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Ils étaient plus d’une centaine: les orphelins, parents et amis des victimes du génocide commis contre les Hutus du Burundi en 1972 vivant en Belgique ou de passage dans la capitale bruxelloise. Ils se sont retrouvés ce samedi 30 avril 2016 du côté de Saint Gilles dans la salle de Piano Fabriek pour se recueillir, échanger et partager dans le cadre de la commémoration du 44ème anniversaire du génocide commis contre les Hutus d Burundi en 1972 par le régime de Michel Micombero selon “le plan Arthémon Simbananiye” en étapes suivantes: 1) semer la haine entre les etnhies en noircissant fortement les hauts intellectuels hutus; 2) vous faire disparaitre physiquement (c’est à dire le président Micombero) pour plonger le pays dans la confusion et la colère; 3) tablant sur les faux bruits déjà en circulation, crier haro sur les Hutus pour récidive de 65. Alors, il ne restera plus qu’à lancer une répression sanglante sur des cibles choisies d’avance et à se montrer très actif dans l’épuration criminelle, pour réclamer le pouvoir comme rançon du zèle. Après ce coup de balai, l’apartheid régnera au Burundi et le “péril hutu” sera anéanti à jamais;”

Les cérémonies ont débuté par une longue prière dirigée par l’abbé Daniel NAHIMANA. Il a été l’occasion de souligner ce “combat de longue haleine” afin de tirer de l’oubli les suppliciés du génocide de 1972 contre les Hutus et d’oeuvrer pour la vérité sur toutes les responsabilités dans ladite catastrophe. Et l’abbé Daniel NAHIMANA de rappeler le long combat des Arméniens pour la reconnaissance de ce qui leur arrivée comme génocide: “Les Arméniens l’appellent “Metz Yeghérn”, autrement dit le “Grand Mal”: un million et demi de personnes furent massacrées par le régime turc de l’époque. Le cardinal Léonardo Sandri, préfet de la congrégation pour les Eglises Orientales, a rappelé aussi les martyrs chaldéens, assyriens aussi victimes d’atrocités et de barbarie. Il a déploré les silences des puissants de ce monde alors que le devoir de mémoire est une démarche incontournable si on veut parvenir à la réconciliation dans la vérité et la justice”. Puis les personnes présentes ont été invités à présenter des intentions pour le repos des âmes des victimes, pour la justice, pour la paix et la réconciliation des Burundais.

La transition a été un chant burundais “Yego mama urabaramutsa cane” pour souligner que les exilés ont toujours leur mère patrie à coeur et qu’ils doivent s’impliquer dans les efforts de résilience générale et de guérison des traumatismes. Pour souligner que l’heure n’est pas au répit, Joseph Ntamahungiro a présenté le livre de Rose Ndayahoze sur son mari assassiné en 1972: “Le commandant Martin Ndayahoze, un visionnaire” publié par les éditions Iwacu de Bujumbura. Il a brossé brièvement la vie du commandant Ndayahoze qui fut ministre de l’information, ministre de l’économie et secrétaire général du parti UPRONA sous le régime de Michel Micombero. Il se fiança et se maria avec Rose Karambizi, une tutsie rwandaise avec laquelle il eut trois enfants. En sa qualité de ministre de l’information et de secrétaire général de l’UPRONA, Martin Ndayahoze a produit des analyses pertinentes adressées directement au président Michel Micombero pour dénoncer le “plan Simbananiye” et ses conséquences sur le pays.

Déjà en 1967, Martin Ndayahoze écrivait: “Le militantisme n’est pas non plus dans les applaudissements, mais dans la volonté de création: la création effective et utile…L’histoire du coup d’Etat hutu constitue une manoeuvre de diversion montée par un groupe ethno-politique qui drainait dans les jours passés toutes les suspicions publiques quant à son comportement révolutionnaire. Alors pour dévier les bruits sur d’autres cibles, le groupe a inventé les propos de coup d’Etat hutu.” Et en guise de remède au tribalisme, Martin Ndayahoze recommandait déjà en 1968: “…tous les responsables doivent se garder de toute attitude injuste et irrationnelle dans l’exercice de leurs fonctions…Dans les recrutements, nous devons veiller à ce que la distribution des charges soit en concordance avec la hiérarchie des talents.Car la démocratie révolutionnaire exige que les capacités de chaque individu soient seules à déterminer sa place dans l’échelle sociale.” Pour le reste, nous vous recommandons à lire le livre.

La troisième activité de la journée fut la présentation de l’historique et des réalisations de l’association “Honorer nos héros” de Bruxelles. Mathias Rugurika a fait remarquer que les débuts de cette action noble de commémoration ont été très timides avec une poignée de Burundais qui répondait aux invitations. Il s’est félicité de la forte affluence à l’occasion du 44ème anniversaire et a promis que l’année prochaine, il sera question de sortir des quatre murs pour une action avec une forte médiatisation. Et d’inviter les survivants du génocide à répondre nombreux au 45ème anniversaire et à soutenir financièrement le comité d’organisation.

Comme quatrième activité, ce fut la présentation du Collectif International des Survivants du Génocide de 1972. Le docteur Amédée Nkeshimana est revenu sur les actions menées par le collectif depuis 2014 et surtout celle visant à saisir l’Organisation des Nations Unies d’une demande appuyée par plus de cinq mille signatures des rescapés du génocide afin de faire reconnaître ce qui est arrivé aux Hutus du Burundi en 1972 comme un génocide. Il a confié que les signatures ont été déjà réunies et que le Collectif compte faire une demande en bonne et due forme dans les jours à venir. Il a été indiqué qu’à Bujumbura, la commémoration a connu une affluence relative quant à la marche organisée en ville vers les charniers de Buterere mais que pour la première fois, les autorités étaient plus ou moins favorables à une action d’envergure nationale. A quand le décret déclarant la journée du 29 avril “journée de commémoration du génocide commis contre les Hutus et du régicide contre Charles Ndizeye alias Ntare V”?

Les présentations étaient suivies par des interventions sous forme de questions ou de contributions des personnes présentes. Aux environs de dix-neuf heures, la commémoration qui avait commencé à 14heures s’est poursuivie dans une autre salle, dans un bar pour être précis, autour d’un verre. Les échanges se sont poursuivis dans une ambiance plus conviviale et l’alcool coulait à flots comme lors des rencontres des Burundais qui se respectent!

Petite observation inspirée par le livre de Rose Ndayahoze

Il est incontestable que Martin Ndayahoze fut un visionnaire. Il fut par contre très naïf car il avait une confiance aveugle dans le président Micombero jusqu’à la désillusion le jour de sa condamnation à mort. S’il a eu le courage de porter la plume dans la plaie burundaise, il a cependant pris à la légère la dangerosité des “Himas” qui avaient chassé le roi sur conseils d’un certain Ntiruhwama. Or, comme le précise Rose Ndayahoze, dès 1959, sur conseils des réfugiés tutsis rwandais, les extrémistes himas et d’autres Tutsis jaloux de la réussite des intellectuels hutus, ont commencé à sensibiliser et aider à planifier l’extermination des Hutus pour se prévenir contre ce qui était arrivé au Rwanda en 1959. On note déjà que lors des fiançailles de Martin Ndayahoze et Rose Karambizi, la famille de cette femme de coeur et de courage, a déconseillé un tel mariage en disant que les Hutus allaient être massacrés systématiquement, à commencer par ceux comme Ndayahoze qui étaient au gouvernement!

Il faut souligner que le génocide de 1972 a commencé à se préparer depuis 1960. Ntiruhwama qui était secrétaire particulier de l’archêveque belge de Gitega ambitionnait de prendre le pouvoir comme Grégoire Kayibanda au Rwanda. Mais quand l’archêveque Paul Goossens rentrant d’une réunion à Kinshasa en 1960 informe Ntiruhwama que la tutelle belge et l’Eglise catholique allaient encourager l’élite hutue au Burundi, Ntiruhwama guida plutôt son regard sur le clan hima qu’il décrivit comme étant marginalisé alors que les Hutus étaient toujours dans les grâces de la dynastie régnante. La suite? Goossens écouta les conseils de Ntiruhwama et de là la montée en puissance des Himas dans l’armée. Ce qui leur permit plus tard de prendre le pouvoir au moyen d’un coup d’Etat. Mais comme les Hutus, malgré les purges de 1965 et de 1969, étaient encore présents dans les affaires, il fallait créer un scénario de monstre: fabriquer des faux rebelles, détruire un stock de munitions et sacrificer le caporal Kiromvyi (qui serait enterré à la place dit Monument du soldat inconnu) et pire encore, déplacer les faux rebelles dans les camions militaires vers Bururi et Rumonge afin qu’après quelques Tutsis tués, Micombero accusent les Hutus de chercher à commettre un génocide! Et on connaît la suite.

En avril 2015, les Burundais se sont réveillés face à une insurrection dans la capitale sous prétexte de refuser un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza. Et pourtant, ce coup d’Etat visant à écarter le système CNDD-FDD datait de 2005! Si l’accord de paix d’Arusha est une base de cohabitation pacifique des Burundais et de partage du pouvoir, il n’a jamais été considéré comme tel par les extrémistes tutsis. Comme en 1969, la “hantise du Hutu” est toujours d’actualité. Comme en 1972, nous assistons de nos jours aux sacrifices comme ces centaines de jeunes tués dans les quartiers de l’insurrection, comme celui de Jean Bikomagu et récemment celui du général Kararuza.

Et le scénario de l’assassinat du président Pierre Nkurunziza demeure d’actualité. Le malheur du Burundi fait que dans la diplomatie et le lobbying, le président Nkurunziza soit médiocre. Ce qui s’est passé en 1972 a failli se reproduire en 2015 et il faut se dire qu’après l’échec du putsch de mai 2015, le plan a changé. Seuls les naïfs croient que le camp du président Nkurunziza serait en position de force. Quand les opportunistes comme Maggy Barankitse et Pierre Claver Mbonimpa reçoivent des prix internationaux, il nous faut méditer ces paroles d’Albert Camus citées dans le livre de Rose Ndayahoze: “Le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c’est l’innocence qui est sommée de fournir ses justifications.”

Contributions des lecteurs de B-24