Vol systématique dans l’exploitation industrielle des minerais du Burundi : nécessité de conventions gagnant-gagnant.
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Ce titre résume les propos de Son Excellence Monsieur le Premier Ministre du Gouvernement du Burundi, CPG Alain Guillaume BUNYONI, devant le Sénat burundais ce 15 Avril 2021. Dans son intervention, CPG Bunyoni annonce que certains exploitants miniers ont reçu des lettres de mise en demeure, et que d’autres comme Rainbow Mining Burundi, ont été interdits d’exporter le « produit » de l’exploitation minière après que des rapports ont révélé un vol systématique et des manquements graves à tous les échelons de la chaine d’exploitation.

Rainbow Mining Burundi est une société de droit burundais qui exploite les Terres Rares sur un certain périmètre de Gakara, et dans laquelle la société londonienne Rainbow International Resources Ltd (RIR), détenteur du Titre Minier (octroyé par l’ancien Ministre Côme Manirakiza), détient 90% d’actions, contre 10% pour l’Etat burundais. Précisons que Rainbow International Resources Ltd est l’une des succursales du géant Rainbow Rare Earths Ltd, basé à Guernsey, une île autonome du Royaume Uni (UK). Et il se trouve que Gilbert Midende, Directeur Général de Rainbow Mining Burundi est aussi actionnaire dans Rainbow Rare Earths Ltd. https://m.marketscreener.com/quote/stock/RAINBOW-RARE-EARTHS-LIMIT-33647072/company/

Avant de continuer, précisons d’abord ce que c’est les « terres rares »? Le nom de terres rares est communément donné à un ensemble de 17 métaux du « tableau périodique » dont les 15 lanthanides (le Lanthane, le Cérium, le Praséodyme, le Néodyme, le Prométhium, le Samarium, l’Europium, le Gadolinium, le Terbium, le Dysprosium, l’Holmium, l’Erbium, le Thulium, l’Ytterbium, le Lutécium) auquel s’ajoute 2 autres métaux ayant des propriétés semblables à celles des lanthanides, à savoir le Scandium et l’Yttrium. Un gisement de terres rares contient donc tous ces éléments regroupés ensemble mais avec une distribution qui varie pour chaque élément et d’un gisement à un autre.

Le problème majeur avec l’exploitation des terres rares de Gakara ne se trouve pas, à proprement parler, au niveau de cette disproportion de 90/10, car RIR est supposé investir en apportant un capital à la hauteur du coût de l’exploitation. Le problème se situe à deux niveaux: au niveau du non respect des engagements et au niveau du vol systématique de ces terres rares. Parlant d’engagement, à titre d’exemple, RIR exploite la mine de Gakara depuis décembre 2017 mais jusqu’à date sans avoir jamais libéré le capital tel que le prévoit la Convention Minière et le Code Minier du Burundi. En d’autres termes, il exploite la mine gratuitement en utilisant comme fonds de roulement les recettes des ventes d’un produit qui, en définitive ne lui appartient pas, puisqu’il n’a même jamais libéré le capital souscrit pour l’exploitation du gisement.

Quant au vol systématique observé, il s’effectue essentiellement sur au moins cinq axes dont le premier détermine les autres:

  1. Absence de la DÉFINITION DU PRODUIT dans le Code Minier. Le « produit », c’est cette matière issue du gisement que le titulaire du titre minier s’engage de produire et commercialiser, et rien que celle-là. C’est donc un concept central dans les transactions minières. Malheureusement, le mot produit n’est défini nulle part dans le texte-mère qu’est le Code Minier, ce qui donne le champ libre pour sa mauvaise interprétation dans le Règlement Minier et sa mauvaise définition dans la Convention Minière, tout cela à l’avantage de l’actionnaire RIR. On a même l’impression que son interprétation dans le Règlement Minier a été « soufflée » par quelqu’un très proche de Rainbow International Resources Ltd, qui aurait tout fait pour que sa définition et son interprétation soient taillés à l’avantage de Rainbow International Resources Ltd. C’est ainsi que dans la Convention Minière, le produit a été défini comme étant « le concentré de terres rares ». Or, un concentré n’est rien d’autre qu’un intermédiaire entre le minerai brut et le produit fini. Avant de devenir un produit fini par lequel on fabrique des produits de consommation à usages variés (end-user products), tout concentré doit subir d’autres transformations. Dans le cas des terres rares, ces dernières doivent être extraites et séparées du concentré pour être vendus individuellement. C’est donc à partir de ce fameux concentré que Rainbow Mining Burundi manipule toute la chaine de production jusqu’à la vente.
  1. Tricherie au niveau de la TENEUR DU CONCENTRÉ de terres rares. Soyez rassurés, les quantités de concentrés de terres qui sont commercialisées sont bien contrôlées par toute la chaine de contrôle de l’Administration, à commencer par l’OBM (Office Burundais des Mines et carrières) et le ministère en charges du secteur minier! Le vol ne se fait pas à ce niveau. Le vol se fait d’abord en trichant sur la TENEUR. En effet, Rainbow Mining Burundi déclare systématiquement des teneurs non variables autour de 54%, alors que les analyses chimiques effectuées dans un laboratoire de l’Université du Burundi sur les mêmes échantillons (avec un équipement et un protocole répondant aux standards internationaux) ont révélé une teneur irréfutable de 80.9%. Or, une tricherie sur la teneur du concentré, un produit intermédiaire, a pour conséquence une fraude sur la QUANTITÉ DU PRODUIT FINI. Déclarer 54% au lieu de 80.9%, cela revient à dire que pour 100 tonnes de concentré vendu, il en sera extrait 54 tonnes de produit fini alors qu’en réalité c’est 80.9 tonnes, une différence de presque 27 tonnes. Et comme on va le voir tout de suite, le prix donné au concentré n’a rien à voir avec le prix du produit fini.
  1. Tricherie au niveau du PRIX DU CONCENTRÉ: La société Rainbow International Resources Ltd (RIR), avec la complicité de la Direction de Rainbow Mining Burundi (dont le DG est aussi actionnaire dans Rainbow International Resourced Ltd), « prétend » vendre 1kg de concentré de ces terres rares à environ 1.8 USD (moins de 2 USD). Or, le produit fini extrait du même kilo de concentré de terres rares coûte plus de 6500 USD! C’est donc vraisemblablement ce dernier montant que Rainbow International Resources Ltd empoche tout en déclarant à l’Etat burundais, 1.8 USD comme recette de vente. Soit l’équivalent d’un kilo de farine de manioc (ubududu), pour ainsi dire que l’Etat burundais gagnerait davantage à planter, dans ce périmètre de 39 km carré, des plantations de maniocs.
  1. Ce n’est pas tout! Même le 1.8 USD ne reste sur les comptes de la BRB que le temps d’une rosée. Il retourne immédiatement d’où il est venu pour payer des soi disant frais multiples que la société prétend encourir, souvent sans justifications palpables, ou pour le remboursement des pseudo-arriérés. Mais même dans l’hypothèse de frais zéro, les deux actionnaires, Rainbow International Resources Ltd et l’Etat burundais doivent se partager ce 1.8 USD dans des proportions de 90% et 10%, c’est-à-dire respectivement 1.62 USD pour RIR et 0.18 USD pour l’Etat burundais. Par contre, si ce partage se faisait par rapport à la vente du PRODUIT FINI, les chiffres passeraient de 5850 USD pour RIR et 650 USD pour l’Etat burundais puisque la quantité extraite de produit fini du même kilo de concentré coûte environ 6500 USD.
  1. En fin, comme c’est un « concentré », cela veut dire qu’il contient d’autres substances qui ne sont pas ces fameuses terres rares, mais qui pourraient avoir de la valeur. C’est effectivement le cas! En effet, les résultats d’analyses faites à l’UB montrent que le concentré contient aussi d’autres « substances de valeur » dont des phosphates en quantités industrielles capables d’alimenter l’usine locale de fabrication d’engrais chimiques, sans faire recours à l’importation. Et j’en passe. C’est sans doute ce qu’a voulu dire Son Excellence Monsieur le Premier Ministre lorsqu’il dit ceci: « Twasanze twaribwe kuko bahora bacukura ubutare bakajana n’agataka ». Et pourtant, une disposition du Code Minier oblige toutes les sociétés d’exploitation minière de déclarer d’autres substances de valeurs autres que celles pour lesquelles le permis d’exploitation a été délivré, faute de quoi l’Etat burundais a la prérogative de révoquer le titre minier, sans aucun préavis.

Conséquence sur le plan macroéconomique

Voyons maintenant ce que tout cela représente sur le plan macroéconomique, c’est-à-dire en termes d’une production annuelle de 5000 tonnes (5.000.000 kg) de concentré prévu dans l’Etude de Faisabilité, document à la base de l’octroi d’un titre minier. Comme il a été dit plus haut, le problème majeur ne se trouve pas au niveau des proportions 90% et 10%. Même avec 10% pour l’Etat burundais, le rapatriement des devises passerait de 0.18 USD le kilo à 650 USD le kilo (10% de 6500 USD)! Avec une production annuelle de 5000 tonnes (5000.000 kg) de concentré, la part de l’Etat burundais en termes de rapatriement de devise passerait de presque zéro à 3,250,000,000 USD. C’est au moins 5 fois le budget de l’Etat!

Proposition de solutions

  1. Dans un premier temps, l’Etat burundais devrait suspendre toute exploitation. Ce qui a déjà été fait. Il devrait aussi exiger d’avoir, au sein de la Direction de Rainbow Mining Burundi, un poste de Directeur Général Adjoint, avec un cahier de charge précis et des pouvoirs réels, notamment de signature conjointe sur toutes les transactions.
  2. Dans un deuxième temps, l’Etat burundais devrait, au préalable, s’assurer que le Code Minier actuellement en révision, contient des dispositions claires sur la définition du mot PRODUIT, et ce pour chaque minerai en terme de PRODUIT FINI.
  3. Enfin, sur base du nouveau Code Minier, l’Etat burundais devrait proposer à Rainbow International Resources une CONVENTION MINIÈRE RÉVISÉE comprenant des dispositions contraignantes et non négociables, notamment sur l’obligation d’installer au Burundi une usine de production du « produit fini » et non de ce fameux concentré qui, comme on vient de le voir, est la source de toutes les tricheries.

Enquête de Jean Claude MUBISHARUKANYWA