Interview exclusive avec Adrien Sibomana : « La politique, c’est aider les gens à mieux vivre »
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Dans une interview accordée à Iwacu, l’ancien Premier ministre, Adrien Sibomana, nous livre ses éclairages sur ses actuelles occupations, pourquoi il n’est plus sur la scène politique. Il s’exprime aussi sur le processus électoral en cours.

Que faites-vous actuellement ?

Je suis un retraité. Mais être en retraite ne veut pas dire la fin des activités. Je suis impliqué dans l’agriculture biologique. Depuis 2011, je travaille sur les méthodes agricoles qui sont de plus en plus à la mode. Je pratique une agriculture durable et rentable, c’est-à-dire une agriculture utilisant des intrants locaux (engrais, pesticides). Nous travaillons aussi sur des techniques de plantation qui sont beaucoup plus rentables.
Je participe aussi dans les associations civiles comme l’institution des « Bashingantahe » (notables).

Avez-vous un financement pour cette agriculture?

Le financement, c’est ma tête (rires).

Quid de l’institution des Bashingantahe actuellement ?

C’est une institution qui fonctionne bien. Nous avons des Bashingantahe investis dans tout le pays qui aident chaque jour les gens à résoudre leurs conflits. Ils font tout pour faire régner la paix sociale.

Quel est son apport au processus électoral en cours ?

Nous n’avons pas de programmes par rapport aux échéances électorales. Nous avons envoyé des messages clairs aux Bashingantahe les invitant à se comporter comme de vrais modèles. Ils prodiguent des conseils aux partenaires politiques pour qu’ils fassent preuve d’humanité, d’honnêteté tout en se respectant mutuellement.

L’intolérance politique s’observe dans certains coins du pays où des jeunes affiliés à différents partis politiques se rentrent dedans. Quel est le rôle des Bashingantahe dans cette situation ?

Ils leur prodiguent des conseils. Il ne sert à rien de s’entre-tuer, de se faire du mal. En tout état de cause, ces jeunes sont condamnés à vivre ensemble. Que chacun aligne ses meilleures idées et laisse les gens choisir qui ils veulent.

Etes-vous encore membre de l’Uprona ?

Cela est une vieille histoire. Je l’ai quitté depuis 2002. Cela fait presque 20 ans que je n’appartiens à aucun parti politique.

Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter la scène politique ?

La politique, c’est aider les gens à mieux vivre. Le mot politique a perdu actuellement son sens originel. Actuellement je fais de la politique puisque j’aide les gens à mieux cultiver. Je contribue au bien-être des citoyens, au développement. Je fais de la politique sans être dans les partis politiques.

L’actuelle Constitution prévoit un poste de Premier ministre. Quels conseils donneriez-vous au prochain Premier ministre ?

Cela a été une bonne idée pour le législateur. Aujourd’hui, tous les yeux sont braqués sur le président de la République alors qu’il devrait y avoir un chef du gouvernement qui pilote son action pour éviter des chevauchements.

Les actions des ministères sont parfois complémentaires. S’il n’y a pas quelqu’un qui a une vision globale, il peut y avoir des difficultés. Si vous résolvez un problème ici, il se pose de l’autre côté. S’il n’y a pas quelqu’un pour s’en occuper, c’est le chef de l’Etat qui est sollicité alors qu’il ne devrait pas être partout. Il exerce son pouvoir avec son Premier ministre. Avec le poste de Premier ministre, il est beaucoup plus facile de gérer les affaires politiques, économiques et sociales.

Quelle appréciation faites-vous par rapport au processus démocratique au Burundi?

Les choses semblent bien marcher. Les partis existent et fonctionnent. Maintenant, il faut veiller à ce qu’il y ait la tolérance politique. Je vois qu’on s’achemine vers une redynamisation de notre démocratie.

Vous avez été ministre du Plan. Comment appréciez-vous actuellement la planification économique au Burundi ?

Des plans stratégiques existent, mais le problème est de les piloter. Je crois que ceux qui doivent les exécuter n’ont pas de moyens. La difficulté réside dans l’enchevêtrement des actions. A titre d’illustration, dans les années 90, il était prévu un plan de la protection de la ville de Bujumbura contre les dégâts que causeraient les eaux des rivières qui la traversent. Mais dans la crise qu’on a traversée, personne n’y a pensé.

Si on avait planifié depuis longtemps, si on avait commencé à planter en amont des arbres, des bambous, à protéger les berges des rivières, on connaîtrait moins de difficultés. Probablement qu’il y a un manque de moyens, mais je pense qu’il faudra avoir une vision à long terme parce que les gens sont accablés par les problèmes du quotidien. Ils n’ont pas le temps d’y penser en profondeur.

Si vous redeveniez Premier ministre, quelle serait votre priorité?

Ma première mesure serait la protection de l’environnement. Sans un environnement sain, on ne peut pas cultiver. Il faut protéger notre sol, tout ce qui nous entoure. Lorsque vous détruisez même là où vous habitez, vous ne pouvez rien faire.

D’aucuns critiquent le travail de la CVR. Comment appréciez-vous son travail ?

Il faut connaître la vérité si les Burundais veulent réellement se réconcilier. La commission mène un bon travail. Mais un tel travail suscite toujours des émotions. De mon point de vue, il faut savoir gérer ces émotions. Il faut les canaliser en cherchant des psychologues cliniques qui prennent en charge les victimes.

A titre d’exemple, j’ai vu une femme qui, depuis 1972, demandait toujours où on avait enterré son père. Imaginez-vous si elle voit subitement le crâne de son père. Il faut absolument la prendre en charge psychologiquement. Pas seulement elle, même aussi tous ceux qui ont trempé dans ces tueries.

Par Félix Nzorubonanya  (Iwacu)