Suguru à la CFCIB, une odeur de conflit d’intérêt
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Les bureaux de la CFCIB dans la commune Mukaza en mairie de Bujumbura.
Ce mardi 24 mai, la chambre fédérale de commerce et d’industrie du Burundi vient d’élire à sa tête le député Olivier Suguru. Mme Ginette Karirekinyana, candidate à ce poste et dont la candidature a été annulée quelques jours plus tôt par le Conseil de surveillance de la CFCIB, estime que la candidature de son concurrent violait la Constitution et le Règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale.

A la suite de l’Assemblée générale tenue par la CFCIB à Bujumbura, le député Olivier Suguru est tout sourires. Il vient d’être élu président de cette chambre à une majorité de 66 voix pour et 3 voix contre.

A l’occasion de cette Assemblée générale, une absence concentrait pourtant toutes les attentions. Celle de Mme Ginette Karirekinyana, ex-vice-présidente de la CFCIB dont la candidature au poste de présidence de la CFCIB a été annulée quelques jours plus tôt par le Conseil de surveillance de l’institution.

En dépit des sourires ici et là, il flotte comme un parfum de malaise dans l’air. Un sentiment confirmé à la fin de cette Assemblée générale par des plaintes discrètes d’hommes d’affaires assis à nos côtés. « Ginette a vraiment créé un climat malsain au sein de la CFCIB ».
Ce climat dont parlent ces hommes d’affaires part de correspondances de Mme Ginette Karire qui ont fait le tour de la toile burundaise quelques jours plus tôt.

Une affaire qui embarrasse le monde du business burundais

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Ginette Karirekinyana : « La sanction du Conseil de surveillance de la CFCIB à mon encontre met à l’écart les candidatures féminines au poste de présidence de la CFCIB.»
Tout commence le 16 mai. Dans deux lettres abondamment relayées sur les réseaux sociaux, Mme Ginette Karirekinyana, ex-vice-présidente de la CFCIB et candidate au poste de président de cet organisme, demande l’intervention du chef de l’Etat en vue du retrait de la candidature de son concurrent au même poste.

D’après Mme Karirekinyana, la candidature du député Olivier Suguru au poste de président de la CFCIB est une violation flagrante de la Constitution et du Règlement d’Ordre intérieur de l’Assemblée nationale. « En tant qu’éventuel président de la CFCIB et président du Conseil d’Administration de l’ADB, un organisme gouvernemental, le député Olivier Suguru viole les articles 154 et 160 de la Constitution ainsi que l’article 8 du Règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale qui précisent d’une part, que le mandat de député a un caractère national et que tout mandat impératif est nul et d’autre part, qu’un député ou un sénateur nommé ou à toute autre fonction publique incompatible avec le mandat d’un parlementaire et qui l’accepte, cesse immédiatement de siéger à l’Assemblée nationale et est remplacé par son suppléant ».

La femme d’affaires précise en outre, dans les mêmes correspondances, que la candidature d’Olivier Suguru à la tête de la CFCIB qui lui permet d’accéder d’office au poste de président du Conseil d’Administration de l’ADB (Agence de Développement du Burundi, viole l’article 9 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui dispose que tout agent public, statutaire ou contractuel, qui devient député, est d’office placé en position de détachement ou de suspension de son contrat de travail.

Considérant que la présidence du Conseil d’Administration de l’OBR est un mandat public, Ginette Karirekinyana estime que le député Olivier Suguru viole l’article 12 du ROI de l’Assemblée nationale qui prévoit qu’il est interdit à tout député nommé à une fonction quelconque rémunérée par l’Etat du Burundi, cesse de siéger à l’Assemblée nationale et est remplacé.

Dans un entretien accordé à Iwacu, Mme Ginette Karirekinyana estime que l’usage du mot « honorable »par la CFCIB pour Olivier Suguru viole l’article 12 de la Constitution qui interdit à tout député d’user de son titre pour des motifs autres que l’exercice de son mandat.

Piqué au vif par ces accusations, le Conseil de Surveillance de la CFCIB n’a pas tardé à réagir. Dans une lettre du 19 mai, ce conseil estime que Mme Karire, en s’adressant directement au chef de l’Etat, a violé l’article 49 du statut de la CFCIB. « Mme Ginette Karire, aurait dû saisir préalablement les organes de la CFCIB, en l’occurrence le Conseil de surveillance, pour toute contestation relative à la vie de la CFCIB », peut-on notamment lire dans cette correspondance.

Le Conseil de surveillance de la CFCIB estime aussi que les accusations exprimées par Mme Karirekinyana viole la procédure électorale fixée par ce conseil qui interdit aux candidats aux élections à la présidence de la CFCIB de se critiquer mutuellement et de se focaliser uniquement sur leurs programmes respectifs.

Ce conseil juge également que ‘’l’acharnement’’ de Mme Ginette Karirekinyana à l’encontre de son concurrent au poste de président de la CFCIB ‘’cache des intérêts non avoués des intentions et des intérêts non avoués qui n’ont rien à voir avec les intérêts du secteur privé burundais et le bon climat des affaires.

Enfin, estimant que les accusations de la femme d’affaires démontrent sa non-maîtrise des procédures administratives de la Chambre dont elle est candidate à la présidence, le Conseil a décidé du retrait de la candidature à la présidence de la CFCIB de Mme Ginette Karirekinyana.

« La chambre a tout simplement agi en représailles à ma lettre », a réagi l’intéressée auprès d’Iwacu. Et de dénoncer une décision qui met à l’écart les candidatures féminines à ce poste de présidence de la CFCIB. « Tous les hommes et femmes d’affaires à qui j’ai parlé et réagissant à mon annulation de candidature me disent tout simplement que la CFCIB est devenue assez politisée », a soutenu la femme d’affaires.

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Un juriste : « Les résultats des élections de la CFCIB sont frappés du sceau de l’illégalité »
Selon un avocat burundais qui a requis l’anonymat, l’affaire Olivier Suguru est symptomatique d’un non-respect de la séparation des pouvoirs. « Conformément à l’article 175 de la constitution, le règlement intérieur de l’AN en ses articles 8, 9 et suivant, dispose clairement que la fonction de député est incompatible à toute autre fonction publique ».

Ainsi, explique ce juriste, le député Olivier Suguru ne pouvait à la fois combiner son poste de président du Conseil d’administration de l’OBR qui, selon lui, relève d’un mandat public exercé par décret et son mandat de député selon l’article 8 de la Constitution. « Pour être plus précis, le Règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale précise à l’article 9 que toute personne qui est élu député est mise illico sous détachement s’il est statutaire, démissionne s’il est nommé par décret et son contrat de travail est automatiquement suspendu parce que ce mandat de député est national ».

Pour lui, il est impossible que quelqu’un qui participe dans l’exécution des lois contrôle dans le même temps l’action gouvernementale. « Ce sont des régimes d’incompatibilité. Les résultats des élections de la CFCIB sont frappés du sceau de l’illégalité, car contraires au ROI de l’Assemblée nationale », conclut cet homme de loi.

Enfin, cet avocat souligne que les seules fonctions professionnelles que le ROI autorise en dehors du mandat de député, ce sont celles de professeur d’université et d’avocat. « Là aussi, l’article 11 précise que même pour un avocat, il y a des limites parce qu’il ne lui est pas permis de plaider contre l’Etat parce qu’il pourrait utiliser les informations dont il dispose en tant que député pour avoir gain de cause ».

Un député de l’Opposition : « Où trouve-t-il le temps d’agir pour les intérêts de la population ? »
D’après un parlementaire de l’Opposition joint au téléphone, le cas Suguru est emblématique d’un député qui n’en a strictement rien à faire de l’intérêt des citoyens qui l’ont élu à ce poste. « Quand il cumule autant de postes en dehors de son mandat de député, où trouve-t-il le temps d’agir pour les intérêts de la population ? D’autant qu’en tant que vice-président de la Commission Bonne Gouvernance de l’Assemblée nationale, il n’ignore pas à quel point notre travail de député est assez prenant », estime-t-il.

Avant d’enchaîner. « Vous savez, ce n’est pas pour rien que le règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée nationale interdit un tel cumul de postes sauf pour les professeurs d’université et les avocats. Là encore, le ROI de l’Assemblée nationale interdit à ces derniers de plaider dans des affaires impliquant l’Etat pour ne pas que celui-ci soit juge et partie ».

Ce représentant du peuple estime que le député Olivier Suguru est clairement dans un conflit d’intérêts de par son mandat de parlementaire à Kigobe. « On ne peut pas prétendre défendre à la fois le peuple et défendre dans le même temps les intérêts du secteur privé qui contrastent parfois ou souvent avec ceux du même peuple ! »

Faustin Ndikumana : « Nous sommes en présence d’un conflit d’intérêts évident »

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Pour l’économiste de formation à la tête de la Parcem, l’affaire qui éclabousse la Chambre fédérale de Commerce et d’Industrie rélève plus d’un conflit d’intérêts que d’un mélange des pouvoirs législatif et exécutif. « Etre à la tête d’un organisme qui défend des contribuables (la CFCIB) et être en même temps président du Conseil d’Administration d’un organisme percepteur d’impôts de la part des mêmes contribuables (OBR) sans parler du poste de sécrétaire général dans une entreprise privée (Savonor), engendre clairement un conflit d’intérêts qui doit interpeller les pouvoirs publics »
Selon Faustin Ndikumana, l’accumulation de ces différents postes par le député Olivier Suguru comporte des risques de trafic d’influence qui menacent constamment le principe de bonne gouvernance. « Tant que les pouvoirs publics laisseront faire cette situation qui n’est d’ailleurs pas propre au cas présent, la bonne gouvernance dans ce pays restera toujours remise aux calendes grecques ».

Le principal concerné se défend

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Olivier Suguru : « Mme Ginette Karire a juste eu peur de perdre l’élection.»
Pour le nouveau président de la CFCIB, le mandat de député qu’il occupe n’a rien d’incompatible avec la présidence du Conseil d’administration de l’OBR et l’ADB (Agence de développement du Burundi, poste auquel il est désormais nommé d’office de par le règlement de cette Agence). « En fait, ce que certaines personnes ne saisissent pas, c’est qu’un président du Conseil d’administration propose juste des stratégies et des orientations, mais il n’est en aucun cas associé au fonctionnement opérationnel de l’entreprise ou la société contrairement au directeur général. Donc, la présidence du Conseil d’administration de l’OBR et l’ADB ne relève pas de l’Exécutif et n’est ainsi pas incompatible avec le poste de député ».

Sur le fait que le président du Conseil d’Administration de l’OBR est nommé par décret présidentiel, ce qui, d’après l’ex-vice-présidente de la CFCIB, fait de ce poste une fonction à caractère publique incompatible avec son mandat de député à l’Assemblée nationale, Olivier Suguru, se défend. « Les présidents des Conseils d’Administration de l’OBR et de l’ADB défendent les intérêts du secteur privé au sein de ces instances gouvernementales, pas l’Etat. C’est ce que peut-être certains au sein de l’opinion ne comprennent sans doute pas. Si le poste de président du Conseil d’Administration à l’OBR était un mandat public, j’aurais cédé directement ma place de député à Kigobe ».

Interrogé sur les jetons de présence auxquels ont droit les présidents des Conseils d’Administration et que Mme Ginette Karirekinyana qualifie de rémunérations de la part des pouvoirs publics (Ce qui, selon elle, constituerait une entorse au règlement intérieur de l’Assemblée nationale), le député Suguru est formel. « Les jetons de présence ne sont ni de près, de loin une forme de salaire ou de rémunération. Les rémunérations dont il est question pour les postes professionnels tant dans le secteur public que privé exigent des contrats de travail avec les employeurs, des salaires mensuels et des cotisations sociales de la part de l’employeur pour son employé ».

Ainsi, selon le secrétaire général de la Société Savonor, un président du Conseil d’Administration pour le cas de l’OBR ne signe aucun contrat avec l’entreprise et perçoit des jetons de présence pour des réunions du Conseil d’Administration qui se tiennent trimestriellement. « Ma fonction de député à l’Assemblée nationale n’est alors pas incompatible avec les présidences de Conseil d’Administration de l’OBR et l’ADB parce qu’on n’est pas dans un mariage contre-nature entre le législatif de part ma fonction de député et l’Exécutif contrairement à ce qui a été dit dans les lettres de Mme Ginette Karirekinyana qui ont fait le tour des réseaux sociaux »

D’après M. Suguru, Mme Ginette Karirekinyana a juste élaboré des stratagèmes pour écarter son concurrent direct au poste de présidence de la CFCIB. « Elle savait très bien dans le fond qu’elle n’avait aucune chance de gagner face à moi. Son irruption dans le secteur privé est assez récente par rapport à la mienne, ce qui d’office faisait de moi le candidat favori des hommes et femmes d’affaires du Burundi. C’est comme une équipe adverse qui contesterait les résultats d’un match de football avant même que celui-ci n’ait eu lieu. Mme Karirekinyana a juste eu peur de perdre l’ élection », répond l’homme d’affaires avec le sourire.

Enfin, face aux accusations ‘’d’homme du pouvoir en place’’ qui pèsent également sur lui, le président sortant de l’Association des Industriels du Burundi (AIB) éclate de rire avant de balayer ces accusations d’un revers de main : « Sincèrement, je suis quelqu’un qui a toujours assumé mon appartenance au sein du parti Cndd-Fdd. Je suis un homme d’affaires qui a aussi ses convictions politiques comme un certain nombre de mes concitoyens. Pourquoi n’aurais-je pas droit à cette liberté d’avoir des convictions politiques ? »

Selon des informations recueillies auprès d’un homme d’affaires burundais, le président de la CFCIB est de fait le garant des investissements extérieurs au Burundi, un poste qui, d’après ce businessman, ouvre à son détenteur un rayonnement à l’international. « Par exemple, l’ex-président de la CFCIB avait été nommé consul honoraire de l’Indonésie », révèle-t-il. Et cela, explique-t-il, par le fait qu’une grande quantité de l’huile de palme consommée au Burundi vient de ce pays d’Asie du Sud-est.

En plus, de par son poste, le président de la CFCIB a un accès facile au chef de l’Etat ce qui, dit-il, lui permet de défendre plus aisément ses intérêts personnels dans le secteur privé. D’après lui, ces avantages expliquent pourquoi beaucoup d’hommes et femmes d’affaires burundais luttent pour accéder à ce poste.

Par Alphonse Yikeze (Iwacu)