel, dans un Etat démocratique, implique que le citoyen participe, directement ou indirectement, à la désignation des gouvernants.
« Le suffrage exprime l’assentiment donné ou la confiance accordée par le peuple aux représentants. C’est par excellence le premier des droits attachés à la citoyenneté » .
Cependant, le fait d’être électeur ne peut devenir un droit qu’à la condition que le suffrage soit libre . Dans ce cadre de la liberté de suffrage, on distingue le vote facultatif et le vote obligatoire .

Le vote est facultatif lorsque le citoyen est en droit de refuser à participer à la désignation de ses gouvernants. Autrement, le citoyen peut s’abstenir à se présenter au bureau de vote sans risque d’être infligé de certaines sanctions. Le vote peut également être obligatoire. Ainsi, le citoyen est, dans certains cas, privé de la faculté de s’abstenir au vote. Dans ce cas, chaque citoyen doit obligatoirement se présenter au bureau de vote, et déposer son bulletin dans l’urne. En cas de refus, des sanctions prévues par la loi lui sont appliquées.

Toutefois que le vote soit obligatoire ou pas, les abstentions ne manquent pas. En effet, si elles ne se manifestent pas par le refus d’aller voter, elles peuvent se manifester par les bulletins nuls. Les abstentions se justifient par le manque de confiance à l’égard des candidats en lice. Priver le vote facultatif au citoyen n’est pas une solution. C’est plutôt masquer la réalité du désaveu de la classe politique .

A la liberté du suffrage universel, il faut ajouter ses caractères sincère, égal et secret. La sincérité du suffrage universel se traduit par l’absence d’une contrainte extérieure, qu’elle soit morale ou physique. C’est-à-dire l’absence de toute pression venant d’un tiers. S’agissant du caractère égal du vote, ceci suppose qu’aucune personne ne peut être écartée à ce droit, sauf en cas des restrictions limitativement prévues par la loi. Parmi ces restrictions, on peut citer par exemple celles qui sont liées à l’âge, la nationalité, l’antécédent judiciaire, etc. Quant au caractère secret du vote, il faut entendre le fait que le vote doit se dérouler dans un endroit isolé généralement appelé : isoloir.

Ainsi, on remarque que le suffrage universel est entouré par plusieurs garanties permettant donc l’expression des citoyens à titre personnel et individuel. Cependant, le vote n’implique l’existence de la démocratie que dans la mesure où il est organisé périodiquement et surtout lorsqu’ il garantit l’alternance du pouvoir.

B. L’alternance au pouvoir

Peut-on parler de la démocratie dans un Etat monopartiste? Absolument pas. La démocratie est fondée sur le multipartisme. En effet, étant donné qu’il s’agit du Gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, que le citoyen doit participer à la désignation des gouvernants, cela n’est possible que par l’existence des partis politiques en compétition. Ces derniers s’alternent tour à tour au pouvoir par le biais des élections. Cela se traduit par le mandat électoral qui varie selon les Etats. Au Burundi, la Constitution de 2005 précise en ses articles 96 et suivants, que le mandat parlementaire ou présidentiel est de 5 ans renouvelables une fois.

C. La séparation des pouvoirs

Selon Montesquieu, « la séparation des pouvoirs, c’est la protection et la séparation de ce qu’il appelle la liberté politique. Dans la théorie dite de séparation des pouvoirs, la sauvegarde de la liberté apparaît donc comme la fin, l’objectif poursuivi ».

Les pouvoirs qui doivent être séparés sont au nombre de trois : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.
La séparation des pouvoirs n’implique pas l’isolement de chacun de ces pouvoirs. Il s’agit plutôt de la séparation des fonctions étatiques entre les organes de Gouvernement bien distincts. La séparation des pouvoirs est un moyen d’éviter la concentration du pouvoir au sein d’un seul organe.

Les pouvoirs doivent collaborer voire même se compléter dans la prise de décisions. Dans la plupart des Etats, cette séparation vise particulièrement le pouvoir judiciaire. Cette particularité se justifie par le fait que le principe d’indépendance reconnu à la justice est souvent méconnu surtout par le pouvoir exécutif.

Au Burundi, ce principe est prévu par la Constitution de 2005, en son article 209 qui dispose que «Le pouvoir judiciaire est impartial et indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ».
La pratique de ce principe de séparation des pouvoirs ne manque pas des critiques. La souveraineté du peuple à l’époque contemporaine peut favoriser les violations de ce principe. En effet, il arrive des cas où un parti majoritaire au parlement l’est aussi à l’exécutif. De plus, la plupart des Constitutions accordent au Président de la République le pouvoir de nommer les magistrats des cours et tribunaux. Le Président est également, selon toujours ces Constitutions, le magistrat suprême. Cela étant, il devient alors difficile de séparer l’exécutif du législatif et surtout l’exécutif du judiciaire ; ce qui a pour conséquence l’impossibilité du contrôle réciproque entre ces trois pouvoirs.

D. Le respect des droits de l’homme

Pas de démocratie sans respect des droits de l’homme. La déclaration des droits reconnus aux citoyens est à l’époque contemporaine indispensable dans beaucoup des Constitutions. Cette déclaration s’étend non seulement aux citoyens, mais aussi à tout être humain tant capable qu’incapable. On ne peut pas énumérer de façon précise toutes les garanties aux quelles repose le régime juridique des droits de l’homme. Toutefois, nous pouvons citer à titre indicatif certaines de ces garanties, dont le respect n’est pas loin d’être critiqué. Il s’agit notamment de la liberté de la presse, la liberté d’association ou liberté syndicale, la liberté de grève, la présomption d’innocence, etc.

Du point de vue général, les droits de l’homme apparaissent comme un ensemble des droits qui appartiennent à tout individu en tant qu’être humain et qui s’imposent aux autorités publiques dans la mesure où celles-ci sont tenues, non seulement de les respecter, mais aussi d’en assurer la jouissance effective par des mesures adéquates . Les droits de l’homme sont reconnus, non seulement par le droit interne, mais aussi et surtout par le droit international. Ils sont considérés comme une raison d’imposer à autrui et en particulier à l’Etat, l’obligation de les respecter et de les faire respecter. Ils se distinguent non seulement d’autres modes de protection des intérêts de la personne humaine, mais aussi d’autres catégories de droit .

Selon Daniel LOCHAK, on ne serait, même dans une démocratie, se reposer uniquement sur le pouvoir ou sur les juges pour garantir les libertés. Le respect des droits de l’homme dépend aussi de la capacité des citoyens à se mobiliser pour les défendre. Cette capacité se manifeste par l’action collective qui prend appui sur les grandes libertés qui caractérisent la démocratie à savoir les libertés d’association, de réunion, de manifestation et de presse .

Section 3 : Distinction de la démocratie représentative à la démocratie
participative inclusive

Partant de la définition de la démocratie, selon laquelle la démocratie est le Gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, on ne peut pas ne pas affirmer que la plupart des Etats limitent leur démocratie à la représentativité et ignorent souvent la participation inclusive du citoyen à la prise des décisions. C’est dans cette optique que nous avons trouvé utile de distinguer la démocratie représentative de la démocratie participative inclusive.

§1. La démocratie représentative

A. Etendue de la démocratie représentative

La démocratie représentative s’oppose à la démocratie directe, qui suppose un système idéal dans lequel les gouvernés sont eux-mêmes gouvernants par la participation directe de chacun d’eux à la prise de décisions législatives gouvernementales et juridiques .
La démocratie représentative est nécessairement caractérisée par le pluralisme et l’alternance au pouvoir. Les représentants élus ont un mandat électoral limité par le biais de la tenue d’élections aux échéances régulières. Un régime est démocratique quand les gouvernants et les représentants n’héritent pas de leurs forces, mais sont élus au terme d’une procédure élective, et leur programme est soumis à l’approbation des électeurs.
Le pouvoir est à prendre en ce sens qu’une équipe dirigeante n’est jamais définitivement installée, qu’aucun programme (ou politique) ne peut être tenu pour définitif.

Il en résulte trois conséquences :

D’abord, la démocratie représentative, pluraliste et alternative suppose l’existence d’une opposition politique reconnue et respectée par le Gouvernement. Autrement dit, le parti au pouvoir doit se laisser contrôler par les autres partis politiques.
Cette opposition est d’ ailleurs reconnue par la Constitution burundaise de 2005, en son article 173 : « Les partis d’opposition à l’Assemblée Nationale participent de droit à toutes les commissions parlementaires, qu’il s’agisse de commissions spécialisées ou de commissions d’enquête. Un parti politique disposant de membres au Gouvernement ne peut se réclamer de l’opposition ».

Ensuite, des élections libres et transparentes doivent être organisées.
L’organisation régulière des élections laisse entendre l’alternance au pouvoir entre les différents partis politiques reconnus par la loi. Il s’agit d’un côté, d’un refus du monopartisme et d’un autre, la promotion du multipartisme.
Non seulement toutes les tendances et tous les intérêts sont admis à s’exprimer, mais encore l’espoir est offert à tous d’accéder un jour au pouvoir et d’en utiliser les prérogatives pour appliquer leur programme.

Enfin, le multipartisme doit permettre à chaque citoyen d’appartenir librement dans un parti politique de son choix. Aucun citoyen ne peut être contraint à appartenir dans tel ou tel autre parti sans son consentement. Etant donné que le multipartisme implique l’existence de plusieurs partis politiques en lice, et de là, plusieurs programmes, il appartient à chaque citoyen de choisir le parti dont le programme lui est utile. Pour ce, certaines considérations à savoir racial, régionale et religieuse sont à bannir .

Le système représentatif souffre de quelques critiques, qui se manifestent publiquement ou clandestinement dans la plupart des Gouvernements.

B. Critiques à la démocratie représentative

Insuffisance de représentativité : les personnes élues ont tendance à ne pas être représentatives du corps électoral suite au manque de la technicité.

Conflit d’intérêts : les intérêts des représentants élus sont souvent opposés à ceux de leurs électeurs. En effet, les représentants peuvent avoir plus d’intérêts individuels que collectifs.

Tendance à la corruption : la concentration de pouvoir politique entre les
mains d’un seul parti majoritaire tend à favoriser la corruption. Ainsi, les
présumés coupables de la corruption ne sont pas souvent dénoncés par crainte de perdre les succès aux prochaines élections.

L’éventuel remise en cause du principe de séparation des pouvoirs : Vu que la majorité électorale est un élément essentiel de la démocratie représentative, on rencontre souvent des cas où le parti au pouvoir possède la majorité à l’Exécutif et au Parlement. De même, la justice aussi ne sera pas épargnée de cette situation du fait que le pouvoir de nomination des magistrats appartient au Président de la République ressortissant du même parti majoritaire. Dès lors, les trois pouvoirs se trouvent concentrés entre les mains du seul parti au pouvoir quitte à ce que le principe de séparation des pouvoirs est remis en cause .

Le régime représentatif peut admettre une participation directe des citoyens par voie de référendum. C’est le cas de la démocratie participative inclusive.

§2. La démocratie participative inclusive

La démocratie participative désigne l’ensemble de dispositifs et de procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans la prise des décisions . De cette définition, il en résulte que le système représentatif à lui seul ne suffit, s’il n’est pas accompagné par une participation du citoyen à la direction de l’Etat.
Cette participation est un principe reconnu par la Constitution burundaise de 2005 en son article 51. Selon cet article, il est disposé que « Tout burundais a le droit de participer soit directement, soit indirectement par ses représentants à la direction et à la gestion des affaires de l’Etat, sous réserve des conditions légales, notamment d’âge et de capacité ». Par rapport à la démocratie représentative et à la démocratie directe, la démocratie participative se présente comme un système mixte dans lequel le peuple délègue son pouvoir à des représentants qui proposent et votent des lois, mais conserve cependant le pouvoir de se saisir lui-même de certaines questions .

A la différence de la démocratie représentative qui se limite au droit de vote, la démocratie participative a comme fondement la concertation du peuple, sous forme de débats libres et surtout la garantie des libertés d’expression, d’opinions et politiques.

Selon Jean-Claude COIFFET, vice-président du cercle Condorcet de Bordeaux, à Paris, « La voix du citoyen n’est pas seulement nécessaire au moment des élections, mais encore au cours du mandat électoral » . Au Burundi, la notion de démocratie participative n’est pas un simple discours politique. En effet, le Gouvernement a déjà entamé le processus de consultation des citoyens dans le cadre de dialogue, organisé trimestriellement directement entre ledit citoyen et le Président de la République. Bien plus, un autre cadre de dialogue a été organisé à l’endroit des partis politiques qui, des fois, se mettent ensemble pour échanger sur les questions qui concernent le pays.

De même que la démocratie représentative ne suffit pas sans participation du citoyen, de même, la démocratie participative ne suffit pas si elle n’est pas inclusive. La démocratie participative inclusive se différencie de celle participative séparatrice. La démocratie participative inclusive est celle ouverte pour tout le monde, c’est-à-dire sans distinction d’ethnie, de genre, de religion, d’opinions, de région, etc. Dans cette optique, la Constitution burundaise de 2005 est claire : « Au cas où les résultats du vote ne reflètent pas les équilibres ethniques et du genre, il est procédé au redressement par mécanisme de cooptation » .
La démocratie participative inclusive est celle qui associe les vainqueurs et les vaincus, la majorité et la minorité. Dans ce contexte, « Les partis d’opposition à l’Assemblée Nationale participent de droit à toutes les commissions parlementaires, qu’il s’agisse de commissions spécialisées ou de commissions d’enquête » .

Compte tenu de tout ce qui précède, peut-on parler que le Burundi est un Etat démocratique ? Effectivement ! En effet, le mouvement de constitutionnalisme démocratique entamé au Burundi depuis 1962, est toujours en marche avec moins de succès certes, mais ne manquant pas, à chaque époque, de marquer certains points louables. Cela étant, pour une jeune démocratie comme il en est le cas au Burundi, de même que pour les vieilles démocraties par ailleurs, il est important de procéder régulièrement à l’évaluation de la pratique constitutionnelle afin de s’ajuster continuellement en corrigeant les erreurs du passé.

Par Fulgence NIBAMBANZE