L’Organisation internationale de la Francophonie à la croisée des chemins
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Depuis l’arrivée de Louise Mushikiwabo, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) vit des changements à la fois brutaux et radicaux qui ont des incidences considérables et affectent tant les ressources humaines que la mémoire organisationnelle, ainsi que les finances de l’organisation.

Point n’est besoin de rappeler ici le grand coup de balai sous le tapis de l’organisation qui a vu partir brutalement plusieurs directeurs alors que leurs contrats de travail étaient encore valides. La purge ne s’est arrêtée qu’au personnel de direction nommé par l’administration précédente.

Les numéros deux et trois de l’organisation en ont fait également les frais. Le directeur de cabinet Nicolas Groper tout comme l’administratrice de l’OIF Catherine Cano, nommés début 2019 pour une durée de quatre ans, ont démissionné successivement en novembre 2019 et octobre 2020, en raison des grandes divergences de vues qui subsistent en ce qui concerne le mode de gestion ainsi que la culture organisationnelle.

Alors que Mme Cano était supposée venir redresser l’« opacité », le « manque de transparence », la « mauvaise gestion » de l’administration précédente, que s’est-il réellement passé pour qu’elle démissionne en catastrophe en moins de deux ans seulement ?

Pendant ce temps, la Secrétaire générale poursuit assidûment ses efforts de réforme interne, dit-elle, « pour dynamiser et rendre plus agile l’OIF, afin qu’elle puisse pleinement remplir sa mission et servir au mieux les populations de l’espace francophone, ainsi que ses États et gouvernements membres. »

Le Plan d’organisation de l’OIF pour la période 2020-2022, qui a été envoyé la semaine dernière aux Représentants personnels des chefs d’État et de gouvernement lors de la 112e session du Conseil permanent de la Francophonie (CPF) qui s’est tenue par vidéoconférence les 4 et 5 novembre derniers, au cours de laquelle on leur a demandé de l’adopter le même jour, prévoit « des recrutements, des mutations, des redéfinitions de fonctions, des non-renouvellements d’engagements de durée déterminée, des suppressions de fonctions rendues vacantes par le départ à la retraite de leurs titulaires, des suppressions d’emplois et des résiliations d’engagements. »

Mais cette fois-ci, la vague de licenciements touche les fonctionnaires nommés pour une durée indéterminée. Les échos portés par le vent qui nous parviennent de Paris à propos des changements qui s’opèrent et leur impact éventuel sur les finances de l’organisation sont très inquiétants.

Aussitôt que l’adoption du Plan d’organisation 2020-2022 a été approuvée, un jour après, le vendredi 6 novembre, une vingtaine de personnes, au siège et dans les représentations extérieures, ont été appelées au téléphone pour un rendez-vous le lundi suivant, pour se voir remettre la lettre de licenciement, ce qui ne s’est jamais vu dans toute l’histoire de l’OIF. Le Comité de personnel censé défendre les intérêts du personnel n’a été informé de cette décision que ce même lundi 9 novembre dans la matinée.

Un fait curieux à souligner, au même moment où des secrétaires sont licenciées, une nouvelle secrétaire recrutée de l’extérieur a pris fonction cette semaine à la Direction de l’administration et des finances (DAF) dont la personne qui assure les fonctions de secrétaire fait partie de la liste des personnes licenciées.

« La démission surprise, le 16 octobre 2020, de la Canadienne, Catherine Cano, de son poste d’administratrice de l’OIF, révèle une crise qui est beaucoup plus profonde qu’un simple problème relationnel. Venant d’apprendre le licenciement d’une vingtaine de membres du personnel de l’organisation, je ne peux que déplorer et avoir une pensée particulière pour chacun d’entre eux. », dixit une ex-fonctionnaire de l’OIF.

En lisant la sonnette d’alarme ci-dessous tirée par cette dame qui a travaillé pendant 32 ans pour l’OIF, on mesure bien le degré de déception de la marche actuelle de l’OIF, cinquante ans après.

En tant qu’observateur avisé qui suit attentivement depuis plusieurs années le fonctionnement de l’OIF, je partage entièrement le point de vue de madame qui croit à une crise beaucoup plus profonde qu’un simple problème relationnel.

En effet, je suis persuadé que l’administratrice n’a pas démissionné, mais a été sommée de présenter sa démission. Si tel est le cas, est-il possible que Mme Cano ait quelques squelettes dans son placard qui, une fois dévoilés, risqueraient de mettre en cause la Secrétaire générale ? Sinon, comment expliquer la virulence avec laquelle la porte-parole de la Secrétaire générale s’en prenait à la démissionnaire ?

Toute chose étant égale par ailleurs, nous sommes de ceux qui pensent que pour assurer le bon fonctionnement futur de l’Organisation, il est absolument nécessaire pour le Canada de faire toute la lumière sur le motif réel de ce départ précipité que personne n’a vu venir et de connaître ce qui s’est réellement passé pour qu’on en arrive là, avant d’envisager la nomination d’un nouvel administrateur.

De mémoire récente, l’actuelle Secrétaire générale de la Francophonie a obtenu des États et gouvernements membres, une plus grande flexibilité en matière d’embauche qu’aucun autre avant elle n’avait obtenu. C’est ainsi qu’elle avait procédé, en septembre dernier, à la nomination de sept nouveaux directeurs dans les Représentations permanentes et directions régionales, sans lancer d’appel d’offres et sans concours en vertu du Statut du personnel de l’OIF.

Toutefois, comme cela a été le cas pour plusieurs autres fonctionnaires ayant obtenu des dommages-intérêts pour les préjudices subis, il y a fort à parier sans doute que les fonctionnaires qui viennent d’être remerciés brutalement, alors que nombreux d’entre eux avaient des contrats à durée indéterminés, vont également recourir aux instances judiciaires appropriées pour faire prévaloir leurs droits et obtenir gain de cause.

Alors que l’OIF assiste impuissante à une diminution persistante des contributions volontaires à l’appui de ses activités et que certains États et gouvernements membres ne paient pas leurs contributions dans le délai requis, pour faire face aux défis auxquels sont confrontés les programmes sur le terrain, il y a lieu de craindre sérieusement que le règlement de tous ces litiges coûteux vienne aggraver davantage la situation financière de l’organisation déjà précaire.
 
Par Isidore Kwandja Ngembo.