Partage

Depuis la terrible soirée du 6 avril 1994, cette date rappelle des souvenirs affreux à bien des Rwandais. Au Rwanda, le régime de Paul Kagame organise des commémorations et l’émotion des survivants est toujours forte. Comme si c’était hier. Un génocide, c’est une catastrophe humaine qui suscite indignation et révolte au fur des années et même quand la terre entière dit “plus jamais ça”, il nous invite à la vigilance. En ces moments où les Rwandais se souviennent avec effroi des monstres humains qui ont massacré, dépecé, enterré vivant des êtres chers, nous nous associons à eux, où qu’ils se trouvent et surtout aux survivants du camp des vaincus dont le droit au deuil a été confisqué par l’histoire trop belle imposée par les vainqueurs. Loin de nous l’idée de faire du négationnisme. Nous reconnaissons le génocide commis contre les Tutsis du Rwanda en 1994. Nous rappelons en même temps que le contexte de guerre civile et la détermination du Front Patriotique Rwandais à conquérir le pouvoir à tout prix, ont endeuillé des milliers de familles de l’ethnie hutue. Vingt deux ans après, est-il superflu d’appeler à la vérité sur toute l’ampleur de cette catastrophe rwandaise?

Depuis la terrible soirée du 6 avril 1994, les Burundais pleurent: le président Cyprien Ntaryamira et deux ministres qui l’accompagnaient. Ils ne sont pas morts dans un accident mais bel et bien dans un attentat terroriste. Oui, le “Network Commando” qui a lancé des missiles sol air sur l’avion civil a procédé comme tous les terroristes de nos jours: faire plus de victimes et s’évanouir dans la nature. Vingt deux ans plus tard, les Burundais veulent savoir. Qui a abattu l’avion du président Juvénal Habyarimana? Qu’est-il advenu des boîtes noires dont on disait qu’elles avaient été confiées à l’ONU pour exploitation?

Au Rwanda, le pays se reconstruit. Les Tutsis commémorent et enterrent encore les restes des victimes ou retapent les monuments dédiés aux disparus. Parfois les victorieux de la guerre vont jusqu’à exiger de tout Hutu de culpabiliser et de demander pardon pour les crimes commis par les parents, oncles ou grands parents! Est-ce le prix de la réconciliation? Petit bémol cependant, le régime de Kigali a une pensée pour les Hutus modérés et bien entendu déjà sous la terre car emportés par les fameux “Interahamwe” ou précipités dans quelque abîme par la catastrophe. Pour ceux qui sont encore en vie, c’est déjà beaucoup d’indulgence de leur garantir la vie sauve sur le territoire national, d’en tirer des échantillons à installer dans les institutions ou d’en extraire “des Hutus de service”! Vingt deux ans plus tard, la voix de toutes les victimes de la catastrophe rwandaise devrait vibrer.

Le président Paul Kagame fut un grand guerrier. On le dit très stratège et visionnaire. Vingt deux ans après le déclenchement du génocide par l’attentat contre l’avion transportant les présidents Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira, ils sont par centaines de milliers les Rwandais qui, en exil à l’étranger, se souviennent et désespèrent. Ils sont dispersés sur les quatre coins du monde. D’aucuns désespèrent de voir un jour le Rwanda ouvrir la boîte de Pandore et reconnaître que le mensonge sur le génocide des Tutsis a trop duré. Oui, les Tutsis ont été massacrés par centaines de milliers pour ce qu’ils étaient: des Tutsis. Oui, la volonté de les extérminer ne faisait aucun doute dans les gestes et discours de certains dirigeants de l’époque. Mais alors, qu’en est-il des responsabilités dans l’attentat contre l’avion de celui qui pouvait dire un mot et retenir le courroux de la masse déjà très éprouvée par quatre années de guerre trop meurtrière? Qu’en est-il des milliers de familles de Hutus décimées par les combattants du FPR dans leur progression vers le contrôle de tout le territoire national? Quelle responsabilité dans l’élimination systématique d’une partie du clérgé rwandais à Gakurazo? Pourquoi ces autres victimes de la folie vindicative du Front Patritoque Rwandais ne peuvent-elles pas commémorer et parler des conditions atroces dans lesquelles ces autres victimes ont quitté la face de la terre?

Vingt deux ans après le déclenchement du génocide contre les Tutsis au Rwanda, le monde entier paie des folies de grandeur de ceux qui ont organisé et provoqué l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana. Même s’il semble trop tôt pour établir un rapport entre le désespoir de certains rwandais qui ne peuvent pas encore ouvrir leur coeur et obtenir la même attention pour leur douleur dûe au génocide, l’information qui fait état de l’implication d’un Rwandais dans les attentats de Bruxelles fait déjà l’effet d’un séisme dans les milieux de la diaspora rwandaise. Disons que ce weekend aura été très chargé et la pêche bien fructueuse pour la police belge. Au contraire du soulagement qui gagne les habitants de Bruxelles, les nouvelles des arrestations dans le réseau terroriste de Daesh ont fait sursauter bien des Rwandais.

Mohamed Abrini, soupconné d’avoir été impliqué dans les attentats du 13 novembre dernier à Paris a été arrêté et aurait déjà avoué être “l’homme au chapeau” vu à l’aéroport de Bruxelles avec deux kamikazes le 22 mars dernier. Oussama Krayem présenté comme complice de Salah Abdeslam est aussi tombé dans les filets de la police. Et d’autres noms dont les médias vont beaucoup parler dans les prochains jours: Bilal El Makhoukhi !

Et parmi d’autres personnes arrêtées, l’on évoque un ressortissant rwandais. Est-ce un Rwandais de la diaspora qui se serait radicalisé par désespoir face à l’hypocrisie mondiale qui passe sous silence les crimes contre l’humanité qui sont reprochés à l’actuel homme fort de Kigali? Est-ce un Rwandais venu de Kigali pour prêter main forte aux terroristes comme cela est arrivé déjà à Bruxelles (du moins de l’avis de certains opposants rwandais) avec l’assassinat de l’ancien ministre rwandais Juvénal Uwilingiyimana ou en Afrique du Sud avec l’assassinat de Patrick Karegeya, au Kenya avec les assassinats de Seth Sendashyonga ou Théoneste Lizinde? Ce signal d’un Rwandais qui serait impliqué dans les attentats de Bruxelles est trop fort pour que les Occidentaux ferment encore pour longtemps les yeux sur ce volcan de l’injustice faite à une partie des Rwandais. Coup de chapeau à la police belge! Voilà un Rwandais dont Kagame ne pourra plus ignorer le calvaire!

Paul Sorongo