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« La musique burundaise a perdu sa richesse lyrique »

Alors que l’on présentait ce jeudi 24 juillet 2014 à l’Alliance franco-burundaise de Gitega, le livre De l’Inanga à la guitare classique, une histoire de la naissance de la musique burundaise moderne (1960-1985), de Mgr Justin Baransananikiye, Iwacu aborde avec l’auteur le thème du lyrisme de la chanson moderne écrite en kirundi.

De nos jours, la musique burundaise laisse souvent peu de place à l’originalité dans la composition des textes. Et cela se comprend : délaissant les recherches vers la tradition orale et instrumentale locales, elle intègre fortement le décor urbain, puisant ses inspirations notamment chez nos voisins tanzaniens, avec leur Bongo Fleva1.
Le relatif jeune âge de la nouvelle génération des chanteurs burundais, issus presque tous de la cité et peu exposés à la richesse lexicale du kirundi, explique aussi cette perte de la richesse lyrique.
Pour mettre en perspective les époques, Iwacu a rencontré Mgr. Justin Baransananikiye, l’un des fondateurs de l’Orchestre national du Burundi en 1977, auteur et compositeur. Son remarquable essai intitulé « De l’inanga à la guitare classique, une histoire de la musique burundaise moderne (1960-1985) » nous invite dans l’âge d’or du secteur, quand il y avait encore Canjo Amissi, David Nikiza, Kirundo Gérard, Jean-Christophe Matata …

Comment composiez-vous vos textes à cette époque ?

Il faut noter que la génération actuelle des chanteurs, sous l’influence de la musique urbaine, est plutôt attirée par l’aspect « instrumental » dans la création. Ce qui compte, ce n’est plus le texte, mais le rythme, le « vibe » comme on dit, un processus à l’inverse de ce qui se passait à notre époque. Pour nous, la chanson était avant tout un message.

Et comment veilliez-vous à cela ?

Avant diffusion, toute chanson était présentée aux « vieux » pétris d’art oral burundais. Dans les années 1970, le duo Pancrace Shungura (pianiste-chanteur) et Michel Ndezeko (qui dirigeait la chorale de la Cathédrale Regina Mundi) faisait office de référence dans le travail des textes basés sur l’art poétique traditionnel. Augustin Ndirabika prend le relais avec des chansons comme « Ewe Dawe uri Umugabo » (Père, tu es un Homme), ou encore « Mwananje ntunanirwe » (Mon enfant, ne te décourage pas).

R/ Ewe Burundi, ngira ndakuririmbe
Ewe Burundi, ngucurarange (×2)
Usa n’akayaga ko ku mugoroba
Usa n’amazi y’umusarara
Eka usa n’Imana yakungabiye (×2)Ese uwakubonye harya mu gitondo
Ewe Burundi uko uteye igomwe
Uko imisozi yawe isayangana
Ni ko ikiyaga gihungabana
R/ …Ese uwakubonye mu mashoka y’inka
Inyambo zawe zikwigina
Amazi atemba, inyoni ziririmba
Bihayagiza ubutore bwawe
R/ …Ese uwakubonye mumataha y’inka
Ewe Burundi uko uteye igomwe
Akayaga kaguca irya n’ino
Abana bawe baguteramiye
R/ …Traduction2Burundi, je vais te chanter
Burundi, je vais te jouer en instruments (×2)
Tu ressembles au doux vent du soir
Tu es ressembles à de l’eau pure
C’est vrai, tu ressembles à Dieu qui t’a créé (×2)Que c’est beau de te voir le matin
Comment Burundi tu fais plaisir
Comment brillent tes collines
Autant que la houle traverse le lac
R/ …Que c’est beau de te voir quand les vaches se rendent dans les prés
Quand tes bétails te rendent hommage
L’eau coulant, les oiseaux chantant
Tout cela loue ta bonté
R/ …Que c’est beau de te voir quand les vaches rentrent des prés
Comment Burundi tu es beau
Quand le vent te caresse de part et d’autre
Quand tes enfants tiennent la veillée en ton nom
R/ …
Le contexte politique vous imposait aussi une forme de censure…

C’est vrai qu’avec 1976, la Culture a été détaché de l’Éducation. Nous avons alors eu la création du ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture. Le Département des Arts et de la Culture, dirigé à l’époque par Adoplhe Ntibasharira relisait chaque texte de chanson avant sa sortie. A côté de l’Orchestre Amabano dans lequel je jouais, le ministère avait engagé Adelin, un vieux spécialiste des ibicuba de Muramvya (auteur de Iyo manzi wararaye).

Au final, qu’attendait-on de vous ?

Nous avions un double rôle. D’abord politique : en tant qu’Orchestre national, nous étions conçus comme un modèle pour les autres musiciens, et on participait principalement à des mobilisations populaires. Nous devions être présents à chaque fête nationale, journée de la Femme, de l’Enfant, de l’Arbre, etc. Ce rôle s’étendait à notre fonction culturelle, aussi : nous étions là pour revaloriser le folklore national. Obligatoirement, nous devions nous inspirer de l’ikembe, de l’inanga. C’est dans ce contexte que sont nées les plus célèbres mélodies, que nous écoutons toujours aujourd’hui.

Comme ?

Je pense immédiatement au travail de Canjo Amissi, avec ses titres Ntacica nk’irungu (Rien de plus cruel que la solitude), ou encore Umugabo w’ukuri (Le Vrai Homme). Le premier est tiré d’un conte chanté (igitito), le deuxième participe pleinement à la mobilisation nationale autour des valeurs positive de notre culture (la droiture, le respect de la parole donnée, la retenue, la solidarité), d’où son aspect politique proéminent. Quant au titre « Ewe Burundi ngira ndakuririmbe » (voir encadré), il a servi de jingle pendant des années à l’ouverture des programmes de la Télévision Nationale, un peu comme un second hymne du pays. Notre département, qui bénéficiait notamment d’un accès privilégié au seul studio d’enregistrement du Burundi, celui de la Radio Nationale, était en fait un laboratoire de recherche musical. Nous mélangions ce que nous savions de l’École traditionnelle (contes, instruments musicaux, l’art oral) avec ce que nous avions appris de la théorie musicale à l’école.

Le livre coûte 50.000 Fbu et est disponible au Musée et à l’Alliance franco-burundaise de Gitega. A Bujumbura, on pourra le trouver au Musée Vivant et à la Libraire Saint-Paul ©Iwacu Le livre coûte 50.000 Fbu et est disponible au Musée et à l’Alliance franco-burundaise de Gitega. A Bujumbura, on pourra le trouver au Musée Vivant et à la Libraire Saint-Paul ©Iwacu
Vous êtes aussi le père de nombreuses chansons d’animation entonnées dans les églises protestantes au Burundi …

(Rires). J’ai été auteur et compositeur pendant plusieurs années avec la chorale de l’Église Libre Méthodiste, à Ngagara. De 1980 à 1983, j’étais responsable du département de musique au sein de l’Alliance des Églises protestantes. De très riches années, au cours desquelles sont nés les titres « Twame imbuto nziza » (Portons DE BONNESsemences), « Hinge Nsenge Umwami wanje » (Laisse-moi prier mon Roi) popularisé par le chanteur de gospel burundais Appollinaire Habonimana, ainsi que d’autres morceaux. A noter aussi que la tradition d’un corpus musical au sein des églises protestantes remonte à 1949, avec la première édition au Centre Baptiste de Kayanza, à Musema, des exemplaires du célèbre recueil « Indirimbo z’Imana » (Les Chants de Dieu).

Que ressentez-vous quand vous écoutez la musique burundaise contemporaine ?

Les temps évoluent. Après la génération des Canjo Amissi et Nikiza David, il y’a eu ce que j’appelle « une époque intermédiaire » marquée par des noms comme Bahaga, Matata, Baby John, Kadja Nin, qui promettait de prendre la relève des aînés. Avant que la guerre ne survienne, et que le numérique assèche la soif des musiciens burundais de comprendre et maîtriser les instruments et la langue de travail. De nos jours, la musique burundaise n’a plus d’identité. Et c’est triste.