Le monde est à la croisée des chemins, au Burundi aussi ?

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Dans sa réflexion politique intitulée “La nature du conflit burundais : cocktail d’intolérance et d’hypocrisie”, la Commission Permanente d’Etudes Politiques (COPEP) avait démontré en effet que c’est une mascarade politico-idéologique doublée d’une manipulation criminelle des ethnies qui est à la base du conflit au Burundi. Depuis 1988, juste après les massacres de Ntega-Marangara, le conflit a pris une orientation encore plus fallacieuse suite aux exigences inédites de la part des partenaires occidentaux du régime Buyoya, à savoir l’exigence d’atténuer au plus vite le déséquilibre ethnique visiblement insupportable dans la gestion du pays ainsi que l’exigence d’entamer un processus de transition vers la démocratie.

Le débat d’aujourd’hui est important, essentiel et nécessaire pour arriver à générer un paradigme propre à notre société afin de trouver, créer, tisser des solutions appropriées à notre environnement de vie de manière harmonisée, équilibrée et ordonnée. Pour cela nos élites doivent être engagées, faire corps avec la population pour l’aider à se projeter dans l’avenir. La défection actuelle de certains cadres, l’absence structurelle, la démission par choix égoïste, la paresse intellectuelle, bref des pratiques qui ne sont pas en adéquation avec la réalité vécue des concitoyens. Il faut cesser d’être le prolongement du narratif néocolonial alors que nous aussi au travers de notre histoire nous avons eu des savants, des génies, des bâtisseurs, des gestionnaires, une structure administrative, politique et militaire performante. Jusque maintenant leur modèle ne fonctionne pas de manière optimale chez-nous.

Les Pères fondateurs du Burundi n’avaient pas fréquenté les universités occidentales et pourtant ils trouvaient des solutions idoines avec souveraineté aux problèmes que rencontraient les citoyens. Qu’on le veuille ou pas, avec la gouvernance du CNDD-FDD nous sommes dans une dynamique, pas encore parfaite mais qui nous offre une opportunité de nous reconnecter à nous-mêmes et à opérer des choix opérationnels qui nous sortent du mimétisme stérilisant et croire à nouveau en notre propre destin. Il est temps que l’Africain s’assume et cesse d’agir en suiveur, en toute circonstances, il doit d’abord interroger son histoire, consulter ses valeurs, penser, oser et agir. Au moment des indépendances c’était une priorité produire des ressources humaines pour gérer les jeunes Etats modernes sortis de la colonisation, ce point de départ très mauvais car hors contexte burundo-burundais, nous coûte encore très cher y compris en termes de vies humaines.

Il est aussi vrai qu’on est en face des enjeux qui dépassent le niveau national et que devenir nous-mêmes nous ordonne de nous ajuster aussi par rapport au reste du monde. Cependant, l’impératif existentiel nous commande de solliciter notre capacité créatrice à partir de nos valeurs positives ancestrales afin que nous puissions impulser un modèle de développement endogène, autocentré et auto-entretenu.
De nos jours et avec ce qui se passe dans le reste du monde, on remarque un certain discrédit moral au sein de l’establishment du monde occidental, qui a atteint son paroxysme, suite au décalage du discours ambiant et la réalité des faits, surtout quand il souhaite continuer à entraîner l’Afrique dans son sillage lorsqu’il veut défendre ses intérêts. L’Afrique a déjà suffisamment donné depuis l’esclavage, la colonisation, la néo-colonisation, le pillage des ressources naturelles, les guerres impérialistes, les ingérences politiques dans la gestion de nos Etats, etc… La dégradation relationnelle est lente mais continue, surtout que les élites du Nord se maintiennent en déconnexion des réalités des évolutions des mondes qui émergent et connus de tous, ces derniers refusant la marginalisation en ce qui concerne la défense de leurs intérêts.

Au-delà du fait de mentir en sachant qu’on ment pour manipuler, la mauvaise foi manipulatrice a un certain art de former des concepts contradictoires, qui unissent en eux une idée et sa négation, formant une illusion fictionnelle à travers des figures d’imposteurs mystificateurs donnant libre cours aux assassins de la liberté et, in fine, ce sont toujours les peuples qui payent l’addition.
Le Président Français lors de sa tournée ouest africaine a dénoncé les historiens qui refusent de parler de la guerre en Ukraine, toute guerre occidentale devant être considérée comme une guerre mondiale. Jetant aux oubliettes les maux nous infligés notamment, répétons, l’esclavage, la colonisation, l’ingérence politique, l’impérialisme capitaliste, le pillage des ressources naturelles, etc…

On peut nier les évidences ou les omettre, on peut s’imaginer qu’occuper une position haute momentanée est suffisant pour distiller sa rhétorique alors que tout simplement on est à des années lumières de la réalité. Le continent africain d’aujourd’hui a soif d’être lui-même, a soif de trouver sa propre cohérence stratégique à l’aune du réel depuis l’antiquité, loin de la crétinisation et de l’abrutissement. La naïveté entraîne toujours des conséquences désastreuses dans la vie de ceux qui voient tout avec le prisme des autres. Les Africains commencent à être fatigués à gober le narratif tiré de l’hégémonie néocoloniale, cela n’est plus tenable.

Avancer moutonnement nous privera d’évoluer dans un système de croyance, dans un avenir commun avec une raison convergente pour bâtir une cité nourricière et identitaire, le socle et le substrat d’une citoyenneté partagée. L’homme aux mille tours, capable de masquer son intériorité et de mentir, intériorité qui nous demeure inaccessible, qui se retranche spatialement comme un refus, comme une négation de la transparence, comme une dialectique entre le dehors et le dedans, agira toujours comme un pompier pyromane afin de garantir son intérêt jusque maintenant incompatible avec le nôtre.

Il faut se décomplexer totalement car la pensée est universelle qu’on la fasse en Kirundi, en Swahili, en Français, en Anglais ou en toute autre langue. Surtout, faire en sorte que tout le monde puisse s’approprier le mode de gouvernance en créant des ponts entre les gouvernés et les gouvernants sur les mêmes centres d’intérêts, sinon ça ne marchera pas. La démocratie est un processus d’évolution sociale ça n’est pas uniquement une succession de cycles électoraux et ça n’est pas non plus un prêt à porter. Continuer à faire du copié-collé ça n’est plus permis, c’est pourquoi tout est à continuellement repenser au niveau national, bilatéral et multilatéral.

Ruvyogo Michel