Patrice Ndimanya : « Nous devons nous attendre à une offre alimentaire très réduite pendant cette année agricole »
Partage
L’économiste rural et enseignant à l’université alerte sur les perturbations climatiques en cours qui ont, d’après lui, des conséquences fortes sur la production agricole. Un facteur majeur à l’origine de la flambée des prix des produits observée actuellement.

D’après vous, l’inflation actuelle est en partie due aux bouleversements climatiques ?

On observe une fréquence de plus en plus élevée de phénomènes violents, d’aléas climatiques comme les sécheresses, les inondations, les vents violents, etc. Ces deux dernières années, nous avons connu deux saisons culturales qui ont été affectées par un déficit pluviométrique, surtout dans les dépressions que ce soit dans le Bugesera, dans l’Imbo et dans le Moso.

La saison culturale A de 2022 et la saison culturale A de 2022-2023 ont été marquées par un déficit pluviométrique. Fait aggravant, la saison culturale A de 2023 a démarré très tardivement sur tout le territoire national.

Elle a démarré vers la mi-novembre, ce qui veut dire qu’elle a empiété sur la saison culturale B d’un mois et demi avec des risques de rater la saison culturale B surtout en haute altitude où les cycles de culture sont relativement plus longs qu’en basse altitude.

Nous voilà donc aujourd’hui confrontés aux conséquences des changements climatiques qui ont aussi des impacts sur l’inflation, plus que d’autres facteurs comme la pénurie du carburant.

L’invasion des insectes ravageurs qu’on observe actuellement dans certaines régions n’est-elle pas aussi la conséquence de ces changements climatiques ?

Absolument. Quand les conditions climatiques sont défavorables et que le sol n’est pas bien fertilisé, les maladies des cultures s’amplifient.

Quelles sont les régions les plus durement impactées par ces changements climatiques ?

Ce sont les régions de basse altitude qui sont souvent situées en dessous de 1100 m de pluviométrie, c’est-à-dire les régions du Moso, du Bugesera et de l’Imbo. Et ce sont les mêmes régions qui fournissent le marché en haricots, en maïs et en riz. Même quand il faut parler d’irrigation, il faut savoir que quand il n’y a pas assez de précipitations, la disponibilité en eau pour l’irrigation diminue.

Là alors, il faut voir si on va continuer à prioriser une culture consommatrice de beaucoup d’eau comme le riz ou voir s’il faut évoluer vers des cultures moins consommatrices d’eau comme le maïs, l’arachide et d’autres.

Quelles sont les cultures qui résistent le mieux à la sécheresse ? Et comment les protéger ?

Les cultures pérennes dont nous disposons sont, par exemple, le bananier, les fruitiers, le thé et le café. Elles peuvent être protégées par des techniques d’irrigation localisées pour le cas des bananiers et des fruitiers.

Pour le café, il faut mobiliser les communautés pour qu’après la floraison du mois d’août, toutes les parcelles soient paillées (le paillis est une couche de matériau protecteur posée sur le sol, principalement dans le but de modifier les effets du climat local) et aussi arroser jusqu’à l’arrivée des premières pluies. Cela va permettre de doubler et même de tripler la récolte du café.

Quelle est votre réaction par rapport à la mesure gouvernementale qui préconise la monoculture dans les vallées ?

Ce paradigme commence heureusement à évoluer. J’ai récemment entendu les autorités inciter les gens à la diversification des cultures. Si dans les zones humides, on investit uniquement dans le maïs alors qu’avant, six ou sept cultures se côtoyaient dans les marais, il y aura moins d’offre alimentaire sur le marché, ce qui participe à cette flambée des prix.

Je crois que les autorités sont en train de comprendre que c’est un risque surtout que si une maladie s’attaque à cette culture, tout est perdu. Et il faut également savoir que cela participe également à la diversité nutritionnelle. J’ai vraiment espoir que les pouvoirs publics reviennent sur cette mesure et permettront à nouveau la polyculture.

Certains pays avancent une extension de la saison de croissance (tout ce qui permet à une culture d’être cultivée au-delà de sa saison végétative extérieure normale) comme un moyen de pouvoir augmenter la production. Serait-ce une bonne solution pour le Burundi ?

L’une des meilleures solutions, c’est d’investir beaucoup dans les cultures des marais en les fertilisant le plus possible pour valoriser leur potentiel. On devrait commencer à s’y préparer pour que la saison culturale C soit une réussite, les risques que la saison culturale B soit un échec étant assez élevés.

Les cultures qui sont protégées vont allonger les saisons. Allez voir les fermiers qui pratiquent l’agro-écologie (l’agro-écologie désigne l’ensemble des techniques visant à pratiquer une agriculture plus respectueuse de l’environnement et des spécificités écologiques), qui ont paillé, ils auront droit à une production de contre-saison en juillet-août. C’est le cas notamment des mangues dont l’offre est actuellement abondante sur le marché.

Que pensez-vous de l’agriculture sous serre qu’on observe dans certains pays ?

C’est un investissement onéreux que je recommanderais pour des plantes à très haute valeur ajoutée comme les fleurs. Ici, il ne serait pas adapté à des cultures comme le maïs et les pommes de terre.

Les changements dans les régimes de température et de précipitations augmenteront la dépendance à l’égard de l’irrigation. Le Burundi est-il prêt à y faire face ?

L’irrigation localisée (apport d’eau sur une zone limitée du sol, à de faibles débits et à basses pressions) est une réponse à ce défi qui nous est posé, car elle est consommatrice de peu d’eau. Il ne faut pas perdre de vue qu’en cas de sécheresse, les ressources en eau diminuent.

A l’avenir, toutes les études montrent que les ressources en eau seront de plus en plus limitées et la meilleure façon d’y faire face sera de privilégier les cultures peu consommatrices d’eau, comme les haricots, le maïs, etc.

Quelle est votre appréciation quant à l’usage des semences sélectionnées sur lesquelles les pouvoirs publics mettent beaucoup l’accent ces derniers temps ?

Les semences sélectionnées ne représentent même pas 1% des semences qui sont utilisées annuellement. Les 99% représentent les semences que les fermiers ont eux-mêmes sélectionnées et qui, souvent, ont fait preuve de résilience face aux aléas climatiques.

Il faudrait plutôt à ces fermiers un apport en matières organiques. Un sol riche en matières organiques donne aux plantes tous les éléments dont elles ont besoin et dans des proportions équilibrées. Et cela leur donne aussi des matières premières pour développer leur humidité.

Les semences sélectionnées exigent, quant à elles, des conditions de température favorables dont nous ne disposons plus malheureusement et ainsi, résisteront moins aux aléas climatiques actuels. Au final, nous disposons déjà des semences adéquates et il reviendra juste à fertiliser les sols qui vont les porter.

Qu’est-ce qui peut être fait pour venir en aide aux agriculteurs et permettre ainsi une augmentation de la production qui réduirait l’inflation ?

Tout d’abord, nous devons nous attendre à une offre alimentaire très réduite pendant cette année agricole. C’est pourquoi l’urgence est que le gouvernement mobilise les partenaires techniques et financiers pour soutenir les revenus des ménages via des travaux à haute intensité de main d’œuvre sur tout le territoire. Prenons, par exemple, le cas du café.

C’est une culture qui favorise la résilience des communautés parce que pour une production de plus de 100.000 T de café cerise, c’est autour de 35 milliards BIF qui vont dans la main-d’œuvre. Si nous parvenons à doubler cette production en paillant toutes les caféières, on va injecter 70 milliards BIF pendant les mois de mars et avril qui sont connus comme des périodes de soudure (période entre deux récoltes, pendant laquelle la production agricole est nulle). Avec de tels montants, les populations ne vont pas ressentir la soudure.

Il devrait y avoir un plan pour fixer les besoins en vue de faciliter la protection des cultures pérennes contre les déficits cycliques. Déterminer les besoins de production dans les bas-fonds et surtout privilégier une production agricole diversifiée.

Propos recueillis par Alphonse Yikeze (Iwacu)