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Dans une analyse parue en début de ce mois d’avril 2016, le professeur André Guichaoua disait, à propos du conflit désormais public entre le Burundi et le Rwanda que « L’absence de leadership clair, de direction politique et de discipline au sein de l’opposition burundaise semble avoir dissuadé les dirigeants rwandais de poursuivre leur politique interventionniste initiale pour privilégier une stratégie d’isolement et d’affaiblissement du pays voisin. »

Il n’a pas fallu longtemps pour que les observateurs se rendent comptent des éléments validant cette hypothèse. Une véritable vague d’accusations contre les autorités burundaises se déroule sous nos yeux, avec comme point central le mot « génocide« . C’est vrai que, depuis 2014, les Burundais sont désormais habitués à l’opération, chaque fois que le Rwanda commémore en avril les centaines de milliers de victimes du génocide de 1994.
Pourtant, cette année revêt un caractère particulier du fait de la crise politique qui secoue le pays depuis début 2015. Ce qui explique d’ailleurs l’importance des moyens investis dans l’opération de « PR » contre le pouvoir de Bujumbura.

On ne compte plus les articles de Deutsche Welle sur la menace imminente de l’éclatement de l’armée burundaise. La FIDH et la ligue Iteka ont tout simplement accusé les forces de sécurité burundaises d’opérer « sur fond d’idéologie ethnique et génocidaire« . Puis Fox News a tiré sur la police burundaise, dont on dit qu’elle est « hutue », en l’accusant de racket des prisonniers. Jeune Afrique, sous la plume du virulent Rémi Carayol s’en donne à cœur joie contre la Documentation. Et, bien sûr, le haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies Zeid Ra’ad Al Hussein de conclure son dernier rapport sur le Burundi en avertissant que les membres et officiers tutsis «semblent être particulièrement pris pour cible dans la répression en cours», qui aurait déjà fait «345 cas de torture et mauvais traitements depuis début 2016.»

Pourtant, cette campagne de communication négative contre Bujumbura cache sciemment l’essentiel: les tentatives répétées, depuis août 2015, de diviser l’armée du Burundi visent premièrement les officiers hutu.
Le scenario est connu, désormais. Tuer progressivement le maximum de hauts officiers hutus de la FDN et de la PNB, surtout ceux qui ont fait capoter la tentative de putsch du 13 mai 2015 comme le Lt-Major Darius Ikurakure. Ainsi, les autres officiers de rang inférieur, se sentant menacés, vont recourir à la vengeance. Ce qui va déboucher sur un cycle d’assassinats réciproques à grande échelle entre Hutus et Tutsis, qui aboutira à l’implosion de l’armée, et au final, au chaos.
La première victime de ce plan dit « kamwe kamwe » fut le Lt-Général Adolphe Nshimirimana. Puis ce fut la tentative avortée d’assassinat du Chef d’État-major de l’Armée, le Général Prime Niyongabo. Puis, une tentative d’assassinat du Commissaire Alain Guillaume Bunyoni, déjouée à la dernière minute fin 2015. Sans compter les nombreux essais d’attenter à la vie du Président Nkurunziza, dont on ne saura jamais les détails.

Ce plan d’assassinats ciblés a finalement été pris au sérieux par tous les hauts officiers hutus. Leurs gardes ont été renforcées. Les planificateurs du « kamwe kamwe » ont alors choisi de faire diversion. En s’appuyant sur la MINUSCA en Centrafrique, dirigée par Parfait Onanga Anyanga qui n’aime pas beaucoup le pouvoir de Bujumbura. La pression changeait d’épaule: une liste d’officiers hutu à expulser de la mission onusienne a été montée. Elle fut grandement relayée par des activistes de l’opposition radicale comme Pacifique Nininahazwe FOCODE, ou Vital Nshimirimana du FORSC.
Le Colonel Gaspard Baratuza, porte-parole de la FDN, fut renvoyé de Centrafrique pour « son rôle » lors de l’attaque du 11 décembre 2015. Son crime officiel: avoir notamment lu un communiqué faisant état d’une « attaque » contre l’armée, et la mort des assaillants qui s’en est suivi. Pourtant, aucune ligne n’a jamais été écrite sur le Chef d’État-major adjoint, qui coordonnait les opérations du 11/12/2015. Pour cause: il est tutsi.

Le Colonel Baratuza de retour donc au Burundi. De même que le Lt-Major Darius Ikurakure, son frère, ainsi que d’autres officiers hutu, lynchés au préalable par les comptes des réseaux sociaux pro-opposition et pro-FPR comme des bêtes sanguinaires, travaillant avec les FDLR, etc. Une musique rodée, qui a failli s’étendre à l’AMISOM avec le hashtag sur Twitter #bringbackoursoldiers.
Les officiers rentrés, le plan « kamwe kamwe » pouvait reprendre: Darius sera assassiné par un collègue au sein même de l’EMG, en pleine journée. Puis, quelques temps après, ce fut l’assassinat du Capitaine Dr Élie Mugabonuwundi, un jeune médecin très prometteur de l’Hôpital militaire de Kamenge. Hutu, lui aussi.

Malcom X disait: « Faites attention aux médias, ils vous feront aimer le bourreau en le présentant comme la victime. »
Depuis, d’autres officiers hutus savent qu’ils sont à l’article de la mort, afin que les militaires hutus et tutsis s’entre-déchirent. Ils y font face avec courage, et un peu de résignation. « Que faire d’autres?« , se demande un d’entre eux, originaire du centre du Burundi. « Ce fut le cas pour nos pères, en 1972. Ce fut aussi le cas de nos frères, de 1993 à 96. Chaque crise a eu des sacrifiés. Jusqu’à ce que tous les Burundais comprennent que nous devons vivre ensemble, sans complexe de supériorité, ou d’infériorité. »

A propos justement de la situation burundaise, FIDH, Jeune Afrique, Deutsche Welle ou encore Zeid Ra’ad Al Hussein oublient de dire que l’étape sécuritaire franchie en avril 2016 après des mois de violences est le fruit d’un travail commun entre Hutus et Tutsis.
Le karaoké a repris non loin de Nyakabiga, à Avenue de l’Université, grâce à la police et aux renseignements composés de hutus et de tutsis qui ont usé de la méthode forte face aux jets aveugles de grenades et de mortiers sur des populations innocentes. Ce n’est pas Kigali, les capitales européennes ou les villes américaines qui s’offusqueraient de ces procédures. Mais aussi, les karaokés ont repris à Bujumbura grâce à l’engagement sans faille des personnalités comme le premier vice-président Gaston Sindimwo, le maire de la ville, Freddy Mbonimpa, et tous ces élus, tutsis, natifs de la capitale qui œuvrent en coulisses contre la radicalisation politique dans de nombreuses familles tutsies.
Leurs réseaux ont permis de pousser des dizaines de jeunes à abandonner le recours aux armes, de Musaga à Cibitoke en passant par Nyakabiga. Une mission de la Banque Mondiale vient d’ailleurs de séjourner à Bujumbura pour étudier comment implanter des usines dans ces quartiers pour pallier au problème de manque d’emplois, qui nourrit le terrorisme et la violence.

En attendant que les consultations sous Mkapa pour la reprise des négociations aboutissent, le gouvernement burundais a opté pour la fermeté sur le plan sécuritaire. Quelque soit l’ethnie de ceux qui sont derrière la déstabilisation des forces armées.
Mais cette fermeté devrait se lire aussi dans la lutte contre la corruption. Sans ces deux paramètres, la sécurité et la gouvernance, il est impossible d’attirer ces investissements dont le Burundi a tant besoin, alors que l’aide se fait se plus en plus rare.