L’enracinement, antidote à la haine ethnique
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Dès 1925, plusieurs institutions traditionnelles ont été supprimées. Selon Aloys Batungwanayo, doctorant en science politique à l’université de Lausanne et commissaire de la CVR, la perte de tels repères culturels ne pouvait mener qu’à une guerre fratricide.

Pourquoi les messages haineux et violents ont transcendé des générations malgré la capacité de résilience des Burundais ?

Depuis 1925, les Burundais ont fait un shift et ont adopté plutôt les ethnies que les clans. Et les ethnies ont été bâties sur l’exclusion, la diabolisation, les insultes. Du coup, il y a eu un changement de comportement. Ils ont commencé à mettre en avant des antivaleurs au lieu de mettre en avant des valeurs. Comme conséquence, jusqu’aujourd’hui, il y a célébration des auteurs des antivaleurs au lieu de ceux des valeurs.

Concrètement?

S’il y a eu des crimes en 1965, 1972, 1988, 1993, on a toujours tendance à parler de ceux qui ont orchestré ces crimes. Au lieu de parler des gens qui s’y sont opposés. Par la même occasion, on cite beaucoup Micombero comme planificateur des massacres de 1972. Mais on parle rarement des gens qui ont sauvé des vies. Par conséquent, survaloriser les antivaleurs est souvent un prélude à la violence.

Des sages traditionnels jouaient les intermédiaires en cas de conflit. Ont-ils failli à leur mission ?

Ils n’ont pas failli à leur mission mais l’institution des Bashingantahe à laquelle ils appartenaient, a été supprimée. Depuis 1925, l’âme du Murundi a été détruite. Car sa tradition, sa culture, a été dénigrée au profit de la culture occidentale. Les gens qui incarnaient les valeurs d’Ubuntu ont été dégommés, chassés. Des conseillers du mwami, des gens qui perpétuaient les rites de Kiranga, l’Imana des Barundi (pas Dieu au sens contemporain), ont été diabolisés et ont perdu de l’estime. Ils n’avaient plus le droit ou la capacité de pouvoir concilier les Barundi.

On a mis en avant des gens formés à l’école occidentale et donc suffisamment déculturés. Et on leur a collés le nom de Bashingantahe, de conciliateur, catéchistes, prêtres et pasteurs alors qu’ils n’avaient aucun bagage traditionnel. Chaque fois, la conciliation, la résolution des conflits, passent par les valeurs culturelles d’Ubuntu. Si celles-ci sont supprimées, il n’y a plus de base pour gérer les conflits.

Comment prévenir les messages de haine et de violence ?

Pour prévenir ces messages de haine, il faut d’abord célébrer ces hommes et ces femmes qui ont pris le taureau par les cornes et ont essayé d’arrêter la mécanique du crime, ceux qui ont dépassé le carcan ethnique et régional pour mettre en avant la dignité humaine. Très peu de Burundais connaissent Bihome qui a sauvé le mwami. Mais on parle de Maconco qui est considéré comme un traître. Célébrons les gens qui se sont illustrés dans la sauvegarde de la vie de leurs semblables.

La commission d’un crime n’est qu’une fin en soi. Pour le prévenir, il faut d’abord humaniser les gens. Ne pas prononcer des mots qui blessent les autres. Car si l’autre souffre, il cherchera toujours à contre-attaquer. Avoir en tête que ce qui arrive à autrui peut aussi nous arriver. Faire également son autocritique. De telles façons d’agir peuvent être des barrières aux messages de haine qui peuvent déboucher à des violences de masse.

Et les pouvoirs publics dans tout ça ?

Je trouve important qu’il faut travailler plus sur les individus qui incarnent l’autorité. Les pouvoirs publics ne sont que des institutions exercées par des personnes. Si quelqu’un d’une moralité douteuse est amené à exercer des responsabilités, il agira sur le dos de l’institution qu’il incarne.

Par jeremie Misago (Iwacu)