Ntakirutimana Eugénie n’est plus depuis ce 31 décembre 2021
Partage

« Instruis par la mésaventure des miens, j’avais appris à me méfier des évidences. Lorsque tout le monde s’agglutine autour d’une même opinion, je m’enfuis : la vérité est sûrement ailleurs. »1

Telle devait être l’attitude devant cet appel incessant de certains membres de la Diaspora Burundaise de Belgique et du Grand-Duché du Luxembourg à prendre la parole à propos de la disparition tragique de notre compatriote NTAKIRUTIMA Eugénie.

La mort avec une violence aussi brutale qu’injustifiée de notre regrettée NTAKIRUTIMANA, aussi appelée de son surnom « Pièce Rare », à l’Hôtel PORTA SION de Gikungu en commune Ntahangwa à Bujumbura, dans la nuit fatidique du 31/12/2021, intervient deux jours après mon retour de Bujumbura.

Certains d’entre vous m’ont mis au pied du mur, en ma qualité de Président de la Diaspora des Burundais de Belgique et du Grand-Duché du Luxembourg, à prendre la parole et à exiger des autorités burundaises une enquête judiciaire afin de déterminer les coupables de ce forfait et de prendre des mesures qui s’imposent pour que plus jamais un tel événement ne se produise à l’encontre d’un membre de la Diaspora.

En réalité, le destin de Feu NTAKIRUTIMANA Eugenie aurait été le mien, n’eût-été le fait que le sort en a décidé autrement. N’ai-je pas séjourné au Burundi du 15 décembre 2021 au 29 décembre 2021, pratiquement à la même période que Feu NTAKIRUTIMANA.

Si nos motifs de séjours étaient différents, moi ayant accouru à l’enterrement de mon grand-frère NKUNZIMANA Jean Baptiste, emporté par une mort aussi injuste que fulgurante, le 08 décembre 2021, après une courte maladie; elle se rendant en visite auprès de sa mère en âge avancé, je suis assuré que nous avons bénéficié de la même sollicitude des personnes que nous avons croisées sur nos routes du Burundi.

Mon frère avait été marqué par une vie sans histoire 66ans durant. Pourtant, il a été emporté par un empoisonnement d’une main mal inspirée et franchement malveillante: « Yari Inyankamugayo, Kiryohesha kiyago  na Kirumara mu muryango», c’est-à-dire un homme intègre, affable et de partage. Avec ce que la vie lui avait fait endurer, elle ne méritait pas une mort aussi sordide qu’un empoisonnement sans la possibilité des secours des siens.

Il en va de même de Feu NTAKIRUTIMANA. Pour ceux et celles qui la connaissaient, ils gardent d’elle l’image d’une femme frêle et avenante, celle sur qui, comme on dit dans notre belle langue, tu peux glisser dessus sans jamais tomber. Elle ne méritait une mort, aussi brutale qu’injuste, qui lui a été infligée dans cette nuit fatidique du 31 décembre 2021. Comme des voleurs dans la nuit, des êtres maléfiques lui ont ravi la vie.

A qui devons-nous nous en prendre, à qui demander des comptes ?

A l’Etat burundais et à son système judiciaire, disent les voix pressées à trouver une solution à la va-vite et quelque peu rassurante.

C’est à mon sens une lapalissade et un raccourci, car l’Etat, quelles que soient les circonstances, reste responsable de la sécurité des personnes qui sont sur son territoire et les enquêtes criminelles restent de son ressort, que la victime soit de la diaspora ou un citoyen quidam. C’est le principe même du pacte hobbesien, celui qui fonde que l’État assure la sécurité pour tous sur son territoire.

Donner des injonctions sur la manière de mener les enquêtes seraient une manière de décrédibiliser le travail de ces magistrats et officiers de police dont les capacités intellectuelles et professionnelles sont hors de doute et à qui il faut sans doute donner confiance et laisser les coudées franches.

Et comme disait le philosophe Michel Foucault : « On n’a pas le droit de tout dire, on ne peut pas parler de tout dans n’importe quelle circonstance, et n’importe qui ne peut pas parler de n’importe quoi »2.

Certains propos qui ont fusé sur la toile, à propos des injonctions à faire au ministère des affaires étrangères et au ministère public, auraient eu le mérite de se passer in box, comme l’exige la nouvelle éthique communicationnelle. Si en effet actuellement, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) permettent d’étendre l’échelle d’interactions et l’espace où celles-ci se déploient, à savoir les réseaux sociaux, considérés comme nouveaux lieux d’exercice de la sociabilité et qu’aux interactions de face à face qu’analysait le sociologue canadien Erving Goffman se substituent de plus en plus des interactions à distance avec comme support les réseaux3, rien a changé par rapport à la règle d’aparté (Akanwababo). Pour des propos qui ne sont pas destinés au grand public, il y a toujours lieu de se retrouver in box ou en petit comité prévu par les organisations ad hoc à cet effet.

 

Dans le contexte actuel, une injonction publique de plus aux autorités burundaises est une façon de donner du grain à moudre à ceux et celles qui distillent encore que le Burundi soit un torchon qui brûle et que les autorités publiques soient incapables d’enrayer le phénomène, si ce ne sont pas elles qui l’entretiennent.

Comme disait l’autre journaliste dont je ne cite pas le nom, car j’aurai encore besoin de goûter à sa cruche comme on dit dans notre belle langue « simuvuze nzomuvumba » : « Quoi qu’il fasse, le Gouvernement burundais est en défaut vis-à-vis des controversiers ». Ce journaliste burundais traduisait si bien en kirundi cette situation intenable par l’expression « Inyoni ya Ndyogo yarikiye muntege. Iti uhaguruke, ameneke (amagi). Wicare, amaneke ».

En gros, me disait ce journaliste, « C’est un peu comme dans la fable de la Fontaine « le loup et l’agneau ». Quoi que fasse ou dise l’agneau, le loup va le manger. En image, ça donne un œuf, au creux de la cheville. Si vous vous asseyez, vous l’écrasez. Si vous vous levez, œuf tombe et se casse. Dans tous les cas, l’œuf va se casser. Impossible d’éviter les dégâts. »

Après deux semaines de séjour au Burundi, le constat est qu’il règne sur l’ensemble du territoire de la paix et de la sécurité. Je peux en témoigner, car durant ces deux semaines, j’ai parcouru, de jour come de nuit, les provinces de Bujumbura, Bujumbura rural, Muramvya, Kayanza, Ngozi, Muyinga, Gitega, Cankuzo et Ruyigi.

Mais cette paix dont je parle n’exclut pas de poches ou de niches d’insécurité et de criminalité par une violence brutale exercée à l’abri de regard comme celle qui a emporté notre Chère NTAKIRUTIMANA ou celle qu’exerce les empoisonneurs, également à l’abri des regards.

L’Etat actuel a encore du travail sur la planche pour pacifier les consciences et civiliser davantage les mœurs.

Une éducation à la citoyenneté dans des cadres de proximité au niveau local devait revenir sur des aspects de violation de droits de l’homme perpétrées par des citoyens ou de groupements de citoyens, tels que les assassinats, les empoisonnements, qui rendent problématiques la confiance et la cohabitation pacifiques entre citoyens.

Ainsi la disparition de nos regrettés frères et sœur NKURUNZIZA Jean Baptiste et NTAKIRUTIMANA Eugénie n’aura pas été veine.

Que nos familles éprouvées trouvent un réconfort dans la paix du Seigneur.

Anselme NIMBESHAHO

Président de la Diaspora des Burundais de Belgique et du Grand-Duché du Luxembourg

Mardi le 05/01/2022.-

1 A. Malouf, Léon l’Africain, Paris, J.-C. Lattès, 1986, p.458 cité par J.C. Willame, « Diplomatie internationale et génocide au Rwanda », in Politique Africaine, 55, octobre 1994

2 FOUCAULT M., (1971), L’ordre du discours, Paris, Ed. Gallimard

3 Goffman, E., (1973), La mise en scène de la vie quotidienne, tome 1 « Présentation de soi », Paris, Ed Minuit