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Le président rwandais Paul Kagame a accusé le colonisateur belge d’avoir introduit dans son pays, alors administré par la Belgique, des distinctions entre les trois ethnies vivant au Rwanda, qu’il présente comme l’une des causes lointaines du génocide de 1994.

“Le génocide qui a eu lieu en 1994 a une longue histoire (qui a fait, selon l’ONU, au moins 800.000 morts, principalement au sein de la minorité tutsi, ndlr), ceci avait commencé des dizaines d’années auparavant, en 1959”, affirme l’homme fort du Rwanda dans un livre d’entretiens recueillis par le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire français ‘Jeune Afrique’, François Soudan.

“La Belgique a voulu créer une situation lui étant favorable”

rwanda-colons-ethnie.jpg“Les Belges avaient, dans un premier temps, cherché à s’associer à la monarchie (ancestrale dominée par les Tutsi, ndlr), mais je pense que la famille régnante était trop indépendante et que les colonialistes ne préférèrent généralement pas maintenir au pouvoir des personnes susceptibles de leur résister. Ils ont donc cherché à créer une situation destinée à leur être entièrement favorable. Grâce à la présence de l’Eglise et à l’ensemble de ses activités à travers le pays, ils ont pu saisir ce qu’ils pourraient aisément exploiter, en termes de différences présentes au sein de la société, afin de provoquer des déchirures. Ils présentèrent donc à la population un nouveau concept, selon lequel les Rwandais se divisaient en ce qu’ils appelaient des +identités ethniques+, en faisant la distinction entre les Hutu, les Tutsi et les Twa, ajoute M. Kagame.

“Cette pratique avait vu le jour plus de deux décennies auparavant (en 1935), mais elle a atteint son apogée à la fin des années 1950 (peu avant l’accession du Rwanda à l’indépendance, en juillet 1962, ndlr), moment charnière où les Belges avaient besoin d’oeuvrer en sorte qu’une division se creuse au sein du pays, afin de renverser le gouvernement”, poursuit-il à l’adresse de M. Soudan dans ces entretiens réalisés – en anglais – à Kigali entre décembre 2013 et juin 2014.

M. Kagame rappelle que c’est l’administration belge qui a introduit dans les années 1930 la délivrance de cartes d’identité ethnique sur la base de recherches “scientifiques” concernant une race “supérieure”, la race chamitique (celle des Tutsi, considérée comme plus élevée que celle des populations négroïdes, comme les Hutu).

Transfert de soutien

A la fin des années 1950, le gouvernement belge, sous l’influence du clergé belge établi au Rwanda, avait transféré le soutien qu’il apportait à la minorité tutsi pour le transférer à la majorité hutu.

“Ils (les Belges) ont exclu certains groupes du pouvoir et en ont favorisé d’autres. Ils ont influencé et encouragé les populations à se haïr, sur la seule question de leur identité ethnique.

Il accuse également les “colons belges” qui ont administré le pays durant 60 ans d’avoir été impliqués dans “nombre d’agissements malséants, dont le meurtre fait partie”.

La Belgique suspectée

Le chef de l’Etat rwandais souligne que dans les années 1950 le monarque de l’époque, Mutara III Rudahigwa, fut assassiné au Burundi (en 1959, ndlr) alors qu’il participait à un sommet à l’initiative des autorités belges. “Personne jusqu’à ce jour n’a jugé nécessaire d’ouvrir une enquête afin d’élucider le mystère de ce meurtre. Les Belges sont les principaux suspects, car ils étaient indisposés par le roi Rudihigwa, qui ne se pliait pas à leur volonté. Ils souhaitaient installer un autre groupe au pouvoir. Vous pouvez interpréter ces faits comme vous le souhaitez mais les faits eux-mêmes restent indéniables”, fait-il valoir.

Le Rwanda, tout comme le Burundi, sont d’anciens protectorats allemands administrés par la Belgique entre 1922 et juillet 1962, date de leur accession à l’indépendance.