Génocide contre les BaHuTu du BuRuNDi en 1972 : Le vécu discriminant après le génocide
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M. HaKiZiMaNa Déo témoigne sur le vécu discriminant après le génocide contre les BaHuTu du BuRuNDi en 1972 dont il a été victime.

MuRaMVYa, 19/04/2022 – Etant un des signataires de la lettre ouverte au Président BuYoYa Pierre relative au Génocide de NTeGa MaRaNGaRa en 1988, acteur de la société civile burundaise, membre de la Commission Vérité Réconciation (CVR) du BuRuNDi , M. HaKiZiMaNa Déo , Président Fondateur du CIRID, est un écrivain, auteur de pièces de théâtre, journaliste et diplomate burundais, ayant écrit notamment 3 livres intéressants, couvrant l’histoire contemporaine du BuRuNDi : « Burundi: Le non-dit (1991) » ; « Le temps Mandela au Burundi : ce que j’ai compris (2001 ) « ; et “La Géopolitique de l’Afrique des Grands Lacs, A l’heure des vérités (2020)« .
             En cette période où les BaRuNDi commémorent les 50 ans du Génocide contre les BaHuTu du BuRuNDi en 1972, M. HaKiZiMaNa Déo nous a partagé un témoignage personnel, réalisé après avoir visionné le vécu de la première élève noire américaine à avoir pu accéder à une classe avec des élèves blancs aux USA, pendant la période ségrégationniste et raciste..

Voici son témoignage :

Bonjour tout le monde.

Je viens d’écouter ce film. J’avoue que j’ai eu des émotions, décidant d’arrêter tout ce que j’étais en train de faire pour témoigner en écrivant ces lignes.

En 1991, alors que je devais entrer à l’Ecole supérieure de journalisme de Bujumbura, j’ai connu une histoire presque semblable à celle de cette noire américaine. La différence, cependant, c’est que je n’étais pas un gamin, mais un homme adulte, déjà père de 4 enfants, avec une expérience professionnelle de fonctionnaire d’environ dix ans.

J’avais été en effet enseignant depuis 1972 puis journaliste depuis fin 1977.

Un coup de chance m’avait aidé et j’avais fait un stage de journalisme dans un institut spécialisé de l’université de Dakar / Senegal – Le CESTI ou Centre d’Etudes et des Techniques de l’Information – au printemps 1980, grâce à une bourse de l’UNESCO / ACCT Paris.

J’étais un autodidacte pure souche : c’est- à- dire que je n’avais pas le certificat nécessaire pour me faire inscrire un institut supérieur universitaire comme c’est de coutume; en fait, j’avais pas eu le bonheur de poursuivre comme je le souhaitais mes études après mon (D4) diplôme de 4 ans à L’EMP (Ecole Moyenne Pédagogique) de Rusengo, près de la frontière burundo-Tanzanienne.

Comme nous avions terminé en juin 1972, il était interdit aux nouveaux lauréats de faire autre chose (poursuivre les études ou travailler dans un autre domaine que d’aller enseigner). Il fallait notamment remplacer les enseignants tués lors du génocide que vous connaissez.

Mais la loi sur l’Ecole de journalisme avait été généreuse pour des gens dans ma situation. Elle prévoyait qu’un candidat jouissant d’un diplôme reconnu par l’Etat et totalisant au moins deux années d’expérience dans la pratique du journalisme était admis à un concours d’entrée.

C’était mon cas. Car j’avais discrètement démissionné de l’enseignement en 1978 pour être recruté par la Presse d’Etat alors en ébullition durant les jours florissants du régime Bagaza.

J’ai donc été autorisé à prendre part à un concours de sélection, que j’ai brillamment réussi puisque j’ai d’ailleurs été, par les notes obtenues, le premier du concours.

La liste de ces résultats était affichée pour la forme dans les endroits qu’il fallait. Mon nom y figurait : j’étais premier de cette liste.

Seulement voilà !!!

Dans mon entourage professionnel direct de la Presse de Bujumbura, il s’est trouvé des détracteurs qui sont venus crier au scandale en disant que c’était une horreur si l’on n’admettait à cette belle ECOJO (Ecole de journalisme) de Bujumbura qui avait des classes dans les bâtiments de la faculté des sciences économiques de l’UB de Mutanga à Bujumbura.

Ces détracteurs répandaient le bruit qu’un « Umumenja » n’avait pas le droit au prestige de l’ECOJO. Les burundais savent maintenant ce que cela voulait dire depuis que l’on a connu 1965, 1969 et surtout 1972.

Je me suis quand même présenté à la Direction de l’Ecole, où m’attendait à la tête de cette direction un ancien collègue de la Presse écrite et qui était pourtant auparavant un de mes grands admirateurs.

N’empêche!

Le Directeur G.N. m’a fait entendre que je ne pouvais pas être admis en classe. La raison? Il s’est refusé de me la donner. Mais j’ai pu deviner car j’étais un adulte et je crois que j’en savais trop en ma qualité d’homme des médias d’Etat avec une connaissance avérée du système de Parti État que j’avais pu très efficacement pénétrer depuis fin 1972-debut 1973.

Deux semaines sont passées. J’ai eu une telle colère et une telle frustration que j’entendais ma tête commencer à devoir craquer. Je m’étais retiré loin pour ruminer en silence ma déception ; j’étais allé à ma maison de Kiganda. Avec cette immense déception civique et citoyenne.

Puis un matin, j’ai réuni toutes mes forces psychologiques. Je suis re-descendu à Bujumbura avec l’objectif de défendre mes droits et mes chances.

Je suis allé frapper sur la porte du ministre de tutelle de cette École. C’était M. Pierre Ngenzi avec lequel j’avais une connaissance amicale certes pas très développée mais suffisamment importante pour que le ministre me reçoive et entende mes doléances.

Autre avantage : je connaissais un conseiller clé de son cabinet qui me dit avoir eu de bons sentiments sur mon expérience au Renouveau, le premier journal quotidien du Burundi, où j’avais eu la fonction très spéciale de Rédacteur de politique intérieure chargée spécialement des qst du Parti-Etat UPRONA au pouvoir.

C’était en 1978-1981. C’était toujours le temps de la Présidence du colonel JB Bagaza. Mon Directeur au quotidien Le Renouveau était un jeune intellectuel fraîchement rentré de Paris et qui ne s’embarrassait pas avec les idiots clichés ethnico-racistes qui gangrenaient le pays. Come Mikaza, en effet, m’adorait; je l’adorais aussi, je dois le dire et le conseiller du Ministre dont je parle plus haut le savait, comme d’ailleurs bien des hommes clés autour du colonel Bagaza ainsi que l’entourage de l’homme fort de l’Uprona de l’époque qui n’est autre que le Pr Emile Mworoha qui lui aussi n’avait aucun sentiment négatif à mon égard. Histoire longue que je devrais raconter ailleurs.

J’ai donc eu sans difficulté mon audience avec le ministre, qui fut d’ailleurs surpris, pour ne pas dire mécontent de l’injustice qui m’était arrivé. Il a Écrit un petit mot sur un « post it » que je suis allé présenter au directeur G.N.

Celui-ci recevait l’obligation de me laisser entrer à l’Ecole, sans aucune autre forme de procès.

Deux semaines après le début effectif des Cours, j’ai donc été reçu à l’Ecojo. Et Mon baptême de feu, en tant qu’étudiant d’une institution universitaire, je l’ai eu sans tarder. Le Pr Joseph Gahama, historien, enseignait a l’Ecojo. Il a été le premier à nous soumettre à un test écrit sur l’histoire du Burundi. Il se fit un plaisir de citer ma copie comme ayant été la meilleure de la classe et il en fit une lecture publique devant toute la classe.

Dès ce moment-là, tous ceux qui pour de bonnes ou mauvaises raisons entretenaient des clichés à connotation tribaliste et / ou régionaliste (il y avait de ça aussi!!!) durent faire profil bas à mon égard. car, n’oubliez pas, j’étais originaire de la province monarchiste de Muramvya, qui était rivale de Bururi, le sud, qui avait renversé la Royauté… dans les conditions dramatiques (rappelez vous 1966 et 1972) que l’on sait.

Mais ces clichés négatifs là furent vaincus par le terrain intellectuel.

Je devins même de manière naturelle le Doyen d’âge puis Délégué de l’Ecole pendant tout le cursus des deux ans.

J’eus d’ailleurs le plaisir d’être le premier à terminer tous les travaux académiques demandés en déposant, après avoir réussi tous mes examens la copie de mon mémoire de fin d’études un mois avant tous mes condisciples.

Il y eut plus : car je me souviens, l’ECOJO a connu pas mal de problèmes dans les relations entre les étudiants et notre directeur et une fois je sais que j’ai réussi, par un savoir faire étonnant a faire éviter une grave grève qui allait paralyser l’Ecole.

Je dirais même que l’Ecojo m’a introduit au rôle de médiateur et de réconciliateur qui m’a inspiré quand j’ai créé dix ans plus tard à Geneve le CIRID, www.cirid.ch, une ONG de dialogue revendiquant aujourd’hui plus de 30
Ans d’expérience avec un statut d’observateur auprès des Nations Unies.

Je raconte les détails de cette aventure dans mon : « Le temps mandela au Burundi. Ce que j’ai compris. Récit de plus de 30 ans d’engagement ». Edit. Remesha, Geneve, 2001, 500 Pages.

Quelle est la leçon de cette histoire?

En réfléchissant, à posteriori, quatre décennies après cet épisode, je retiens ceci :

1. Les personnalités et autres amis qui m’ont soutenu dans mes démarches pour gérer cette adversité n’avaient pas le devoir de le faire. Certains avaient même l’esprit libre et paisible s’ils refusaient d’intercéder dans ma situation politico-sociale de l’époque.
Mais ils ont senti que je dégageais des énergies positives utiles pour la communauté.

Je les compare à cet agent fédéral américain qui a défendu la cause de la petite Noire de 1960 à la Nouvelle Orléans et que le President Obama a honorée plus de 50 ans après les faits, lorsqu’un Noir est devenu, pour la première fois aux Etats unis, le Chef de la Maison Blanche.

2. Comme dit l’adage, « l’homme propose et Dieu dispose ».

Il ne faut jamais abandonner quand vous estimez que vous êtes dans votre bon droit et que votre action aide la société à avancer.

Mais, SVP, tout en défendant la Vérité, rien que la « Vérité » Vérité avec grand V, évite toute rancune et ne permets à aucun saboteur de vous écraser par des mensonges éhontés ou par des jalousies d’un autre âge.

3. Je tire encore aujourd’hui cette conclusion, qui m’aide à traverser les pièges que je croise dans ma vie quotidienne, y compris dans mon nouveau profil actuel de commissaire de la CVR.
J’en ai encore déjà témoigné le 22 août 2021 dans un msg circonstancié lors du souvenir commémorant la lettre ouverte adressée au Président P. Buyoya du temps de Ntega Marangara. Certains parmi Ses disciples et continuateurs que je croise sur mon chemin ne me rendent pas toujours la vie facile. Mais j’arrive quand même à gagner certaines batailles. Pourquoi ? Grâce à la leçon apprise et que je viens d’afficher.

Portez vous bien et Vive la persévérance dans le combat contre l’injustice.

Déo Hakizimana
Ecrivain, Ancien journaliste et diplomate, aujourd’hui Commissaire CVR
(Texte légèrement corrigé le lendemain de sa publication, 19 avril 2022).

deo hakizimana

Sources : NaHiMaNa P. , https://burundi-agnews.org, Samedi 30 Avril 2020 | Photo : CIRID   Video : France 2