Hommage à Dr Charles Manirakiza, né au Burundi le 16 juin 1946 et décédé en Belgique à le 17 janvier 2022
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« Quand tu seras parti, je regarderai le jardin et je penserai à toi ; je regarderai le Ciel et je penserai à toi. Tu ne seras plus là, visible, mais tu seras partout, invisible. » Éric-Emmanuel Schmitt.

Chère famille éprouvée,

Nous compatissons à votre peine partagée suite à la soudaine disparition de votre être bien aimé le Dr Charles MANIRAKIZA, qui est aussi notre ami.

Nous nous inclinons devant toi, Charles, avec un profond respect et nous te souhaitons un bon voyage vers le Tout puissant qui t’accueilleras et te gardera près de lui.

Tu seras un grand conseiller de justice, de droiture, d’amitié et de fidélité à l’Eternel que Bossuet décrivait en ces termes : « Celui qui règne dans les cieux, et de  qui relèvent tous les empires, à qui seul appartiennent la gloire, la majesté et l’indépendance, qui est aussi le seul de  se glorifier de faire la loi des rois, et de leur donner, quand il lui plaît, de grandes et de terribles leçons ».

Cher Carlos,

J’emploi le « nous », car je m’exprime au nom de ceux qui t’ont connu et fréquenté à l’Ecole Royale des Cadets, notamment Isidore NKUNZUMWAMI et Jean-Pierre NAHIMANA, ici présents. Vous étiez notre aîné et nous partagions presque tout :mêmes terrains de sports, même réfectoire, les dortoirs dans le même bâtiment, les cours dans les mêmes salles de classes, même si les niveaux étaient différents, et, enfin, les mêmes exercices d’initiation à la discipline et à l’art militaire. Des moments pareils laissent des traces et ne s’oublient pas facilement.

Dans les moments très difficiles que nous avons traversés ensemble, tu as su nous prodiguer de bons conseils. Ce fut notamment le cas en 1972, lorsque nous avons été chassés respectivement de l’Ecole Royale Militaire et de l’Ecole Royale du Service de Santé, et ce durant les moments tragiques que traversait notre pays d’origine, le Burundi.

Cher Carlos,

Ce n’est qu’un aurevoir, car ton image d’homme ayant une fidélité indéfectible à l’amitié, restera gravée à jamais dans nos mémoires.

Nous t’appelions en utilisant les termes de « Carlo », « Carlos ». Ces surnoms ne sont pas le fruit du hasard mais expriment ta proximité à ceux qui t’ont connu que ce soit à l’Ecole Royale des Cadets, à l’Ecole Royale du service de Santé, à la Faculté de médecine de Namur, à la Faculté de médecine à Louvain, à Bruxelles, à l’Ecole Normale de Kibimba et partout ailleurs au Burundi.

Nous savons que tu as mal d’amis à travers diverses parties du monde, car l’ouverture aux autres était dans ton ADN. En apprenant ta disparition, ceux-ci vont sûrement éprouver, comme  nous, un grand regret et une immense tristesse mais aussi avoir de l’empathie pour ta famille. L’amitié était donc le premier élément qui pouvait te caractériser.

Le second élément  qui te caractérisait était, selon mon avis et celui de ceux qui t’ont côtoyé, ta persévérance à atteindre un objectif poursuivi,  ton rejet de l’injustice ainsi que des décisions que tu jugeais arbitraire.

Cette deuxième caractéristique peut être illustrée par un événement qui s’est déroulé il y a un peu plus d’un demi-siècle. Cela s’est passé à l’Ecole Royale des cadets : En classe terminale, l’équivalent aujourd’hui de la sixième année du secondaire, il fallait dresser une liste de trois orientations dans l’enseignement supérieur et les classer par ordre de préférence.

 Le choix final devait être opéré par le Commandant de la section africaine de l’Ecole Royals des Cadets, le Commandant DE SAEDELEER, et par l’’Etat-Major des Forces Armées Burundaises, en fonction des résultats scolaires. Carlos dressa une liste comprenant une seule orientation : la médecine, car il avait absolument envie de prêter plus tard le serment d’HIPOCRATE.

Cependant, un obstacle majeur se dressait contre sa volonté : L’Etat-Major des Forces Armées Burundaises était, sans que nous puissions nous l’expliquer, totalement contre son entrée dans cette discipline prestigieuse. Carlos persista dans son choix, car d’autres moins côté que lui étaient admis dans l’orientation médicale, et Carlos trouvé cela injuste.

Le Commandant des Forces Armées Burundaise de l’époque, le Lieutenant-Colonel Thomas NDABEMEYE, de passage à Bruxelles, effectua une brève visite à l’Ecole Royale des Cadets pour régler le problème. Une alternative fut proposée à Carlos :ou bien il renonçait à la médecine et alors il poursuivait ses études, ou il maintenait son choix et il était déchargé de ses obligations militaires.

Carlos ne renonça pas et, quelques temps après, l’Etat-Major des Forces Armées Burundaises lui notifiant qu’il était relevé de ses obligations militaires.

Malgré ce coup de massue, Carlos ne se découragea pas et continua à plaider sa cause auprès du Commandant de la Section Africaine de l’Ecole Royale des Cadets qui finit pas par convaincre l’Etat-Major des Forces Armées Burundaises de revenir sa décision. Carlos avait finalement gagné et pouvait faire la médecine. Ce fait est une illustration de sa persévérance et de son refus d’obtempérer aux décisions qu’il jugeait arbitraires.

Mais Carlos n’était pas au bout de ses peines.

Alors que le 30 mai  1972, les passeports de certains élèves-officiers à l’Ecole Royale Militaire et à l’Ecole Royale  du Service de Santé arrivaient à expiration et que la purification ethnique dans l’armée pratiquée depuis 1965 atteignait son paroxysme, le 29 mai 1972, les passeports  manquaient toujours la signature du Chancelier Etienne BARIGUME et restèrent plus d’un mois à l’Ambassade du Burundi pour on ne sait quel motif.

Le 16 juin 1972, les élèves-officiers furent informés par une lettre signée par le Chargé d’Affaires a.i. Joseph NTAKABANYURA que, suite à une décision prise par l’Etat-Major Général du Burundi, ils avaient l’ordre de regagner le Burundi, à leurs frais, dès le mois de juillet  pour y effectuer un stage de deux mois au sein des Forces Armées Burundaise.

Sur intervention du Chargé des Elèves Africains à l’Ecole Royale Militaire, par un courrier du 03 juillet 1972 auprès du Chancelier de l’Ambassade du Burundi à Bruxelles, les passeports furent prolongés jusqu’au 30 novembre 1972 et remis à leurs propriétaires le 12 juillet 1972.

En dépit de l’intervention du Chef d’Etat-Major Général des Forces Aimées Belges et du Directeur de l’Ecole Royale Militaire en vue de maintenir les élèves-officiers burundais dans leur formation, fin septembre 1972, on leur signifia, sans acte officiel, l’ordre de quitter les Ecoles militaire et Service de Santé.

Ce n’est que le 30 septembre 1972 que le Président Burundais Michel MICOMBERO édicta le Décret Présidentiel n° 500/92 du 30 septembre 1972 révoquant, destituant de toute fonction militaire et démettant de tout grade militaire tous ceux qui, parmi les élèves-officiers, avaient déjà été admis sous statut[1].

Carlos meurt sans avoir reçu justice et réhabilitation dans ses droits expropriés par un Eta bandit et un ordre public assassin.

Au moment où la CVR vient de rendre son rapport et que l’Assemble Nationale et le Senat réunis viennent de reconnaître le 20 décembre 2021 le génocide perpétré contre les Hutus en 1972-1973 par l’Etat burundais, il est temps que l’Etat Mvyeyi et l’Etat Nkozi reconnaisse à son tour ce génocide et réhabilite tous ces rescapés Elèves-Officiers qui  attendent enfin une telle réhabilitation par une annulation pure et simple du Décret Présidentiel n° 500/92 du 30 septembre 1972 et de ses effets.

Bruxelles, le 24 janvier 2022

François NTIDENDEREZA et Anselme NIMBESHAHO

[1] L’armée burundaise et les institutions démocratiques, Par les Officiers burundais, Juillet 1994.