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Depuis la fin de l’année 2015, des sessions de dialogue interbundais entre les hommes politiques burundais ont été lancées par le facilitateur mandaté par la Communauté est africaine, Yoweri Kaguta Museveni. Les sessions qui ont suivi ont eu lieu, à Arusha, sous la médiation de l’ancien président tanzanien et adjoint du facilitateur dans ce dialogue, Benjamin William Mkapa. A l’heure actuelle, l’opinion nationale se pose plusieurs questions par rapport à ce dialogue dont celle en rapport avec son issue. Sur ce, la rédaction du quotidien « Le Renouveau » s’est entretenue avec certains acteurs politiques et membres de la société civile qui ont participé dans ces dernières sessions pour avoir leur appréciation par rapport au déroulement de ce dialogue.

Par rapport à l’état d’avancement de ce dialogue, tous nos interlocuteurs sont satisfaits de la façon dont il a été organisé au cours des trois dernières sessions dirigées par l’ancien président tanzanien. Pour le président et représentant légal de l’Association pour la consolidation de la paix au Burundi (Acopa-Burundi), Pierre Claver Kazihise, ce dialogue interburundais a, de façon globale, noté une avancée significative. C’est la même satisfaction pour le vice-président du parti Frodebu (Front pour la démocratie au Burundi), Léonce Ngendakumana, qui a indiqué qu’au cours de ce dernier round, il y a eu des progrès, compte tenu de la façon dont le médiateur a invité les participants à ce dialogue, organisé les débats, tiré des conclusions, etc. « Nous considérons qu’il s’agit d’un progrès ».

Le parti Uprona a été aussi amplement satisfait du déroulement du dialogue, dit Abel Gashatsi, son président. « L’important pour tout parti politique, aujourd’hui, est de se préparer en vue de prendre part aux élections de 2020 pour la consolidation d’une démocratie qui rassure tout le monde ».

Sur la façon dont le médiateur a invité les participants à ce dialogue, le conseiller principal chargé de la communication à la présidence de la République, Willy Nyamitwe, indique que le gouvernement ne s’est pas présenté à la 4 e session du dialogue interburundais d’Arusha parce qu’il y a une ligne rouge à ne pas franchir. Selon lui, le gouvernement ne pourra pas consacrer l’impunité dans le pays sous n’importe quel prétexte. Les putschistes et ceux qui sont recherchés par la justice n’ont pas de place dans le dialogue, car l’impunité des crimes du passé est à l’origine des cycles de violences qu’a connus le Burundi, dit-il. « La question de s’asseoir avec les putschistes, l’immunité, le gouvernement de transition sont des questions non discutables », souligne M. Nyamitwe. Selon lui, la présence à Arusha de ceux qui sont recherchés par la justice burundaise est la raison qui a empêché l’équipe du gouvernement de prendre part à la 4e session du dialogue interburundais.

Cependant, en référence aux sessions de dialogue inclusif, intégrant pratiquement tous les secteurs de la vie nationale, qui ont eu lieu à l’intérieur du pays, M. Kazihise trouve que les sessions de dialogue qui se passent à Arusha visent à élargir ce dialogue interne à ceux qui n’étaient pas dans le pays en vue de rendre ce dialogue inter-burundais le plus inclusif possible. Il déplore le fait que certains acteurs politiques ne l’ont pas compris de cette manière et pensent toujours à de véritables négociations où, non seulement, ils espèrent obtenir des postes au gouvernement, mais aussi, ils prétendent décider pour tout le peuple burundais.

La médiation subit une pression étrangère

A la question de savoir comment les putschistes et ceux qui sont recherchés par la justice ont été invités alors que le facilitateur Mkapa avait indiqué, en décembre 2015, ne les avoir jamais rencontrés, Willy Nyamitwe indique qu’il a subi une pression de la part de l’Union européenne. Ce sont eux qui financent et se cachent derrière leur financement pour torpiller le dialogue d’Arusha. « Aussi longtemps que les hors-la-loi seront invités, le gouvernement ne participera pas », souligne le conseiller.

C’est le même constat du président de l’Acopa-Burundi, quand il indique qu’il n’y a aucun reproche à faire à l’endroit du médiateur, mais que seulement il subit des pressions de diverses provenances dont l’Union européenne, car, par le fait qu’ils financent ce dialogue, ils veulent l’influencer d’une manière et d’une autre.

A la question en rapport avec le verrouillage politique dont beaucoup de gens parlent souvent, le conseiller principal à la présidence chargé de la communication indique que le dialogue d’Arusha devra cheminer vers un engagement ferme des acteurs politiques à se préparer pour participer aux élections de 2020. Il indique que l’espace politique burundais est ouvert. «Ceux qui prétendent le contraire cherchent des prétextes faute du manque de membres sur terrain». Tous les Burundais sans exception, sauf ceux qui sont poursuivis par la justice, ont leur mot à dire sur l’avenir du pays, affirme Willy Nyamitwe. Pour lui, c’est ça le fondement d’un dialogue inclusif. Ceux qui excluent les autres sont ceux qui veulent imposer le dialogue avec le seul Cnared. Il se demande alors si les Burundais qui ont à dire sur l’avenir du pays sont ceux qui viennent du Rwanda ou de la Belgique uniquement.

« Le gouvernement restera ferme », dit M. Nyamitwe. En 2010, ceux qui ont perdu les élections ont formé ADC-Ikibiri et d’autres ont tenté de perturber l’ordre public en lançant des grenades et en tuant des gens. En 2015, ça a été la même chose, ajoute-t-il. C’est pour éviter qu’une telle situation se reproduise, pour que les Burundais apprennent à respecter le choix du peuple.

Des tâtonnements sur l’origine et la nature de la crise se sont manifestés

Selon toujours le président de l’Acopa-Burundi, sur les trois sessions qui se sont déjà déroulées à Arusha sous la médiation de Benjamin Mkapa, un constat s’impose. C’est qu’il y a manifestement des tergiversations quant à la finalité de ce processus. Il indique que, quand on analyse ceux qui avaient été invités lors des précédentes sessions et ce qu’ils avaient donné comme propositions et qu’on le compare aux échanges de cette troisième session, il y a un recul qu’il faut rapidement arrêter. Selon lui, ceux qui avaient été invités à la précédente session, une grande partie est à l’extérieur du pays. « Il y en a parmi eux qui sont l’objet de mandat d’arrêt et cela explique les positions extrêmes et inacceptables qu’ils adoptent dans cette démarche de dialogue qu’ils voudraient confondre avec des négociations ».

Pour lui, une bonne organisation du dialogue doit tenir compte de l’option démocratique déjà adoptée par le pays et faire rencontrer les véritables représentants de la population. Il souligne aussi que l’état de droit doit se consolider dans le pays et que cela n’est possible que si l’impunité est bannie et que les lois et règlements sont respectés.

Pour Léonce Ngendakumana, après les trois rounds qui ont été déjà organisés à Arusha, il y a eu dans un premier temps un tâtonnement sur l’origine et la nature de la crise. Ce qui a fait qu’il y ait un malentendu. En deuxième lieu, a-t-il ajouté, le tâtonnement s’est aussi manifesté sur qui doivent réellement faire partie de ce processus de dialogue et que peut être l’agenda de ces négociations.

Qu’est ce qu’on peut attendre de ce dialogue en définitive ?

Selon le vice-président du parti Frodebu, à la fin de ce dialogue, on attend qu’il y ait la création d’un environnement politique, sécuritaire et social favorable d’abord à ces négociations et favorable ensuite à la préparation et à l’organisation des élections de 2020. « Nous attendons, par là, que tout le monde se mette d’accord que l’accord d’Arusha et la Constitution sont les piliers de la paix, de la réconciliation et de la démocratie au Burundi. Il n’y a pas un autre outil ou un autre instrument politique et juridique qui peut aider à gérer ce pays jusqu’à ce que ces instruments changent ».

Pour le président de l’Acopa-Burundi, on peut s’attendre à une contribution qui pourrait compléter ce que la population a déjà exprimé, mais aussi et surtout pas ce qui peut aller à l’encontre de la volonté du peuple burundais.

Toujours en fonction des attentes des gens par rapport à l’issue de ce dialogue, Léonce Ngendakumana s’inquiète du fait qu’il y a un fossé entre les préoccupations des hommes politiques et celles de la population. Selon lui, ca veut dire que les préoccupations de la population diffèrent bien des préoccupations des hommes politiques, qu’ils soient au pouvoir ou à l’opposition. « Les préoccupations des hommes politiques, c’est d’accéder ou se maintenir au pouvoir au lieu de résoudre les problèmes de la population ».

Le rapatriement des réfugiés et les politiciens en exil sont là les points qui, selon le parti de Rwagasore, devraient retenir l’attention de la médiation. Cela parce qu’il faut dégager une feuille de route vers les élections de 2020 avec la mise en place d’une Commission électorale indépendante qui rassure tout le monde. La consolidation du climat sécuritaire est également pour le numéro un du parti Uprona une question qui devra jouir d’une préoccupation particulière afin de garantir des élections apaisées à l’horizon 2020.

Il n’y a pas de perte de temps pour les partis de l’opposition

A la question de savoir si les partis politiques de l’opposition ne sont pas en train de perdre du temps pour regagner le pays afin de se joindre aux autres pour la préparation des élections de 2020, M. Ngendakumana a indiqués que ce n’est pas une perte de temps, parce que la priorité ce ne sont pas des élections. « La priorité, c’est plutôt de préparer un terrain favorable à ces élections notamment le rétablissement de la paix et de la sécurité dans le pays, le rétablissement de la confiance dans le pays, etc. ». Le vice-président du Frodebu trouve également que la libération et le retour de ceux qui sont à l’extérieur du pays font partie aussi des priorités. Selon lui, il faut aussi qu’il y ait le déblocage des fonds pour un développement économique et social, pour lutter contre la pauvreté, le chômage, la misère, etc., avant d’entrer dans la période électorale.

Concernant les dissensions qui s’observent au sein de certains partis politiques aujourd’hui, il trouve qu’elles découlent de trois éléments, à savoir les intérêts sectaires et les intérêts égoïstes des hommes politiques (au pouvoir et à l’opposition) ; l’orgueil de certaines gens qui pensent qu’ils sont plus forts que les autres, qu’ils sont plus intelligents que les autres, que sans eux, ceci ou cela ne peut pas marcher et le fait que certains hommes politiques sont prisonniers du passé. « Tout cela explique toutes ces dissensions ».

La révision de la Constitution, oui ou non ?

Au cours de notre entretien, nous avons cherché à savoir si M. Ngendakumana est favorable à la révision de la Constitution afin de trouver une solution à certains différends politiques qui se manifestent au Burundi. Il a indiqué qu’il n’est pas favorable et demande à ce que ceux qui ont l’intention de réviser la Constitution donnent des arguments forts et convaincants. De son côté, il indique que ce n’est pas opportun de l’amender, dans la mesure où le débat sur cet amendement n’a pas encore eu lieu.

Parlant du projet de modification de la Constitution, Willy Nyamitwe indique que le projet de modification de la constitution ne date pas d’aujourd’hui. Il rappelle qu’en 2014, l’initiative avait été repoussée par manque de quorum. Il indique que cette initiative est motivée en premier par la conformité du Burundi à la réglementation de la communauté de l’Afrique de l’Est. Il ajoute également que lors de dialogue de Kayanza et de celui organisé par le Bureau intégré des nations unies au Burundi (Binub), tous les politiciens s’étaient mis d’accord que la Constitution devrait être modifiée.

Lors des états généraux de la magistrature, il a été également souhaité qu’il y ait changement de la constitution pour garantir l’indépendance de la magistrature. Les recommandations du sommet de l’EAC de juin 2015 et la volonté du peuple exprimé lors du dialogue interburundais sont aussi des raisons qui motivent le changement de la Constitution.

Cependant, à la question de savoir si une fois que ce dialogue interburundais d’Arusha aboutissait à un gouvernement de transition, sa mise en place ne serait pas difficile sans amender la Constitution, Léonce Ngendakumana indique que c’est une question d’option. « Si ça peut ramener la paix dans le pays, on peut le faire sans amender la Constitution. On peut même trouver des arrangements constitutionnels pour le faire, ce n’est pas un handicap ».
Par contre, le président de l’Acopa-Burundi trouve qu’il faut plutôt respecter le voeu de la population parce qu’elle s’est déjà abondamment exprimée sur la révision de la Constitution lors des sessions de dialogue qui ont été organisées dans le pays. « Il ne reste plus qu’à mettre en œuvre ce qu’ils ont demandé ».

Les institutions négociées ne répondent pas aux attentes de la population

Pour ceux qui disent que le Frodebu et les autres partis politiques sont en perte de vitesse et veulent toujours rester dans la danse du gouvernement transitoire, le vice-président de ce parti trouve que la réponse à cette question est globale, car, pour lui, ceux qui sont en perte de vitesse, c’est tous les hommes politiques burundais. « C’est-à-dire ceux qui sont au pouvoir et ceux qui sont à l’opposition qui ne parviennent pas à se mettre d’accord pour régler les préoccupations des citoyens ». Pour lui, le pouvoir et l’opposition ne sont pas conscients de la souffrance de la population et cela explique leur perte de vitesse. Quant aux institutions négociées ou transitoires auxquelles aspirent certains hommes politiques, M. Ngendakumana indique que ce sont des institutions qui ne répondent pas aux attentes du peuple burundais. «En tout cas, le Frodebu n’est pas partisan de ceux qui pensent à ces institutions ».

S’exprimant sur la question de transition, Abel Gashatsi indique que l’Uprona s’inscrit en faux contre cette proposition. « Il faut plutôt s’investir pour le rendez-vous électoral, car le mandat actuel chemine vers sa fin », affirme le patron de l’Uprona. Quant au gouvernement d’union nationale, M. Gashatsi fait savoir que cela relève de la volonté du parti présidentiel. L’Uprona met en avant la préparation des élections de 2020, car c’est la compétition qui confère aux différents partis le droit de participer ou pas dans le gouvernement.

La chaise vide, une tactique et non une politique

Sur la problématique de la politique de la chaise vide, Abel Gashatsi rappelle que cette politique laisse le libre chemin au parti au pouvoir. Le choix de la politique exige la participation aux élections et la volonté d’être fier du score enregistré. L’abandon est un signe de lâcheté, dit-il. Les politiciens doivent avoir un esprit constructif en mettant en avant l’intérêt national. Ainsi, dit-il, on pourra négocier sérieusement en abordant les questions qui hantent la population burundaise.

D’après Léonce Ngendakumana, le Frodebu n’a jamais pratiqué la politique de la chaise vide. Selon lui, on l’utilise comme une pression, mais on ne peut pas en faire une politique, car, souligne-t-il, il n’y a pas de politique de la chaise vide. Ce n’est même pas une stratégie, mais c’est une tactique. « Une stratégie est l’ensemble des opérations pour atteindre un objectif qu’on cherche ».

De son côté, M. Kazihise rappelle aux hommes politiques que les élections approchent et qu’ils devraient prendre leurs dispositions pour y participer. Il leur signifie également qu’ils n’ont aucune autre alternative pour pouvoir entrer dans les institutions que celle des urnes pour qu’ils cessent leurs spéculations sur ce dialogue interburundais d’Arusha. Pour lui, la chaise vide est non applicable sur le cas présent, car il n’y a pas de protagonistes et il n’y a pas d’agenda bien précis, car, selon lui, un dialogue c’est pour recueillir des idées.

Que faut-il faire pour que le dialogue d’Arusha aboutisse à quelque chose qui tranquillise et rassure la population ?

Répondant à cette question, le vice-président du parti Frodebu trouve que ce qu’il faut faire doit être fait en deux étapes. Il faut d’abord essayer de calmer la situation par une négociation sous la médiation régionale pour amener le peuple burundais à espérer que, maintenant, les gens peuvent se mettre ensemble pour résoudre les problèmes qui planent sur le Burundi. Ensuite, il faut engager une dynamique interne entre tous les acteurs de la vie politique, socio-économique et professionnelle de ce pays. Selon lui, sans régler la question de l’unité et de la cohésion sociale, on n’aura pas de solution digne pour la population.

« Il faut calmer le jeu, négocier et engager un dialogue franc et sincère à l’intérieur du pays pour la reconstruction d’un Burundi démocratique, uni, réconcilié, digne, prospère et qui protège tout le monde ».

A cette question sur ce qui doit être fait pour que ce dialogue aboutisse à des solutions consensuelles et rassurantes pour la population burundaise, Willy Nyamitwe rappelle qu’il n’y a pas de situation de belligérance au Burundi. Il indique aussi qu’il y a plusieurs parties prenantes au dialogue dont l’objectif est d’échanger pour essayer d’aboutir à des conclusions communes afin de faire avancer le pays dans plusieurs domaines. On peut, dit-il, dialoguer pour arrêter ensemble des mesures de renforcement de la sécurité. Il donne l’exemple de la Stratégie nationale de sécurité qui a été le fruit d’un dialogue, le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté 2e génération et d’autres.

Astere Nduwamungu & Charles Makoto, http://www.ppbdi.com