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On assiste depuis fin 2013 à une augmentation à la fois spectaculaire et inquiétante des dépenses militaires dans la région des Grands Lacs. L’Angola, la RDC, le Rwanda et la Tanzanie sont les pays les plus concernés dans cette course à l’armement. Ces dépenses militaires sont telles qu’elles entrainent une hausse des budgets militaires des pays concernés. S’agit-il juste des dépenses de mise à jour et de modernisation des outils militaires des pays concernés ou bien des achats en prévision d’une escalade militaire qui ne dit pas son nom. C’est ce que nous allons tenter de décrypter dans cette analyse.

Lorsqu’on observe les pays concernés, l’on se pose la question sur les motivations qui les poussent subitement à consacrer autant de budget pour le secteur de la défense alors que par le passé, hormis peut-être l’Angola, la part du budget consacré à la défense et sécurité était la plus faible comparativement à d’autres secteurs de l’Etat.

L’Angola en tête de la course

En décembre 2013, DESC a publié un article faisant état de l’achat par l’Angola des équipements militaires pour un milliard de dollars, notamment des avions de chasse russe de type Sukhoi. Les contrats ont été en octobre 2013 lors de la visite à Luanda du vice-Premier ministre russe Dmitri Rogozine. Cela avait permis à l’Angola de redevenir le premier client africain d’armement russe. Selon un porte-parole de Rosoboronexport, l’agence chargée de l’exportation des équipements militaires russes, cela concernait une livraison de 18 avions de combat de type Su-30K pour environ 500 millions de dollars[1]. Le montant du contrat comprend la maintenance et l’armement de ces chasseurs.

Par ailleurs, l’Angola avait également commandé de pièces de rechange pour des matériels datant de la période soviétique (et ils sont nombreux), des armes légères, des munitions, des blindés, des canons et des hélicoptères de transport Mi-17. Aucune précision n’a été donné sur les volumes à livrer. Enfin, il a été convenu de construire dans le pays une usine destinée produire des cartouche.

Les Forces aériennes angolaises (FAA) mettent en œuvre des MiG-21 Fishbed, des MiG-23 Flogger et quelques Su-27 Flanker acquis auprès de la Biélorussie, ainsi que des Sukhoi Su-22 Fitter et des Su-25 Frogfoot pour l’attaque au sol. Si les appareils d’origine soviétique sont prédominants, Luanda a toutefois cherché à diversifier ses sources d’approvisionnement, en commandant plusieurs avions du constructeur brésilien Embraer (EMB-314 et EMB-312) ou de l’avionneur suisse Pilatus (PC-7).

Sur la base des données du think tank suédois SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), en 2012, l’Angola a été le quatrième pays d’Afrique ayant le plus dépensé dans le secteur de la défense avec 4,146 milliards de dollars derrière l’Algérie (9,325 milliards), l’Afrique du Sud (4,470 milliards) et l’Egypte (4,372 milliards) et loin devant le Nigeria à la 7ème position avec 2,327 milliards de dollars. Cela fait de lui incontestablement la puissance militaire absolue de l’Afrique noire et donc le gendarme de l’Afrique médiane.

C’est depuis la fin des années 1980, durant la guerre civile contre la rébellions de l’UNITA de Savimbi que l’Angola a compris l’extrême nécessité de moderniser et d’équiper son armée, grâce à l’assistance des mercenaires de la firme militaire privée sudafricaine Executive Outcomes (EO) qui a permis au gouvernement angolais de récupérer la concession pétrolière de Soyo (extrême nord de l’Angola) des mains des rebelles de l’UNITA de Savimbi [2].

Après leurs victoires sur le groupe rebelle de l’UNITA et l’intégration très sélective et rigoureuse des combattants de cette rébellion au sein des FAPLA[3], les FAA se sont lancées, avec détermination, dans un ambitieux projet de leur modernisation basée sur le concept de « combat performance »[4]. Ce programme a particulièrement mis l’accent sur l’amélioration et le renforcement de la puissance de feu de la composante aérienne des FAPLA, avec l’acquisition d’un nombre important des avions militaires de tout genre et le déploiement d’un dispositif de défense anti-aérien (DCA), qui ont joué un rôle décisif dans l’écrasement de la rébellion de l’UNITA ou dans l’intervention de l’armée angolaise à Sao Tomé, au Congo-Brazzaville, en RDC et sur d’autres terrains d’opérations militaires, notamment en menant des offensives vers le Sud du pays. Une puissance de feu qui contraignit notamment l’Afrique du Sud à accepter les conditions de son retrait dans le Sud de l’Angola.[5] Bien sûr, les forces navales ont également bénéficié de nouvelles infrastructures acquises grâce à ce projet[6].

Rappelons enfin qu’en 2013, les forces armées angolaises ont bénéficié d’un budget de 5,7 milliards de dollars, soit 8,26% du budget national de l’Angola et plus 75% du budget national de la RDC en 2013. Le pays peut compter sur d’importantes ressources pétrolières (9 milliards de barils de réserves prouvées, production de 1,91 million de barils par jour en 2008) ainsi que sur l’exploitation de mines de diamants. Un effort qui, à en croire le quotidien russe Vedomosti, permet aujourd’hui à Luanda de se payer dix-huit avions de chasse Sukhoi-30 utilisés auparavant par l’armée de l’Air indienne.

Toutefois, le professeur adjoint à Elliott School of International Affairs, de l’université de Washington, David Shinn, ancien ambassadeur américain en Ethiopie (1996-1999) et au Burkina Faso (1987-1990) a déclaré, dans une interview par email accordée à Business Africa, au vu des derniers développement concernant l’acquisition des avions Su-30K par l’Angola, que l’on doit se demander pourquoi l’Angola a besoin d’avions de combat si performants et qui est l’ennemi potentiel ? Selon lui, « l’Angola est un pays riche en pétrole et peut s’offrir cet achat, mais il semble que cet argent pourrait être utilisé de façon plus judicieuse. Il y a aussi la question de savoir qui va piloter ces avions et qui va s’occuper de la maintenance. L’Angola a-t-il des pilotes formés pour voler avec ces Su-30Ks ? J’en doute. Jusqu’à ce que les pilotes angolais soient formés, des pilotes étrangers seront-ils engagés ? Et si oui, à quoi cela rime-t-il ? Je suis plus préoccupé par la logique qui mène à l’achat de ces avions que par l’état de ces avions particuliers« , affirme Shinn. Il ajoute : « En toute justice à l’égard de l’Angola, d’autres pays africains ont acquis ou prévoient d’acquérir des SU-30s en Russie. L’Ouganda en a reçu six et a exprimé son intérêt pour six autres. (Kester Kenn Klomegah, Survol de la coopération militaire entre la Russie et l’Angola, 2013-11-25, Numéro 304 http://pambazuka.org/fr/category/features/89749)

Plusieurs matériels militaires achetés par la RDC pour la GR principalement

Après la victoire des FARDC contre le M23 en novembre 2013, aidées par la brigade d’intervention de la MONUSCO, les autorités militaires congolaises se sont lancées dans les achats des matériels militaires. Le site defensenews.com a livré ce 17 février une information selon laquelle Le premier groupe de défense de l’Ukraine, Ukroboronprom, a annoncé qu’elle a signé un contrat pour livrer les chars de combat de type 50 T- 64BV-1 d’une valeur d’environ 100 millions de hryvnia (environ 11,5 millions de dollars américains ) dans un pays étranger que la société n’a pas identifié. Mais le site d’information russe Lenta.ru indique que ces chars seront livrés à la République démocratique du Congo. Le site russe précise en outre que la RDC a signé ce contrat en fin 2013 pour un prix unitaire de $200 000. Ce type de char est une version améliorée du char T- 64 de conception soviétique. (http://www.defensenews.com)[8]. Selon les informations très fiables et précises parvenues à DESC, l’Ukraine ne s’est pas limitée à vendre des chars à la RDC mais aussi plusieurs armes, munitions et véhicules de transport des troupes.

C’est principalement vers les pays de l’ex-bloc soviétique (Biélorussie, Serbie, Ukraine et Tchéquie, Russie) que le général Olenga, alors chef de l’armée de terre, porte son choix pour l’équipement des FARDC. Dans notre récente publication Les Forces armées de la RD Congo : une armée irréformable ?, (http://desc-wondo.org/portfolio-item/une-armee-irreformable/), nous livrons en détails l’état des lieux quasi exhaustifs de l’armement des FARDC et des coopérations militaires bilatérales avec des pays comme le Soudan. Cependant, la situation de guerre qui prévaut en Ukraine et le changement de régime suite à la fuite de Viktor Ianoukovtch, grand ami de Kabila, en Russie, une partie de matériel commandé par les FARDC n’a pu être livrée. Ce qui mit en colère les autorités congolaises, les amenant à piéger des casques bleus ukrainiens de la MONUSCO dans un guet-apens digne d’un far-west[9].

Olenga était à Saint-Petersbourg, en début mars 2015, pour la cargaison des matériels militaires

Selon une source de l’état-major général des FARDC, le Général François Olenga, le chef d’état-major particulier de Kabila était en début du mois de mars 2015 à Saint-Petersbourg, la deuxième grande ville de Russie pour superviser l’embarquement des matériels de guerre russe achetés par la RDC. La même source nousa confirmé que le contentieux financier concernant l’achat des armes ukrainiennes est réglé. Les autorités ukrainiennes ont accepté de rembourser la totalité des sommes versés par la RDC, soit un plantureux pactole de 85.000.000 de dollars. Ce remboursement se fera en plusieurs tranches pour ne pas éveiller l’attention des occidentaux, via la banque indo-pakistanaise, RawBank, connue pour être une banque couvrant des transactions nébuleuses en RDC . Toutefois, la coopération technique militaire avec l’Ukraine se poursuit. Il y a actuellement à Kinshasa, la présence d’une équipe technique ukrainienne pour l’entretien des matériels volants : Hélicoptères MI-8/17, MI-24/35; Avions de combats Sukhoi Su-25 K et Mig-23 flogger. Les relations RDC-Ukraine se sont refroidies avec la fuite de Ianoukovitch, mais elles ne sont pas rompues, nous précise notre source.

Rarement aperçus sur les terrains des opérations militaires en 2012 et 2013 contre le M23, le gros du matériel militaire acheté par Kinshasa concerne la dotation de la garde présidentielle, la GR[10] et est généralement exhibé lors des défilés militaires pour intimider la population ou pour la répresson des populations civiles, comme dernièrement lors des manifestations à Kinshasa, Bukavu et Goma, contre le projet de loi électorale et le régime Kabila.

Dans notre dernier ouvrage susmentionné, nous renseignons que la part réservée dans le budget national 2014 pour le secteur de la Défense nationale était d’environ 400 millions de dollars. Cela constitue une hausse considérable de plus de 62 % par rapport à l’année budgétaire précédente. Une hausse due sans doute aux conséquences de l’effort de la guerre contre le M23 et la poursuite de la traque des autres groupes armés (ADF/Nalu, FDLR, Maï-Maï, etc.). Cette augmentation se justifie également du fait de l’acquisition en 2014 d’un important lot de matériel militaire et d’armement, en provenance principalement de l’Ukraine, de la Tchéquie et de la Serbie[11].

Après la défaite du M23, le Rwanda a acheté des missiles sol-air chinois

La China North Industries Corporation, basée à Beijing, a exporté avec succès son système Sky Dragon 50 des missiles de défense aériens TL -50 au Rwanda , selon Kanwa Defense Review , un magazine militaire de langue chinoise basé au Canada. Le Rwanda est actuellement le premier et le seul pays en Afrique à utiliser le missile sol-air TL- 50. Conçu à la base chinoises PL- 12 air -to-air missile, le TL- 50 peut attaquer des cibles entre 20 et 30 km à partir du sol avec une gamme d’attaque de 50 km. Selon le magazine Kanwa, le TL-50 est actuellement le anti-aérien le plus performant avancé en Afrique de l’Est. Avec la capacité de pourchasser 144 cibles, le TL-50 peut lancer 12 missiles pour intercepter 12 cibles entrants simultanément. Le Rwanda doit posséder au moins quatre lanceurs TL- 50 car c’est la plus basse unité opérationnelle du système.

Vue de l’hélicoptère de combat Fennec d’Airbus Helicopters. © airbushelicopters.com

La Tanzanie vient de renforcer son arsenal militaire aérien

La Tanzanie a accordé un marché de plusieurs centaines de millions d’euros à Airbus Helicopters (filiale de l’européen Airbus Group), pour la fourniture d’une douzaine d’appareils, à usage militaire pour la plupart. Cette commande négociée en toute discrétion, le 27 juin 2014, était classée « confidentielle ». Il s’agit d’une commande de douze appareils à la firme aéronautique française Airbus Helicopters, filiale de l’européen Airbus Group, dont le siège est à Toulouse et le capital détenu à hauteur de 12 % par l’État français, selon Jeune Afrique.

Le montant de la transaction – 240 millions d’euros – est inhabituel dans le domaine de la défense en Afrique subsaharienne. C’est aussi le plus important contrat jamais décroché par une entreprise française d’armement en Tanzanie. Huit de ces appareils sont en effet à usage militaire : quatre pour le transport tactique et quatre (type Fennec) pour le combat.

Il existe des hélicoptères Fennec de type AS550 et AS555 Fennec2. Ce sont des hélicoptères militaires légers et polyvalents.

Ces hélicoptères sont considérés par les experts du monde aéronautique comme étant les plus forts de leur catégorie qui allient classe, puissance, discrétion, forte capacité de tir et surtout une grande furtivité (faible détectabilité)[12].

Le Fennec AS550 et le Fennec C3 sont spécialement conçus pour voler dans les cadres des missions aériennes de reconnaissance (Recce) dans le but principal de localiser et d’attaquer des cibles d’opportunité. Ils s’appuient sur un très large éventail de qualités : furtivité, puissance, simplicité et stabilité de tir, pour mener avec succès très des missions exigeantes de reconnaissance armée. Ils sont aussi capables d’assurer les missions de suivi, d’observation, d’identification et de fixation des véhicules blindés, tout en transmettant des rapports ou des informations de dépistage des cibles difficilement détectables. Enfin, outre les missions de reconnaissance, indispensable pour la réussite d’une action armée, l’hélicoptère AS550 Fennec C3e a la capacité de tirer et de détruire tout type d’arme et d’assurer avec célérité l’appui-feu aux troupes au sol en contact avec les forces ennemies (Eni) et dispose d’une forte autonomie de destruction des cibles au sel.

A quoi tout cela rime ?

C’est la question que plus d’un observateur se pose.

Si pour l’Angola, l’achat de son matériel militaire fait partie d’une tradition de modernisation et de remise à neuf de son matériel vieille de deux décennies, pour la RDC, depuis Mobutu, l’achat des équipements militaires ont souvent servi à des fins politiciennes, la dotation de la garde prétorienne (DSP, GSSP et GR), mais aussi à des fins de trafic illicite d’armes vers des zones ou des pays sous embargo ou sous restriction d’achat d’armes comme l’UNITA[13] de Savimbi ou le Zimbabwe[14].

Ce qui inquiète, c’est plutôt cette course aux armes à laquelle se livrent particulièrement le Rwanda et la Tanzanie. En effet, en mai 2013, trois mois après la signature de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, les relations entre ces deux pays membres de l’EAC[15] et de la CIRGL[16] se sont brutalement dégradées. Les déclarations du président Jakaya Kikwete appelant le Rwanda à ouvrir des négociations avec les rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), installées dans l’est de la RDC après le génocide de 1994, ont suscité le mécontentement des autorités rwandaises.

Entre juillet et août 2013, la Tanzanie a expulsé des milliers d’’anciens réfugiés rwandais résidant dans la zone frontalière de Kagera. Selon Kikwete, le secteur s’était transformé en hub des criminels armés qui terrorisaient la population locale. Le président rwandais avait répliqué qu’il était prêt à frapper tout régime qui essayait de le déstabiliser avant que Jakaya Kikwete lui rappelle que la Tanzanie est prête à défaire les dictatures comme elle l’avait fait en son temps pour Idi Amin Dada. Ces échanges avaient menacé la dislocation de l’EAC, car la Tanzanie menaçait d’en sortir. La mort d’un casque bleu tanzanien en RDC dans des combats contre le M23 avait fait monter la tension entre les deux Etats membres de l’EAC et de la CIRGL[17].

Pourquoi l’achat des missiles antiaériens chinois par le Rwanda et contre quel ennemi?

L’achat des missiles chinois peuvent s’expliquer des points de vue technique, financier, diplomatique et militaire.

D’abord du point de technique et financier, le Rwanda s’est tourné vers la Chine, plus que probablement parce que dans les autres pays exportateurs de missiles, les procédures peuvent être plus compliquées pour cause de déficit démocratique et surtout que le pays de destination final est des plus répressifs d’Afrique. Le prix compétitif et les facilités de paiement éventuelles pourraient également expliquer l’achat des missiles Made in China[18]. Enfin, il pourrait s’agir d’une subtile stratégie de séduction de la Chine, la puissance émergente rampante en Afrique pour l’opposer ses anciens alliés et parrains occidentaux, principalement les Etats-Unis.

En effet, ayant longtemps été l’état-pivot du dispositif américain dans les Grands Lacs sous administrations Clinton et Bush Jr, depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison blanche en 2008 et la défaite du M23, Kigali est en train de perdre progressivement son hégémonie régionale au profit de la Tanzanie et de la RDC dans une moindre mesure. Plusieurs résolutions de l’ONU votées ces dernières années accusent le Rwanda de soutenir les rébellions en RDC et par ricochet restreignent la marge d’action militaire du Rwanda en RDC et sa capacité diplomatique.

En 2008, suite à son soutien au CNDP de Laurent Nkunda et à la publication d’un rapport du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC[19], plusieurs bailleurs importants du Rwanda, dont les Pays-Bas, la Suède, le Canada, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, avaient mis fin, suspendu ou envisagé de suspendre, en tout ou en partie, leur aide financière au Rwanda. Ensuite en juillet 2012, Washington avait décidé de suspendre l’aide militaire américaine de 200 000 dollars censés financer une académie militaire au Rwanda en raison du soutien de Kigali aux mutins du M23. Selon RFI, « la mesure marque néanmoins une inflexion. Les Etats-Unis ont longtemps compté parmi les plus solides alliés du président Kagame »[20]. Enfin, les Etats-Unis ont encore annoncé le 3 octobre 2013 avoir sanctionné le Rwanda en raison de l’enrôlement d’enfants soldats par la rébellion du M23 en RDC, un mouvement que Kigali est accusé de soutenir[21].

Kigali, dans sa stratégie de smart power visant à former des coalitions opportunistes pour continuer d’exercer son influence régionale, peut trouver dans l’Empire du Milieu, un allié stratégique qui l’aiderait à compenser sa mise à l’écart progressive (pas encore totale) par les Etats-Unis afin de continuer de dicter l’agenda géopolitique régionale.

Mais l’achat des missiles de défense aériens répond aussi à un besoin opératique et tactique militaire, corollaire de son échec de la guerre en RDC, via le M23 interposé. En effet, lors de la guerre menée en RDC en soutien au M23, les troupes rwandaises ont expérimenté à leur dépens et subi la puissance de feu des bombardements des hélicoptères ‘Rooivalk’ d’appui au combat de l’Armée de l’Air sud-africaine mis à la disposition de la MONUSCO. Les Rooivalk ont été décisifs en appui aux troupes au sol des FARDC grâce à des incessants bombardements des positions du M23 de Kanyamahoro pour ouvrir la voie à Kibumba ayant permis aux FARDC de poursuivre leur assaut final jusqu’à leur éviction des collines de Chanzu et Runyonyi. Après avoir perdu Rumangabo et Bunagana, le M23 fut confiné dans ces deux collines, essayant de nouveau de résister pendant quelques jours en contenant les tentatives d’assaut infructueuses de la task force GR (Garde républicaine) des FARDC avant que les hélicoptères Rooivalk ne viennent faire le dernier nettoyage[22]. Sans doute, c’est à ce niveau précis que le Rwanda a compris son infériorité tactique et la vulnérabilité de sa défense. C’est alors que Kigali a pris la décision d’acquérir des missiles sol-air capables d’atteindre des cibles aériens.

Sachant en outre que les américains ne cessent de se rapprocher de la Tanzanie, le choix des armes chinois comportent également un autre élément tactique supplémentaire non négligeable qu’est la confidentialité de ses spécificités techniques et tactiques particulières que ne peuvent détenir, en principe, les sud-africains et les américains.

La réponse du berger tanzanien à la bergère rwandaise ?

N’ayant envoyé que des troupes au sol en RDC, dont trois militaires tués aux combats contre le M23/RDF (armée rwandaise) et ayant côtoyée la suprématie aérienne sud-africaine en RDC, la Tanzanie a jugé nécessaire de se doter d’un matériel militaire aérien performant pour optimiser la puissance de feu de son armée. Par ailleurs, lorsque l’on analyse les spécificités des acquisitions tanzaniennes, l’on peut admettre que leur achat a tenu compte des tractations rwandaises d’achat des missiles sol-air. Ce qui a poussé la Tanzanie à acheter des hélicoptères d’une très haute performance tactique, mais surtout à très faible capacité de détectabilité ou à haute furtivité. Cela montre également la force des renseignements militaires tanzaniens qui étaient au courant du type de système défense sol-air que le Rwanda voulait acquérir pour lui opposer des hélicoptères adaptés et capables de faire échec à ce dispositif. Mais c’est sur le terrain de bataille que l’on saura effectivement évaluer les performances réelles de toutes ces acquisitions. Car l’avantage technologique ne suffit certes pas à assurer systématiquement à un Etat la supériorité ou la victoire militaire sur le champ de bataille. En effet, lorsque des systèmes technologiques sophistiqués se mettent en place, les adversaires ne tardent pas à concevoir des réponses appropriées, souvent par des moyens asymétriques. Nous l’avons vu lors de la guerre du Kosovo où l’armée yougoslave a rendu inefficace l’utilisation optimale des moyens technologiques colossaux déployées par les forces de l’OTAN lors de l’opération « Force alliée« , conduite par l’OTAN du 24 mars au 9 juin 1999. Il en est de même de la douloureuse expérience russe en Tchétchénie entre 1996-2000.

Une région sous tension politique et en pleine mutation géopolitique

Avec des présidents qui arrivent en fin mandat d’ici à deux ans (2017), la tension sécuritaire dans la région risque d’être attisée par les situations politiques respectives dans les pays de la région. Cela risque faire en sorte que des alliances et/ou des mésalliances puissent se nouer ou se défaire, fussent-elles contre nature et qui pourraient modifier les rapports de forces existants dans une zone en pleine mutation géopolitique. Constitutionnellement, le mandat de Paul Kagame finit en 2017, celui de Joseph Kabila en 2016, le mandat de Jakaya Kikwete prendra fin mandat dans le courant de cette année 2015. Il n’est pas exclu que ce dernier règle ses quatre vérités à Kagame avant son départ.

C’est entre autres grâce à l’armée de la Fédération de Tanzanie que les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda et l’Ouganda ont été défaits en 2013. La Tanzanie dispose d’une armée qui a fait ses preuves dans la région notamment lors de la chute du régime du maréchal Idi Amin Dada en 1979.

La pression de la communauté sur les autorités congolaises de lancer des opérations contre les FDLR peuvent également ajouter une pression supplémentaire et faire monter l’escalade militaire[23].

Des indices des bruits de bottes en gestation

Ces indices sont fournis par le site Ikazeiwacu.fr qui renseigne les informations suivantes :

1) Les infiltrations des militaires rwandais déguisés en civil et des agents des services secrets rwandais en RDC et au Burundi; 2) L’appel récent (mois d’octobre dernier) de recruter des nouveaux militaires, lancé par le Ministère rwandais de la défense, pour augmenter l’effectif de l’armée rwandaise; 3) L’achat des véhicules blindés dont certains sont mis à la disposition des forces d’intervention rapide de la communauté des États de l’Afrique de l’Est; 4) L’achat récent des hélicoptères de combats dont 7 ont été mis, pour le moment, à la disposition des forces de paix des Nations Unis; 5) Les récentes menaces des soldats du M23 d’attaquer encore la RDC et 6) Le récent achat d’un missile de défense TL-50 dont il est notamment question dans cette analyse[24].

L’Afrique des Grands Lacs traverse une période très inquiétante de grandes mutations géopolitiques où de nouveaux rapports de forces et équilibres pourraient s’établir. Le moyen le plus rapide d’opérer ce nouvel ordre régional recomposé passe indubitablement par une dynamique conflictuelle belligène ou guerrière. Celle-ci, dans une perspective clausewitzienne, étant la prolongation ou la conclusion des tensions politiques et diplomatiques régionales nées à la suite de la signature de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba en février 2014, de la défaite du M23 ainsi que de la pression actuelle sur la RDC de traquer les FDLR. A cela, il ne faudrait surtout pas minimiser les risques d’implosion internes qui, suspendus telle une épée de Damoclès en RDC, au Burundi, en Ouganda et au Rwanda où les présidents actuels tenteront l’impossible pour se maintenir au pouvoir, pourront s’inviter comme le feu nécessaire qui embrasera la poudrière des Grands lacs.

Selon le think tank suédois SIPRI, l’Afrique est le continent où la hausse des dépenses militaires est la plus forte (+ 8,3 % en un an). En 2013, les États africains ont affecté 44,9 milliards de dollars à leurs armées. C’est très loin des dépenses mondiales (1 747 milliards) et même en deçà du seul budget militaire de l’Inde, mais l’effort est tout de même spectaculaire. En 2013, l’Algérie est ainsi devenue le premier pays africain à avoir franchi le seuil des 10 milliards de dollars (+ 8,8 % en un an) et l’Angola, en deuxième position sur le continent avec 6,1 milliards, a vu son budget de défense croître de 36 %. Le pays lusophone dépasse l’Afrique du Sud (4,1 milliards) : une première.

Selon l’hebdomadaire américain Defense News, les dépenses militaires en Afrique vont augmenter de 20 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie contre plus de 40 milliards en 2012, sur la base des chiffres de SIPRI. Ce phénomène est lié au développement récent de plusieurs armées en Afrique qui, depuis la fin de l’époque coloniale, connaît bon nombre de guerres, d’insurrections et de coups d’État. Vous voilà prévenus !

Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC

[1] http://desc-wondo.org/langola-modernise-son-materiel-militaire-pour-un-milliard-de-dollars/.

[2] Jim Hooper, Blood Song.

[3] Il s’agissait du cantonnement et du désarmement d’environ 50 000 combattants, l’intégration d’une poignée d’entre eux (seulement 5 000) dans les Forces armées angolaises (F.A.A.)

[4] Le concept de « Performance Combat » renvoie au programme militaire entreprise par l’armée angolaise dans les années 1980 et axée sur l’amélioration substantielle de la capacité et de la performance militaires par l’acquisition d’un important équipement digne d’une armée conventionnelle. Lire aussi: Headquarters, Department of Army, Angola – a country study, Washington, 1991, pp.203-257. Ou encore: http://www.marines.mil/news/publications/Documents/Angola%20Study_5.pdf

[5] Headquarters, Department of Army, Angola – a country study, Washington, 1991, p.231.

[6] JJ Wondo O., Les Armées au Congo-Kinshasa – Radioscopie de la Force publique aux FARDC, 2013.

[7] http://desc-wondo.org/explosif-cooperation-militaire-ukraine-rdc-lombre-de-lamitie-kabila-ianoukovitch-jj-wondo/.Lire aussi http://desc-wondo.org/enfin-le-materiel-militaire-ukrainien-est-arrive-a-boma-jj-wondo/. Ou encore http://desc-wondo.org/devoir-denquete-livraison-darmes-ukrainiennes-a-la-rdc-jj-wondo/.

[8] http://desc-wondo.org/explosif-cooperation-militaire-ukraine-rdc-lombre-de-lamitie-kabila-ianoukovitch-jj-wondo/.Lire aussi http://desc-wondo.org/enfin-le-materiel-militaire-ukrainien-est-arrive-a-boma-jj-wondo/. Ou encore http://desc-wondo.org/devoir-denquete-livraison-darmes-ukrainiennes-a-la-rdc-jj-wondo/.

[9] http://desc-wondo.org/les-ukrainiens-pieges-mf-cros-la-libre-belgique/.

[10] http://desc-wondo.org/une-hyper-militarisation-suspecte-de-la-garde-republicaine-jj-wondo/.

[11] JJ Wondo Omanyundu, Les Forces armées de la RD Congo : une armée irréformable ?, Décembre 2014, p.111.

[12] Ils sont capables de voler en toute sécurité dans les champs de bataille grâce à leur silhouette élancée. Le Fennec émet un très faible signal radar grâce à l’utilisation massive de matériaux composites ainsi qu’à une peinture réfléchissante à faible rayon infrarouge.

[13] « Jusqu’au renversement de Mobutu, au mois de mai 1997, l’UNITA a utilisé le Zaïre comme base pour entreposer des armes et c’est avec des certificats dits « d’utilisateur final » zaïrois que les intermédiaires travaillant pour le compte de l’UNITA ont pu se procurer les armes demandées par Savimbi. Mobutu fournissait les certificats zaïrois à Savimbi, qui lui donnait en échange des diamants et des espèces. Savimbi faisait ensuite passer les certificats à Marcelo Moises Dachala (dit « Karriça »), qui remplissait les fonctions de représentant de l’UNITA au Zaïre. Karriça les remettait à son tour à Kabir, qui les utilisait pour acheter les armes demandées par l’UNITA .Celles-ci arrivaient directement du pays d’origine à Kinshasa ou Gbadolite, souvent à bord d’un appareil appartenant à un Sud-Africain d’origine belge appelé Jacques « Kiki » Lemaire… Extrait de Rapport final du Groupe d’experts créé par le Comité du Conseil de sécurité conformément à la résolution 1237 (1999) du 7 mai 1999, Lettre datée du 10 MARS 2000. Lire en détails in JJ Wondo O., Les Armées au Congo-Kinshasa – Radioscopie de la Force publique aux FARDC, 2013, p.91.

[14] http://desc-wondo.org/la-rdc-est-elle-devenue-la-plaque-tournante-du-trafic-darmes-vers-le-zimbabwe-desc/.

[15] East African Community.

[16] Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs.

[17] Cyril Musila, « RDC, Economie et géopolitique de la paix dans les Grands Lacs – Impacts de l’économie régionale sur les accords de paix en RDC », Irénées.net , octobre 2014.

[18] http://ikazeiwacu.fr/2014/11/10/rdgl-tout-indique-que-le-rwanda-va-bientot-lancer-une-guerre-meurtriere-dans-la-region/.

[19] S/2009/603, 23 novembre 2009. (http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=S/2009/603).

[20] http://www.rfi.fr/afrique/20120722-etats-unis-suspendent-aide-militaire-rwanda-m23-rdc-paul-kagame/.

[21] http://www.rfi.fr/afrique/20131004-etats-unis-rwanda-aide-militaire-suspendue-soutien-m23/.

[22] Jean-Jacques Wondo O, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, Desc-Wondo, Aalst, 2015, p.113.

[23] Jotham Rwamiheto, http://ikazeiwacu.fr/2014/11/10/rdgl-tout-indique-que-le-rwanda-va-bientot-lancer-une-guerre-meurtriere-dans-la-region/.

[24] http://ikazeiwacu.fr/2014/11/10/rdgl-tout-indique-que-le-rwanda-va-bientot-lancer-une-guerre-meurtriere-dans-la-region/.

[25] Il se peut que plusieurs chars ne soient plus opérationnels pour cause de défaillance logistique, de manque d’entretien et de rupture d’approvisionnement en pièces de rechange.

[26] Il se peut que plusieurs avions et hélicoptères ne soient plus opérationnels pour cause de défaillance logistique, de manque d’entretien et de rupture d’approvisionnement en pièces de rechange.