Sanctions contre le Burundi : la population “prise en otage”
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La population burundaise ? « Comme prise en otage ! » L’alarme tirée par l’ONU ? « Étonnante ! » Le risque de génocide ? « Nous n’y croyions pas… » Présent à Bruxelles via l’ONG Entraide et Fraternité dans le cadre de la période du Carême, le président de la Conférence épiscopale du Burundi, Monseigneur Joachim Ntahondereye nous a accordé une interview fleuve.

Vous avez rencontré Alexander De Croo (ministre belge de la Coopération au développement) et les collaborateurs de Didier Reynders (ministre belge des Affaires étrangères), quel est le message que vous livrez aux autorités belges ?

J.N. : Le gel de la coopération bilatérale avec le gouvernement de Bujumbura influe négativement sur la vie de la population. Il accélère l’appauvrissement de la population et lui fait payer ainsi le tribut le plus lourd. En imposant des sanctions ou en gelant la coopération,  la Communauté internationale touche beaucoup plus la population. Celle-ci est comme prise en otage pour des torts qu’elle n’a pas commis.

J’appelle ensuite à chercher des mécanismes qui permettent de continuer à aider la population, en encourageant notamment la construction et l’équipement des écoles techniques et professionnelles surtout pour donner à la jeunesse l’espoir de trouver de l’emploi.

Je demande aussi que la communauté internationale tienne compte de l’histoire de ce pays en lisant ce qui s’y passe actuellement.

Vous évoquez l’appauvrissement de la population, quelle est la situation à l’intérieur du pays ? Il y a quelques mois, il était question de famine.

Une forte disette a sévi dans plusieurs zones du pays l’an dernier dans tout le pays : suite à un manque de pluies, les champs avaient séché et les récoltes s’étaient avérées insuffisantes.… Cette année par contre, la situation s’est améliorée déjà avec pour la première saison culturale (de septembre à décembre).  Nous espérons qu’il en sera également ainsi avec la 2e saison culturale.

Quoiqu’il en soit, il y a aujourd’hui un appauvrissement de la population que l’on n’avait pas connu auparavant. Les emplois rémunérés se trouvent difficilement. Même les quelques privés qui habituellement embauchaient ne fussent que des journaliers ont du mal à le faire. Les salaires restent très bas et le nombre de projets exécutés en zones rurales par diverses ONG étrangères ont diminué portant celles-ci à se retirer de ces zones alors qu’elles avaient permis à pas mal de Burundais de pouvoir retrouver un petit emploi rémunéré.

Début 2015, l’Église burundaise lançait un appel à Monsieur Nkurunziza pour qu’il ne se présente pas pour un 3e mandat. Trois ans plus tard, Pierre Nkurunziza s’est représenté et il a remporté les élections. Quels enseignements tirez-vous de cet appel et de la réponse donnée par le pouvoir ?

Nous avions tout simplement proposé à l’opinion nationale et internationale notre façon d’interpréter les articles 96 et 302 de la Constitution estimant qu’il lui aurait fallu ne pas briguer un autre mandat. Il n’en a pas été ainsi et nous avons pris acte aussi bien de la nouvelle candidature que du résultat des élections. Nous ne pouvons pas gommer l’Histoire. Ce qui importe maintenant, c’est de pouvoir assainir le climat politique pour qu’il y ait un jeu démocratique serein et ouvert à tout le monde. Le meilleur service à rendre à notre pays serait de sauver le processus démocratique et notre vœu est de pouvoir y contribuer.  Il n’est donc pas question pour nous de nous opposer à telle ou telle autre personne mais de plaider pour un jeu démocratique qui donne d’égales chances à toutes les formations politiques, d’entrer en compétition pour le bien commun.

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Ce que vous dites, c’est que le Burundi n’a pas fait un pas en arrière avec la crise de 2015 ?

Il est évident que verrouiller l’espace politique pour ne laisser de jeu libre qu’à une seule formation politique, constitue une régression. Mais pour ce qui est du troisième mandat qui a été brigué, il faut reconnaitre que le texte de la Constitution est en quelque sorte ambigu… Et puis, il y a eu par après l’acte de la Cour constitutionnelle dont se prévaut aujourd’hui le pouvoir en place.

Une Cour constitutionnelle dont on dit qu’elle n’a pas agi en toute indépendance !

C’est ce que l’on dit, c’est ce que dit l’opposition mais le pouvoir a dit autre chose. Nous sommes désormais devant un fait accompli, inutile de rester à maudire le passé, il nous faut maintenant préparer un meilleur avenir.

Justement, l’avenir c’est ce référendum constitutionnel prévu en mai prochain. Encouragez-vous les citoyens à y participer ?

Nous souhaitons qu’il y ait possibilité de mener une campagne honnête, à même de permette à tout un chacun de comprendre les enjeux et de pouvoir se prononcer en connaissance de cause.

Quel rôle va jouer l’Église ? Vous voyez-vous comme une entité qui peut expliquer ce référendum ?

Il ne nous appartient pas d’expliquer quoi que ce soit en cela. Nous plaidons seulement pour la liberté des formations politiques à pouvoir expliquer chacun selon son interprétation ce qui est en jeu. Il nous semble que dans une démocratie pluraliste, c’est ainsi que ça devrait être.

En septembre dernier, vous avez plaidé pour un dialogue inclusif entre le pouvoir et les oppositions de l’intérieur et de l’extérieur du pays. Quelques mois plus tard, l’impasse semble totale. Qu’espérez-vous encore ?

Nous espérons encore et souhaitons que le dialogue soit possible. Il n’y a pas d’autres voies de sortie de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Nous persévérons à croire que ce dialogue est possible si toutes les parties concernées y mettent de la bonne volonté. Le passé récent de notre pays a bien montré que c’est par cette voie que l’on peut arriver à une solution acceptable pour tous.

Nous n’avons pas de recette particulière à proposer pour que ce dialogue ait lieu.

Si les chefs d’État de la région y mettaient toutes leurs forces, ce dialogue pourrait encore être relancé. Même si la facilitation de l’ancien président tanzanien semble quelque peu découragée.

Quels sont les rapports actuels entre l’Église et le pouvoir burundais ?

Les rapports ne sont, pour le moment, ni chauds ni froids. Nous nous parlons avec les différents responsables comme par le passé mais nous sentons en même temps comme une sorte de méfiance à notre égard. C’est comme si nos prises de position récentes auraient refroidi les relations.

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Depuis 2015, beaucoup d’observateurs et d’opposants ont brandi le risque de génocide au Burundi. Ce risque était-il réel ? Est-il toujours d’actualité ?

Selon moi, non. Même au sein de la Conférence, nous n’avons jamais cru qu’il y avait un risque réel de génocide. Seulement, je crains qu’il n’y ait eu des politiciens qui voulaient exploiter cette carte aux fins de se rallier une certaine opinion encore sous le choc du scénario rwandais… Je me suis toujours demandé pourquoi on insistait beaucoup là-dessus. Il est vrai qu’il y a toujours le risque de retomber dans la bipolarisation ethnique. Mais, au Burundi,  nous avons l’atout de l’Accord d’Arusha dont s’inspire la Constitution actuelle pour insister beaucoup sur les équilibres à maintenir pour que nous ne retombions pas dans l’exclusion du passé. C’est un garde-fou.
Il y a eu des discours ethnicisant pendant cette crise…

Ça dépend des interprétations. Prenez les propos du président du Sénat. On a prétendu qu’il avait appelé à l’épuration ethnique. Certains ont comparé son vocabulaire à celui utilisé au Rwanda en ’94. Je pense que c’était exagéré.

Récemment, un animateur radio a lancé un appel à la violence sur la radio Rema FM. Il dit « Exterminez-les ». Les germes de violence sont bien présents.

Je ne l’ai pas entendu de mes oreilles. Mais je désapprouve un tel langage sans égard à l’appartenance ethnique de la personne contre qui qu’il est dirigé car nous sommes opposés à toute violence.

Ce type de discours peut provoquer des actes de violence. Le Burundi est-il à l’abri ? Indemnisé contre le passage à l’acte ?

Non, je ne pense pas. Aucun pays au monde ne peut se dire immunisé contre la tentation de violence. Mais, à cause de son passé, le Burundi est plus vulnérable que d’autres. Nous devons y faire de loin plus attention compte tenu de notre passé malheureux.

Selon le pouvoir, la situation est revenue à la normale dans le pays. Vous partagez cette analyse ?

Oui, il y a une accalmie. On peut dire  que « nous ne sommes plus en période de crise ». Cependant,  tant que nous comptons un grand nombre de nos compatriotes en exil, cela nous accuse et nous interpelle. Là, les faits sont têtus. Même si le chiffre de plus de 400.000 réfugiés avancé par le Haut Commissariat aux Réfugiés est contesté par le Gouvernement, le fait est qu’il y en a et qu’ils sont nombreux… Quand bien même ils seraient peu nombreux, nous porterions encore la responsabilité de travailler à créer des conditions qui les rassurent et les encouragent au rapatriement volontaire.

L’ONU vient de tirer la sonnette d’alarme concernant la situation socio-économique du pays. Cela vous étonne ?

Oui, ça m’étonne car la récolte de cette année a été meilleure que celle de l’an dernier. Il se pourrait que mon jugement ne se base que sur des impressions mais il me semble qu’il y a quand même une différence entre ce qui se voit aujourd’hui et le constat de l’an dernier. Et s’il est vrai que, comme le soutient le Gouvernement,  l’ONU aurait élaboré ces statistiques sans la collaboration des ministères concernés, alors faudrait-il confronter les données et vérifier la période à laquelle elles se rapportent.

En RDC, la Cenco n’a pas hésité à encourager les Congolais à manifester face au report des élections et du maintien au pouvoir de Joseph Kabila. Est-ce quelque chose que vous comprenez ? Est-ce le rôle de l’Église dans la vie politique d’un pays ?

J’essaie de le comprendre au regard du rôle que l’Église avait joué dans l’Accord de la Saint-Sylvestre. La Conférence des Évêques du Congo avaient fourni énormément d’efforts. Qu’aujourd’hui elle tienne à ce que son labeur profite effectivement à la nation en portant aux élections attendues, il est tout à fait compréhensible. Cette réaction est également à comprendre dans le contexte bien précis de la RD Congo où il y a un laïcat chrétien très bien organisé et fort engagé. Il importe d’ailleurs de noter que l’appel à manifester est venu des laïcs eux-mêmes et non de l’épiscopat.

Quant à penser que la même chose devrait se faire au Burundi, la réponse est qu’il y a des différences contextuelles dont il faut tenir compte. Nous ne pouvons pas prétendre copier ce qui se fait à Kinshasa car nous sommes dans deux contextes différents. Le rôle de suppléance que l’Église peut jouer n’est pas forcément le même au Burundi comme en RD Congo.

By droulette