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Délimitation des frontières RDC-Rwanda : la compromission
(Le Potentiel Online 06/08/14)

Comme en mars 2009 lorsque Kinshasa concluait à Goma un accord qui allait alimenter l’insécurité dans la partie de la RDC, c’est encore dans le chef-lieu de la province du Nord-Kivu que se tient depuis le lundi 4 août 2014 une réunion censée déboucher sur la redéfinition des frontières entre la RDC et le Rwanda. En lieu et place du compromis que brandissent les officiels, il s’agit plutôt d’un acte de compromission qui fait la part belle au Rwanda en lui accordant sur un plateau d’or ce qu’il n’a pas pu obtenir par les armes.

Le 26 juillet 2014 dans la salle de conférences de Notre-Dame de Fatima, à Gombe, se tenait une conférence-débat sur les frontières de la RDC. Partie prenante à cette conférence, Le Potentiel, prédisait dans l’une de ses éditons qu’avec ses neuf voisins, la RDC avait également neuf problèmes à gérer. Le journal avait vu juste.

Des nouvelles en provenance de Goma justifient toutes ces inquiétudes. Depuis le lundi 4 août 2014, les experts de la RDC et du Rwanda se sont donné rendez-vous au chef-lieu de la province du Nord-Kivu pour discuter de la délimitation des frontières entre les deux pays.

Au nombre de membres de la Commission figurent des experts militaires et des responsables des services de sécurité. Selon radio Okapi qui relaie l’information, il s’agit en réalité d’identifier les bornes matérielles de la frontière commune réelle entre le Rwanda et la RDC.

Ces travaux, rapporte la source, font suite à une réunion préliminaire de 2009, au cours de laquelle 5 bornes seulement sur les 22 initiales avaient été identifiées.

Les experts ont ainsi convenu d’asseoir leurs discussions sur les rapports des technocrates, notamment ceux qui ont travaillé en 1911 à l’époque coloniale de même que sur des cartes géographiques et des appareils GPRS. Pour l’essentiel, les experts tentent d’éclaircir plusieurs zones d’ombre qui planent en matière de frontières communes entre les deux voisins.

Il est prévu après cette réunion, dont la clôture intervient en principe jeudi, une descente sur le terrain pour procéder à la matérialisation des conclusions des assises de Goma. Est-ce à dire qu’on peut entrevoir une révision de la délimitation des frontières entre les deux pays ? Ce que redoute pour l’instant l’opinion congolaise.

Dans tous les cas, il faut reconnaître que la délimitation des frontières est au cœur du conflit permanent qui déstabilise la partie Est de la RDC. D’autant qu’il est de notoriété publique que le Rwanda a toujours nourri des prétentions sur certaines portions du territoire congolais. A la frontière entre les deux pays, des incidents ont, à maintes reprises, opposé les armées de deux pays. Le dernier acte en date est cette intrusion en juin 2014 sur le territoire des unités de l’armée rwandaise.

Des altercations, avec mort d’hommes, avaient opposé les deux forces armées sur les collines de Kamyesheja, dans le territoire de Nyiragongo, à cause, avaient rapporté à l’époque des sources concordantes, d’une question touchant à la délimitation territoriale.

Les FARDC avaient riposté à une provocation des Forces pour la défense du Rwanda (RDF) qui avaient tenté de s’installer sur une colline de Kamyesheja, en territoire congolais. A en croire le porte-parole des FARDC au Nord-Kivu, le colonel Olivier Hamuli, et le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, un caporal de l’armée congolaise avait ensuite été enlevé par les éléments de l’armée rwandaise avant d’être tué devant ses camarades.

L’arbre qui cache la forêt

S’il est inscrit dans la pratique diplomatique que des pays voisins doivent se retrouver autour d’une table pour régler dans l’amiable leurs différends, la réunion de Goma a tout de particulier. Pourquoi un tel traitement devrait-il uniquement être réservé au Rwanda et pas aux huit autres voisins avec lesquels la RDC partage une frontière commune ? C’est tout le nœud du problème.

Et le problème devient beaucoup plus complexe lorsqu’on l’intègre dans l’ensemble des conflits qui rongent la partie Est de la RDC. En effet, il est de notoriété publique que le Rwanda n’a jamais accepté ses frontières héritées de la colonisation, particulièrement celles qu’il partage avec la RDC. En quoi sa frontière avec la RDC serait-elle alors particulière ? Pourquoi le Rwanda ne pose pas le même problème à ses voisins tanzaniens, ougandais ou burundais ? Il y a donc anguille sous roche.

Tout compte fait, la réunion de Goma est cet arbre qui cache la forêt. Que Kinshasa ait aussi accepté une relecture de ses frontières avec Kigali il y a certainement quelque chose de louche qui se trame entre les deux capitales.

De ce point de vue, le peuple congolais est aux aguets et voudrait voir clair, sinon il est prêt à s’opposer à toute forme de compromission. Au nom du droit international les conclusions de la réunion de Goma devraient aller dans le sens et le respect du principe de l’intangibilité des frontières.

Compte tenu du contexte dans lequel le problème est posé ce jour, les dirigeants congolais devraient s’abstenir de tenter un coup qui pourrait s’avérer, à terme, suicidaire autant pour eux que pour le pays. L’opinion est sûrement alertée, consciente du fait qu’en réalité, Kigali cherche juste à récupérer du temps perdu. Bien sûr, dans la guerre.

Dans la réalité, Kigali s’attelle juste à obtenir par les négociations ce qu’il n’a pas pu avoir par les armes. C’est-à-dire la reconquête d’une portion de la partie Est de la RDC. Malheureusement pour la RDC, la stratégie hégémonique de Kigali a apparemment trouvé du répondant dans le chef des dirigeants congolais. Preuve de plus de la compromission de Kinshasa.

L’incapacité de la RDC à gouverner son territoire, ses populations et ses ressources naturelles fait que sa souveraineté s’étiole. La nature ayant horreur du vide, d’autres, à l’instar du Rwanda, en profitent pour assouvir leurs appétits voraces sur le territoire de la RDC.

Encadré

Frontières RDC–Rwanda : état des lieux

a) Frontière terrestre (artificielle)

En direction Nord-sud, celle-ci part du point frontalier triple V RDC – Ouganda – Rwanda sur le mont Sabinio. Longue de 60 km, cette frontière terrestre chute sur la rive septentrionale du lac Kivu entre la ville congolaise de Goma et la ville rwandaise de Gisenyi, l’actuelle Ruhavu. A l’époque coloniale, cette frontière a été abornée de 22 bornes frontalières constituées de simples amas de pierres. Une démarcation tout à fait aléatoire. C’est ainsi qu’en 1981, les deux gouvernements congolais et rwandais se sont convenus pour implanter 22 bornes frontières conformes aux normes internationales.

Le devis de l’institut géographique du Congo élaboré à cet effet en 1981 est de 49 950 Zaïres, soit à peu près 100 000 dollars américains. Ce devis n’a jamais été honoré et les travaux d’implantation des bornes frontières non exécutés.

A cet effet, il sied de rappeler que pour lutter contre le banditisme transfrontalier qu’il a été décidé par la Convention Goma-Gisenyi (Ruhavu) du 21 mars 1961 d’établir entre les deux villes une zone neutre. A ce jour, cette zone dite neutre est entièrement envahie par des sujets rwandais. D’où, la frontière entre Goma et Gisenyi (Ruhavu) est de plus confuses.

b) Frontières liquides (lacustre et fluviale)

• Frontière liquide lacustre Lac Kivu

Longue de 111 km, la frontière liquide lacustre RDC- Rwanda dans le lac Kivu, part de la rive septentrionale du lac Kivu entre la ville congolaise de Goma et la ville rwandaise de Gisenyi, l’actuelle Ruhavu. Elle traverse tout le lac du Nord au Sud jusqu’à la sortie de la Ruzizi du lac Kivu en amont de la ville de Bukavu. Cette frontière liquide lacustre lac Kivu partage les eaux de ce lac entre le Rwanda et la RDC. A cette dernière ont été attribuées, 4 îles dont Iwinza, Idjwi, Kitanga et Nyamaronga et les 4 autres îles à savoir Gombo, Kikaya, Kumenie et Wau attribuées au Rwanda. Cette longue frontière liquide lacustre bien que délimitée, elle n’a pas encore été démarquée jusqu’à ce jour. Les deux pays riverains ont intérêt à trouver un terrain d’entente pour procéder à sa démarcation. Une démarcation au moyen des bornes électroniques peut-être envisagées.

• Frontière liquide fluviale Ruzizi

Longue de 42 km, la frontière liquide Ruzizi RDC-Rwanda, part de la sortie de la rivière Ruzizi du lac Kivu en amont de la ville de Bukavu jusqu’au point frontalier triple VI RDC-Rwanda-Burundi à 02°45′ de latitude Sud et à 29°02′ de longitude Est au confluent des rivières Ruzizi et Ruhwa. Cette frontière a été délimitée par la Convention de Bruxelles du 14 mai 1910, Convention confirmée par celle du 11 août de la même année entre les anciennes puissances coloniales en l’occurrence la Belgique et l’Allemagne.

Tiré de « Les frontières internationales de la RDC : état des lieux et enjeux géostratégiques », Colonel Roger-Nestor Lubiku L.