Nouvel avis de tempête sur la Vivaldi : mais à quoi joue le PS ? « Paul Magnette ne veut plus être ignoré »
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C’est ce qu’on appelle une sortie remarquée. La double interview de Paul Magnette, président du PS, et de son plus fidèle lieutenant, Thomas Dermine, secrétaire d’État à la Relance, aura fait l’unanimité contre elle: partenaires de la majorité, opposition, économistes, patronat et sans doute un certain nombre d’employés et d’indépendants issus de l’e-commerce. Au point de se demander: quelle mouche a piqué les socialistes, alors qu’une réunion doit se tenir vendredi au sein du kern sur la réforme du marché du travail ?

L’actu: la double interview dans Humo du duo socialiste a bousculé la rue de la Loi

Le détail: la tension grimpe d’un cran à l’approche de la réunion au sein du kern, vendredi, où il sera question de flexibilité du travail.

Commençons par les déclarations et les réactions des uns et des autres. « Après la sortie du nucléaire, la sortie de l’e-commerce », c’est la formule trouvée par Paul Magnette, qui reproche à Amazon, Zalando et consorts de dégrader les conditions de travail et l’environnement. Quitte à aller à contre-sens de la tendance mondiale et à isoler notre pays.
« Je pense que l’e-commerce n’est pas un progrès, mais une régression sociale et écologique. Pourquoi acceptons-nous de faire travailler des ouvriers de nuit dans des centres de conditionnement ? Parce que les gens veulent acheter 24 heures sur 24 et recevoir leur colis à domicile dans les 24 heures. Ne peut-on vraiment pas attendre deux jours pour un livre ? », argumente le président du PS.
Par sa sortie, Paul Magnette dit vouloir défendre « les petits indépendants », « dynamiser les petits commerçants et les centres-villes ». Il fustige un secteur où l’on retrouve « le nouveau prolétariat.
Les réactions ont fusé tous azimuts, à commencer, bien sûr, par le président du MR Georges-Louis Bouchez: « Le 19e siècle ne peut être un projet de société. Le progrès est une chance. Il faut avoir l’esprit ouvert et la capacité d’adapter la société pour plus de bien être. L’e-commerce ne doit pas être laissé aux pays étrangers. On perdrait des centaines de millions et des emplois. »
Réponse presque immédiate de l’accusé: « En ce qui me concerne, je défendrai toujours le commerce local et les petits indépendants. Libre au président du MR de défendre Jeff Bezos, le modèle Amazon et ses conditions de travail digne du ’19ème’. »
Contre-réponse de l’accusateur: « Nous, nous défendons les petits indépendants depuis toujours. Mais leur faire croire que la Belgique est une île isolée du monde est au mieux les prendre pour des idiots, au pire les mépriser. Travaillons au monde de demain avec une place pour chacun au lieu du repli archaïque. »
Jusque-là, on reste dans une logique très vivaldienne où PS et MR s’opposent sur presque tous les sujets.
Hier, nous rappelions que les socialistes étaient également ennuyés par les Verts qui apportent que trop rarement leur soutien sur les questions sociales. Ce n’est pas cette séquence qui les réconciliera. Le chef de groupe à la Chambre Gilles Vanden Burre (Ecolo) y allant également de sa critique: « L’e-commerce ne signifie pas uniquement Amazon ou Alibaba. Ce sont aussi des milliers de commerçants, de PME et de coopératives ancrées dans notre économie. Ces propos sont caricaturaux et manquent l’objectif d’avoir un débat serein sur la régulation du secteur. »
C’est un des points centraux du débat qui a déchaîné les réseaux sociaux et continue de le faire: dans son interview, Paul Magnette vise clairement les géants de l’e-commerce. Mais sa formule, sans doute maladroite, englobe tout le commerce en ligne.
Le PS court-il derrière le PTB? Ironie du sort, le chef de groupe au Parlement de Wallonie, Germain Mugemangango, y va aussi de son attaque: « Chez Amazon, Deliveroo et autres secteurs émergents, les travailleurs et les travailleuses se battent pour de meilleures conditions de travail et même parfois, gagnent. C’est ce combat qui est le coeur du débat. Un retour vers le passé est complètement illusoire. »
Du côté flamand, l’incompréhension est encore plus grande. L’influent Stijn Baert, professeur d’économie du travail à l’université de Gand, n’en revient toujours pas: « Celui qui attend encore des choses sérieuses de la Vivaldi, devrait lire ceci: réformer les retraites ou le marché du travail, Paul Magnette et Thomas Dermine disent que ce n’est pas nécessaire. Ce qu’ils veulent (comme une pension minimale plus élevée), ils l’ont déjà obtenu. Hallucinant. »
Bart Van Craeynest, économiste en chef du Voka, concentre ses critiques sur le chômage en Wallonie : « Une personne sur trois entre 20 et 64 ans en Wallonie est au chômage. La suppression du commerce électronique ne ferait que dégrader encore ce chiffre. »

Le contexte: la Belgique est baignée par l’e-commerce.

Comme le rappelle L’Echo ce matin, le commerce électronique en Belgique, c’est 11 milliards d’euros. 98% des sociétés d’e-commerce sont des PME de moins de 5 employés, et 80% sont des indépendants. Paul Magnette a donc clairement raté sa cible.
L’e-commerce, cela concerne 11.000 emplois directs en Belgique. Sans compter les emplois indirects à Liège Airport (Alibaba), et aux ports de Zeebruges et d’Anvers. Ou encore chez Bpost qui a réalisé plus de 50% des livraisons de vente en ligne en Belgique.
En outre, interdire l’e-commerce est tout simplement un non-sens dans un contexte de marché européen intégré. Les Pays-Bas ou l’Allemagne, qui disposent déjà d’une législation plus souple concernant la flexibilité des travailleurs du commerce électronique, n’hésiteraient sans doute pas longtemps à se substituer à notre pays, encore plus qu’ils ne le font actuellement.

La perception : Une nouvelle attaque en règle contre Alexander De Croo et son leadership.

Lors du conclave budgétaire d’octobre, le PS avait déjà montré ses cartes, excluant ouvrir la voie au travail de nuit aux mêmes conditions que le travail de jour. Les libéraux veulent considérer le travail de nuit à partir de minuit là où les socialistes veulent le maintenir à partir de 20 heures. Le PS ne veut pas être le parti qui expliquera aux syndicats que le travail de nuit et du weekend est facilité. Paul Magnette veut même le limiter à quelques professions essentielles.
Ce vendredi, le ministre en charge de la réforme de l’emploi, Pierre-Yves Dermagne, mettra sur la table ses propositions en matière de flexibilité du travail. Il est notamment question de la semaine de 4 jours (5 jours prestés en 4 avec un maximum de 9h-9h30 de travail par jour), le droit à la déconnexion, le droit à 5 jours de formation payés plutôt qu’un, et du fameux travail de nuit, même si le PS se concentrer sur le travail de soirée.
Dans ce contexte, Paul Magnette lance-t-il une déclaration de guerre contre la Vivaldi et le Premier ministre? Dans la même interview, le président des socialistes suggère que le seul problème de la coalition fédérale se résume en deux lettres: « MR ».
« Ils sont difficiles sur tous les dossiers. La seule chose que veut Georges-Louis Bouchez, c’est se faire un nom et empêcher les autres de marquer des points. »
« Il est même en train de devenir un problème pour l’Open VLD, parce qu’il sape constamment le Premier ministre. »
« Lors des négociations gouvernementales, il n’a rien obtenu. Rien. C’est pourquoi il s’oppose au gouvernement depuis le premier jour. »
Le président du PS n’est toutefois pas en reste et a répété les sorties qui ont déstabilisé le Premier ministre et son gouvernement. Au point de porter le titre de « Premier ministre de l’ombre » que le président de la N-VA, Bart De Wever, portait à l’époque sous le gouvernement Michel.
Rappelons que sous la précédente législature, c’est Alexander De Croo en personne qui s’est battu pour tenter de rapatrier ces emplois déportés chez nos voisins, aux Pays-Bas et en Allemagne. À l’époque, De Croo s’est heurté au CD&V, alors le parti le plus à gauche d’une coalition de centre-droit. Avec le PS, De Croo et l’Open VLD n’avancera pas d’un pouce.
En octobre dernier, le PS a bien fait comprendre qu’il ne voulait pas toucher à la législation sur le travail de nuit et du weekend. Les socialistes veulent centrer les débats autour des emplois de plateformes, notamment les coursiers de Deliveroo et Uber. Le PS veut mettre fin à leur statut de faux indépendants pour le transformer en salariat, avec les avantages sociaux qui vont de pair.
Par sa sortie, le président du PS entend vendre chèrement sa peau: si le PS n’obtient pas ce qu’il veut, alors le discours de gauche pur et dur, guère différent de celui du PTB, continuera. Et les libéraux seront confrontés à un mur.

L’essentiel: Ne pas mettre le premier parti à la première place est le péché originel de la Vivaldi.

De Croo à la place de Magnette. C’est sans doute le péché originel de la Vivaldi. Ne pas devenir Premier ministre crée beaucoup de frustration chez Paul Magnette qui espérait sans doute marquer davantage la Vivaldi de son empreinte, à gauche toute, en opposition au gouvernement de droite de Charles Michel.
Lors des négociations gouvernementales, les considérations étaient pourtant simples: un Premier ministre flamand libéral pour contre-balancer un gouvernement qui penchait du côté francophone et à gauche. Une sorte de temporisation face à la N-VA et au Vlaams Belang qui pèse 50% des voix flamandes.
À l’époque, les Verts ont privilégié cette solution, seul le CD&V penchait pour Magnette. Ce dernier a dû accepter.
En retour, Magnette attendait que la Vivaldi penche à gauche tout le long de la législature. Mais avec le MR dans les pattes, les socialistes ont été frustrés.
Ce manque de réprésentation à gauche se retrouve surtout au sein du kern, qui remet de l’équilibre entre chaque formation et où Pierre-Yves Dermagne, le vice-premier ministre socialiste, se sent bien seul face aux libéraux et sans le soutien des Verts.
À tort ou à raison, les socialistes se sentent comme le parti le plus ignoré par le Premier ministre. Paul Magnette s’est battu pour cette coalition et en a même rédigé les principales lignes. Aujourd’hui, il juge qu’il n’est pas récompensé.
Le président du PS voit bien les difficultés s’amonceler sur les deux grandes réformes d’une importance capitale pour son camp: les retraites et le marché du travail. Le PS veut absolument engranger des points.
En coulisse, la frustration est grande: « Comment cette coalition va-t-elle finir? », c’est la question que se posent depuis un certain temps les différents présidents de la majorité. Car la frustration du PS, non seulement à l’égard des libéraux, mais aussi des Verts, se fait sentir dans tous les dossiers.
L’idée selon laquelle il s’agit d’un « problème de présidents, pas de gouvernement », que De Croo utilise depuis des mois, ne s’applique plus vraiment désormais : ce n’est pas un hasard si Dermine, membre du gouvernement, était assis à côté de Magnette lors de l’interview.
Sans oublier que dans le dossier de l’énergie, presque toutes nos sources gouvernementales ont indiqué que les tensions entre De Croo et Vincent Van Peteghem (CD&V) était la principale raison pour laquelle une véritable réforme de la TVA sur l’énergie ne s’est pas concrétisée.
Le Premier ministre a de sérieux problèmes à régler s’il veut mener sa coalition jusqu’au bout.

Par Baptiste Lambert