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En l’espace de deux mois, la Communauté internationale a spectaculairement changé de ton sur la crise au Burundi. Alors qu’elle évoquait en décembre dernier l’envoi d’une force de maintien de la paix, les Chefs d’État africains se retrouvent actuellement à demander le retour de l’aide au gouvernement burundais. Qu’est ce qui s’est passé ? Les coulisses avec Ikiriho.

Avant de commencer les consultations, les Chefs d’État africains ont eu un geste symbolique fort. Tour à tour, ils sont passés s’incliner devant les tombes de Rwagasore et Ndadaye. Respectivement Héros de l’Indépendance et de la Démocratie du Burundi.

Un peu plus tard, le président gabonais demande les circonstances de la mort de tout ce monde. On lui apprend qu’ils ont tous été assassinés. Jusqu’aux enfants et à l’épouse pour Rwagasore pour effacer toute descendance. Capturés chez eux comme des « rats » pour Ndadaye, ses ministres, le président de l’Assemblée Nationale de l’époque et son vice-président, etc.
Grosse émotion d’Ali Bongo. Il ne posera plus question sur le sujet.

Le lendemain, Macky Sall, Jacob Zuma, Hailemariam Desalegn et Mohamed Ould Abdel Aziz se retrouvent autour de leur homologue burundais. Objectif : discuter de la sortie de la crise burundaise.
Selon une certaine indiscrétion, Nkurunziza les fixe, tous. « On vous dit qu’il y a un génocide au Burundi. Soit. Observez bien: dans cette salle où nous sommes, la seule personne qui a une arme sur elle, c’est mon officier d’ordonnance. Il est tutsi. Depuis 10 ans, mon intendant, qui me nourrit au jour le jour moi et toute ma famille, est tutsi. Ma mère, seul parent qui me reste après l’assassinat de mon père, dont je ne sais même pas où se trouve le corps, est tutsi. Dites-moi: ce génocide dont on vous parle, il est contre qui? »

Tous les chefs d’État baissent la tête. Nkurunziza continue : « Ce qui est dommage, les médias et certaines personnes avec des agendas cachés vous servent un récit préfabriqué. Et vous vous hâtez de prendre des décisions sans venir vérifier sur terrain. »

Sur le Rwanda, Nkurunziza enfonce encore une fois le clou. Il prend à témoin les condamnations du gouvernement américain, les rapports d’experts des Nations unies et ceux d’ONGs internationales avant de regretter, non sans reproches : « Et vous, frères africains ? Rien. L’Union Africaine ? Même pas une phrase, pas une condamnation. Mettez-vous à notre place donc, et lisez quel peut être le sentiment des Burundais face à ce silence complice. »

Le lendemain, Jacob Zuma annoncera que la Délégation de Haut-niveau de l’Union Africaine demande le déploiement de 200 observateurs, la relance de l’aide au développement en faveur du Burundi et la poursuite accélérée du dialogue inter-burundais sous la médiation de Museveni. Aucun mot sur la MAPROBU, ni sur le troisième mandat.

Une victoire diplomatique éclatante pour un gouvernement sur lequel on aurait pas parié cher il y a deux mois.
Au lendemain des attaques simultanées contre trois camps militaires à Bujumbura, l’opinion internationale apprenait sur Twitter que l’Union Africaine proposait l’envoi de militaires au Burundi, sans avoir consulté au préalable le futur pays récipiendaire. Une première dans l’histoire de l’organisation continentale.
Et l’annonceur de cette nouvelle diversement accueillie n’était pas n’importe qui: Olivier Nduhungirehe, l’ambassadeur-désigné du Rwanda en Belgique. Le diplomate rwandais précisait d’ailleurs avec dédain que le gouvernement burundais « avait 4 jours pour confirmer le déploiement de la Mission Africaine de Protection et de prévention au Burundi. »

Il est vrai que Bujumbura était sous le feu des médias depuis une semaine. Profitant des attaques du 11 décembre 2015, une vaste campagne de désinformation avait été montée avec des images pour vendre « un génocide en cours au Burundi. » Plusieurs acteurs de la Communauté internationale, et notamment les donateurs, se trouvaient dans l’urgence d’agir.
Les réseaux de l’opposition radicale burundaise au sein de l’Union Africaine s’étaient chargés du reste. En mettant notamment en place un outil fait sur mesure pour contourner les forces de sécurité burundaises au nom du principe de la « Responsabilité Pour Protéger » cher au Rwanda: la MAPROBU.

Bujumbura était devant un fait accompli: accepter l’imposition de la force africaine, ou faire face aux sanctions. C’était sans compter sur le Sommet des Chefs d’État de l’Union Africaine, qui avait le dernier mot en cas de refus des autorités burundaises.
Mais d’abord, celles-ci organisèrent une séance inédite de débat parlementaire sur la pertinence d’une force étrangère au Burundi. Les députés et sénateurs hutu, tutsi et twa étaient tous sans appel: la population qu’ils représentaient avait un message au monde, « Pas de génocide au Burundi! » La MAPROBU n’avait donc pas de place au Burundi. Les manifestations contre le projet de l’Union Africaine commencèrent alors dans tout le pays, avec au premier plan, les plus hautes autorités du pays.

Un mois après, le même ambassadeur rwandais qui annonçait avec fanfare la venue de la MAPROBU tombait des nues: les Chefs d’État africains refusaient une telle force. Et pour savoir la réalité de toutes ces accusations entre le Rwanda et le Burundi ou sur ces « massacres » en cours, une délégation de présidents allait se rendre à Bujumbura.

Entre-temps, ce qui était encore des rumeurs médiatiques ou au pire, des accusations sans fondement, était confirmé par l’administration américaine : le Rwanda assurait l’enrôlement, la formation militaire, l’armement et la logistique des rebelles burundais en recrutant dans les camps de réfugiés sur son sol.
Face à un risque d’embrasement régional, l’Émissaire spécial d’Obama pour les Grands Lacs sera envoyé dans la région pour jouer à l’apaisement.

La séance des travaux communautaires avec Periello et Nkurunziza à Cibitoke inaugurait un autre chapitre dans la résolution de la crise burundaise. Elle était très symbolique: « Les États-Unis ne sont pas l’ennemi du Burundi, et ils se tiennent aux côtés du peuple burundais », semblaient venus dire les diplomates américains couverts de ciment frais, au milieu de la population en liesse.

Le Conseil de Sécurité des Nations Unies est venu au Burundi, et a voyagé à travers le pays, jour et nuit. 5 Chefs d’État africains sont venus ensemble passer une, deux nuits à Bujumbura, une première dans l’Histoire burundaise sous multipartisme. De même qu’une importante délégation des parlementaires de la CIRGL. Toutes ces délégations ont dormi sous la protection générale des forces de défense du Burundi, les mêmes qui font un travail remarqué en Somalie.
Et toutes ces délégations ont eu la même réaction après le séjour : « La différence entre la réalité sur terrain et les informations que nous recevions est saisissante. »

Ban Ki-moon, qui s’attendait à trouver des cadavres le long des routes a eu une phrase symbolique avant de quitter l’aéroport de Bujumbura : « Je suis très satisfait de ma visite. »
Pour souligner ce changement dans l’air, le président Magufuli ne propose même plus la crise burundaise au menu du prochain Sommet des Chefs d’État de l’EAC. Ce qui suscite la colère de certaines organisations de la société civile burundaise.

Ikiriho