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Albert Shingiro : « Le double vote à Genève sur le Burundi est le fruit de l’entêtement de certains pays de l’UE »albert-shingiro-amb.-burundais-a-new-york-650x433.jpg

L’ambassadeur du Burundi aux Nations Unies rejette la démarche qui a abouti au vote de deux résolutions sur le Burundi les 28 et 29 septembre de cette année, au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies.

Albert Shingiro, Ambassadeur du Burundi à New-York
Quelle lecture faites-vous de la procédure qui a abouti au vote de deux résolutions sur le Burundi à la fin du mois de septembre ?

La double mise aux voix (vote) du Conseil des droits de l’Homme (CDH) à Genève sur le Burundi fut une démarche inhabituelle dans le concert des nations et un échec du multilatéralisme positif. Au nom du respect de la pratique diplomatique ou de la clean diplomacy, l’EU devait retirer son projet de résolution au lendemain de l’adoption confortable du projet initié par le Groupe Africain et donner la chance à la coopération.

Jusqu’à présent aucune voix ne mentionne une procédure formelle violée par l’UE en faisant voter sa résolution au lendemain de celle du groupe de l’UA…

Nous déplorons le forcing de l’UE pour obtenir une autre résolution sur le même pays, même sujet, même session et créant deux mécanismes parallèles avec des missions diamétralement opposées en un temps record de 24h. Ce forcing est le fruit de l’entêtement et de la volonté de certains pays bien connus de l’EU de poursuivre leur agenda caché sur le Burundi. L’UE est un partenaire traditionnel privilégié du Burundi et une telle confrontation ne se justifie pas après deux ans. Il faut bouger et embellir nos relations dans l’intérêt de nos deux peuples respectifs.

Quel est l’mpact sur le citoyen lambda burundais de cette résolution si chère à l’UE et décriée par le Burundi ?

La démarche à caractère conflictuel de certains pays de l’UE sur le Burundi n’aboutira jamais face à un peuple plus que jamais déterminé à défendre sa souveraineté à n’importe quel prix. Aujourd’hui, il y a un début de bonne volonté de part et d’autre pour fermer la page de 2015. Les deux parties doivent saisir l’occasion pour embrayer sur ce momentum et garder la flamme allumée.

La reconduction de la commission Ouguergouz est destinée à chercher des preuves supplémentaires de violations des droits de l’Homme, avec la probabilité de trouver des éléments à décharge contre le Burundi. Votre lecture ?

Pourquoi reconduire le mandat de la Commission d’enquête après la présentation de son rapport final? Ce dernier est-il final et partiel à fois ?

Deux résolutions diamétralement opposées, dites-vous. Mais certains diplomates à Bujumbura et l’opposition burundaise parlent de complémentarité …

Il est clair que l’adoption par le Conseil des droits de l’Homme de la résolution initiée par le Groupe Africain constitue un rejet implicite de certains passages du rapport de la commission d’enquête car la Résolution “africaine” ne reprend pas son langage radical et politiquement infecté, contrairement au projet initial de l’UE.

Quid de la mise en application ? Le Burundi coopérera avec quelle commission finalement ?

En règle générale, les pays coopèrent pleinement dans la mise en application des résolutions auxquelles ils ont été associés de près ou de loin lors des négociations. En cas d’un forcing qui ignore le pays concerné, une pleine coopération de ce pays devient alors moins probable.

Les deux ont été votées, la coopération devrait être entière….

Comme vous le savez, le consensus est et reste le meilleur résultat des négociations en diplomatie multilatérale. La mise aux voix est un demi-échec pour une partie et un demi-succès pour l’autre mais jamais un succès partagé.

Le refus de coopérer avec la Commission Ouguergouz sert d’argument pour l’Occident et l’opposition que le Gouvernement n’est pas soucieux de la protection des droits de l’Homme ?

Pas du tout! Le Burundi attache une grande importance à la protection des droits de l’homme. Ce que nous rejetons est la dérive actuelle vers à la politisation, la sélectivité et le double standard de ces pour faire avancer des agendas cachés de certains pays dits “puissants” dans les pays en développement en général et en Afrique en particulier. En politisant à outrance les droits humains pour habiller diplomatiquement les interventions étrangères pour changer les régimes indésirables ou “insoumis”, ces pays s’écartent des principes de la Déclaration Universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948. Tout doit se faire à travers une coopération mutuellement bénéfique et respectueuse. Je rappelle que l’article 29 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme précise que ces derniers ne pourront, en aucun cas, s’exercer contrairement aux buts et aux principes des Nations Unies.

Deux résolutions, double impact sur les finances de l’ONU ?

Sur le plan budgétaire, créer deux mécanismes, pour un même pays, même sujet et durant la même session est tout simplement un gaspillage de ressources de l’ONU qui en a le plus besoin en ces périodes de coupures budgétaires. C’est aussi un mauvais précédent pour les prochaines sessions du Conseil des droits de l’homme.

La résolution de l’UE, sans conséquences sur les relations entre le Burundi et l’UE ?

La résolution de l’UE vient encore une fois nourrir des confrontations inutiles avec le Burundi au moment où ce dernier cherche à normaliser ses relations avec ses partenaires européens. Le harcèlement politico-diplomatique contre le Burundi qu’on observe depuis plus de deux ans n’est pas de nature à apaiser les esprits dans le pays. La normalisation de nos relations avec le partenaire européen doit passer impérativement par une coopération mutuellement bénéfique et respectueuse dans les trois piliers d’actions de l’ONU: paix et sécurité, développement et droits de l’homme. Faire le contraire est contre-productif pour les deux parties. Vous savez, aucun pays, grand ou petit ne peut tout donner mais chaque pays a quelque chose à donner à l’autre. C’est une réalité que certains partenaires oublient malheureusement.

Par Philippe Ngendakumana