Interview exclusive avec le Pr Jean-Marie Sabushimike :« L’ouverture des zones urbaines sur le littoral ne tient pas compte du risque potentiel »
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Des éboulements, des maisons qui s’effondrent dans les Mirwa, les eaux du lac Tanganyika qui poursuivent leur montée… Le géographe Jean-Marie Sabushimike fait le point. Il propose des solutions pour la protection de Bujumbura.

A Kabezi, plus de 100 sans-abris suite à l’éboulement des montagnes. Pourquoi ce phénomène ?

C’est très inquiétant. Sur les escarpements des failles des Mirwa, on observe un système de ravinement qui prolifère de l’amont à l’aval. Ces cisaillements des sols s’expriment à la suite de fortes pluies entraînant des infiltrations massives dans des zones déjà fissurées. Lorsque l’eau s’y accumule, cela aboutit à la rupture d’équilibre naturel de ces sols qui ouvre la voie à la fracturation et au ravinement généralisé.

Et la part de l’homme ?

Les sols des Mirwa ne sont plus protégés, suite à l’occupation humaine. Ainsi, ils deviennent fragiles surtout quand cela se fait dans une région avec des pentes fortes et longues. Et c’est vers l’aval que va se créer des ravins sous forme de ce que l’on appelle l’érosion progressive. Les ravins qui évoluent vers le lac.

Que faire ?

La solution, c’est d’agir à temps. Beaucoup de petits ravins deviennent grands, alors que si l’action de leur correction était intervenue à temps, on aurait maîtrisé leur dynamique. Si rien ne change, le coût de l’inaction restera très important. Idem sur le littoral du lac.

Quelles sont les causes de cette montée inquiétante du lac ?

Les changements climatiques constituent le facteur déclenchant. Mais il existe des facteurs aggravants comme ces aménagements du territoire non respectueux de l’environnement. Les zones tampons ont été systématiquement détruites pour y construire des plages, des hôtels, etc. Il y a aussi le non-respect des lois et règlements en vigueur. Si les 150 m recommandés par le code de l’eau étaient respectés, il y aurait moins de dégâts. Ajoutons l’absence de la culture du risque.

Qu’est-ce qui le prouve ?

Les zones inondées aujourd’hui avaient connu des inondations plus graves en 1961, 1962, 1963 et 1964, quand le lac avait atteint 777, 82m. Les inondations de Kajaga en 1991. Mais, cela n’a pas empêché les gens de continuer à s’y installer. Les noms de certains coins, comme Kajaga, Kibenga sont aussi révélateurs. On devrait s’interroger avant d’y aménager des lotissements urbains. En substance, l’ouverture des zones urbaines sur le littoral ne tient pas compte du risque potentiel.

Qui devrait faire respecter ces lois, ces zones tampons ?

Les pouvoirs publics sont les premiers responsables. Ce sont eux qui les ont mises en place. Nous avons observé comment ils ont interdit formellement certaines constructions. Ce qui n’a pas empêché qu’elles reprennent comme si ces propriétaires étaient plus puissants que l’Etat.
Les textes actuels devraient être complétés par des lois supplémentaires, notamment la loi sur la prévention des risques et la gestion des catastrophes.

Quelle différence entre ‘’changements climatiques’’ et ‘’réchauffement climatique’’ ?

Certains confondent les deux concepts. Le réchauffement ou dérèglement climatique est tout simplement l’augmentation de la moyenne de la température à la surface du globe terrestre.

Quant aux changements climatiques, c’est beaucoup plus en termes de manifestations spatiales des faits réels : sécheresses, inondations, glissements de terrain, etc. Les deux vont de pair, sauf que le premier provoque le deuxième.

Aujourd’hui, on voit l’étalement de la ville surtout vers les montagnes…

Il faut faire attention sur cette croissance vers les hauteurs des Mirwa. Sur ces montagnes, ce sont des rochers fragiles à cause de leur fracturation à l’échelle des terrains. Ils s’altèrent très rapidement et forment des horizons pédologiques sur des profondeurs très remarquables. Ce sont ces mêmes rochers qui sont à l’origine de glissements de terrains lorsque la lithologie et la tectonique se combinent pour fragiliser le paysage dans un contexte climatique chaud et humide, comme le nôtre surtout quand il pleut abondamment.

Si vous étiez chargé de la planification urbaine, que proposeriez-vous pour avoir une ville résiliente ?

C’est très simple. Il faut disposer des outils classiques connus de l’urbanisme. Il y a d’abord le schéma directeur d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Il est fondamental. Malheureusement, nous n’en avons pas aujourd’hui. Or, c’est un document hautement stratégique. C’est lui qui peut définir les zones constructibles et celles non constructibles. Et il faut l’accompagner par ce qu’on appelle le plan local d’urbanisme. Ce qui sous-entend tenir compte de l’occupation des sols selon les spécificités de telle unité de paysage, avant de parler de l’agglomération urbaine dans son ensemble. Chaque commune urbaine devrait avoir son plan d’urbanisme. Les communes devraient avoir un autre outil d’urbanisme moderne : le plan de prévention des risques (PPR).

C’est-à-dire ?

C’est un document montrant les zones à risques géographiquement et qui sont soumises à des risques soit naturels ou anthropiques : des inondations, des glissements de terrain, etc. Les PPR aident la prévention des risques ou la gestion des catastrophes.

Récemment, vous avez proposé le déménagement forcé des habitants de Gatumba. Aujourd’hui, les eaux les ont retrouvés au même endroit. Pourquoi cette délocalisation n’a pas eu lieu ?

(Rires). Là, c’est trop me demander. Mais, il faut revenir sur les comportements et les attitudes de ces populations actrices et victimes à la fois. Aussi, il y a un problème de moyens financiers et techniques. Le gouvernement peut avoir de bonnes intentions mais être limité par les moyens pour délocaliser et installer durablement les sinistrés ailleurs.

Ce qui signifie que certains ne veulent pas quitter la localité ?

On a menacé l’administrateur quand je lui ai dit qu’il fallait les forcer à vider les lieux. Mais, c’est la seule solution efficace, car on peut connaître des situations beaucoup plus graves avec des pertes matérielles et humaines. Il faut ajouter que ces pollutions ont aussi un impact sur la santé. Le sol, la nappe phréatique et l’air sont pollués. Ce qui fait craindre des risques de choléra, de paludisme, etc.

Faisant référence au lac et aux Mirwa, l’on entend dire souvent que ‘’Bujumbura se trouve entre deux monstres’’. Qu’en pensez-vous ?

Je ne le dirais pas ainsi. Mais, la planification urbaine devrait comprendre les contraintes imposées par les Mirwa d’un côté, et les limites fixées par le lac, de l’autre. Il faut dont protéger sa biodiversité tout en planifiant la ville. Aussi, planifier Bujumbura tout en sachant que les Mirwa constituent des contraintes géologiques, géomorphologiques, hydrologiques et climatiques.

Pour y parvenir, il faut absolument une multidisciplinarité pour l’aménagement durable de la ville tout en tenant compte des trois écosystèmes : Imbo, Tanganyika et les Mirwa.

Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze