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Alors qu’il avait été longtemps classé parmi les dirigeants africains qui symbolisaient la différence, le président Paul Kagame a rejoint la vaste confrérie des chefs d’Etat décidés à demeurer au pouvoir, persuadés qu’ils sont d’être indispensables à la stabilité et au progrès de leur pays.

Certes, le chef de l’Etat rwandais s’est montré soucieux de respecter les formes : lorsque, dans son message de Nouvel An il annoncé son intention de présenter sa candidature pour un troisième mandat, il a pris soin de rappeler à ses compatriotes qu’il ne faisait que répondre à un désir largement exprimé : « vous m’avez demandé de diriger le pays après 2017. Etant donné l’importance et la considération que j’attache à ce désir, je ne peux qu’accepter. » Il a cependant ajouté : « je ne crois cependant pas que nous ayons besoin d’un leader éternel. »
La demande des Rwandais à laquelle fait allusion le chef de l’Etat avait été exprimée à l’occasion d’un referendum portant sur le changement de la Constitution, permettant au président de se représenter en 2017 pour un nouveau terme de sept ans, qui pourrait être suivi par deux autres mandats de cinq ans. Ce changement de la Constitution avait été approuvé par 98,4% des votants. Autrement dit, le président Kagame a la possibilité légale, s’il le souhaite, de rester au pouvoir jusque 2034, ce qui, aux yeux des jeunes générations, nées après le génocide des Tutsis en 1994, pourrait bien ressembler à l’éternité.

C’est à la fin des années 80 en effet que Paul Kagame, avec son ami Fred Rwigyema avait fondé le Front patriotique rwandais et en 1990, après la mort au combat de Rwigyema, il avait pris le leadership militaire et politique du mouvement. Autrement dit, depuis 1990, Paul Kagame, remarquable stratège militaire qui, en 1994 mit fin au génocide et au règne du Hutu power, puis dirigeant politique charismatique et visionnaire préside aux destinées du Rwanda depuis plus de deux décennies déjà et il s’est donné les moyens de doubler la mise.
Alors que, dans les coulisses du pouvoir, il avait été longtemps murmuré que Kagame, artisan de la reconstruction de son pays avait aussi l’ambition d’ être un dirigeant politique exemplaire, capable de former une relève et de passer la main à un candidat civil sinon à une femme, les intentions actuellement affichées le placent aux côtés de son voisin ougandais Museveni qui, en février prochain se représentera alors qu’il est au pouvoir depuis 30 ans, du Zimbabwéen Mugabe ou de l’Angolais dos Santos…

Même si le président rwandais, assuré du suffrage populaire, pourrait encore créer la surprise en passant la main, il est donc pratiquement certain qu’il se maintiendra au pouvoir afin de parachever son œuvre : il souhaite arracher le Rwanda à la pauvreté et, dans un délai de dix ans, le placer dans la catégorie des pays émergents. Même si la majorité des Rwandais, encore traumatisés par le souvenir du génocide, ne souhaitent probablement pas prendre le risque du changement, les risques du pari ne sont pas négligeables. Le Britannique Richard Dowden, directeur de l’Institut Royal africain relevait récemment que « plus longtemps un chef d’Etat demeure au pouvoir moins il est efficace…Enfreindre l’Etat de droit et modifier la Constitution signifie en définitive affaiblir l’Etat. »

Faut il dire aussi que la décision de Kagame renforce la position de son voisin burundais Pierre Nkurunziza, dont le troisième mandat plonge son pays dans la violence et risque d’encourager le Congolais Joseph Kabila à se maintenir lui aussi au pouvoir après l’expiration de son deuxième terme fin 2016…

Le carnet
de Colette Braeckman