Discours de S.E.M. l’Ambassadeur Albert SHINGIRO au Conseil de Sécurité de l’ONU.
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Discours de S.E.M. l’Ambassadeur Albert SHINGIRO, Représentant Permanent du Burundi auprès des Nations Unies à l’occasion du briefing du Conseil de sécurité sur la situation au Burundi, New York, 26 février 2018

Monsieur le Président, comme c’est la première fois que ma délégation prend la parole sous votre présidence, je souhaite avant toute chose vous adresser mes chaleureuses félicitations pour votre accession méritée à la présidence de ce conseil pour le mois de février 2018.

Permettez-moi également de remercier le Conseil de sécurité dans son ensemble pour sa contribution constructive au processus de paix au Burundi et surtout pour son attachement à la souveraineté nationale, l’indépendance politique, l’intégrité territoriale du Burundi.

Je salue la présence parmi nous de M. Michel Kafando, Envoyé spécial du Secrétaire général. Je prends bonne note du rapport du SG S/2018/89 sur la situation au Burundi même si ma délégation n’est pas d’accord avec l’ensemble de son contenu. J’y reviendrai plus tard dans mon intervention.

Mes remerciements vont en outre à l’Ambassadeur Jurg Lauber, Président de la Configuration-Burundi de la commission de consolidation de la paix pour sa contribution au processus de consolidation de la paix au Burundi. Nous lui renouvelons notre traditionnelle coopération.

Monsieur le Président, l’objet de mon intervention est de partager avec ce Conseil les nouveaux développements intervenus au Burundi après sa dernière réunion au mois de novembre l’année dernière.

Sur le plan politique, le Burundi se prépare déjà au référendum constitutionnel de 2018 et aux élections générales de 2020. La priorité du Gouvernement est de cheminer à bon port ces deux grands rendez-vous électoraux en créant en amont un environnement propice à l’organisation des élections démocratiques, libres, transparentes et apaisées. L’opération d’enrôlement aux deux scrutins s’est déroulée dans de bonnes conditions du 8 au 17 février 2018 dans tout le pays et au sein de la diaspora. Les chiffres provisoires montrent qu’au total plus de 5 millions de burundais se sont inscrits au rôle électoral avec un effectif de femmes légèrement supérieur à celui des hommes. Aujourd’hui la CENI a organisé une visite guidée ouverte à tous : partis politiques, société civile, partenaires et gouvernement dans le centre de traitement des données en vue de la constitution du fichier électoral.

Au sujet du dialogue inter burundais sous la facilitation de la Communauté Est Africaine, il se poursuit normalement. Lors de la quatrième session qui a eu lieu à Arusha en Tanzanie du 27 novembre au 8 décembre 2017, les participants ont enregistré des progrès car il y a eu plus de points de convergence que ceux de divergence. Contrairement à ce qui dit le rapport du paragraphe 9 au paragraphe 14 et au para.33 au niveau des observations, le dialogue n’est pas au point mort.

Pendant que le rapport du SG parle d’un processus de dialogue qui est mort, dans son communiqué final, le 19èmeSommet des Chefs d’Etat de la Communauté Est Africaine qui s’est tenu à Kampala en Uganda vendredi 23 février 2018 a apprécié l’excellent travail déjà réalisé par la médiation et la facilitation du dialogue inter burundais assurées respectivement par le Président Kaguta Yoweri Museveni de l’Uganda et l’ancien président de la République Unie de Tanzanie, Benjamin William Mkapa. Ce déficit profond entre l’appréciation de la région qui est proche du Burundi géographiquement, politiquement et culturellement et la position pessimiste de ce rapport et certains acteurs exogènes par rapport à l’état d’avancement du dialogue inter Burundais, constitue une anomalie qui devrait interpeler l’attention de ce Conseil.

Le 19ème Sommet des Chefs d’Etat de la Communauté Est Africaine a également réaffirmé le maintien de l’appropriation régionale du processus de dialogue inter burundais par la Communauté Est Africaine et réitéré l’engagement de financer et de conclure rapidement le processus sous le leadership exclusif de la région.

Pour ce qui est de la révision de la constitution, il convient de rappeler que la réforme constitutionnelle en cours est le résultat de larges consultations menées durant plus d’une année auprès de la population burundaise dans toute sa diversité. Il s’agit d’un exercice qui relève exclusivement de la souveraineté nationale du Burundi et qui vise la stabilité à long terme du pays par la sortie de la période transitoire sous l’actuelle Constitution.

Il est clair que l’ONU et les Etats membres sont loin de constituer un cadre de discussions des affaires constitutionnelles des Etats souverains. En s’octroyant le droit de commenter le projet de référendum constitutionnel au Burundi au para. 35 du rapport, celui-ci viole de façon flagrante le principe du respect de l’égalité souveraine des Etats consacré par la Charte des Nations Unies en son article 2.7 qui stipule « Aucune disposition de la Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat ni n’oblige les membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la Charte». La référence de ce rapport à la révision constitutionnelle au Burundi du para. 4 au para.8 est une ingérence osée dans les affaires intérieures de l’Etat Burundais. Ce Conseil est invité à prendre note de cette entorse à la Charte des Nations Unies.

De même, en émettant des critiques au droit souverain du peuple burundais à amender sa constitution alors que l’ONU n’a jamais émis les mêmes préoccupations dans des cas similaires d’amendement constitutionnel dans la région ou ailleurs dans le monde , le même rapport viole l’article 2.1 de la Charte de l’ONU qui stipule « L’organisation des Nations Unies et ses membres, dans la poursuite des buts énoncés à l’article 1. doivent agir conformément au principe de l’égalité souveraine de tous les Etats membres ». Ce double standard dans le traitement des Etats doit être découragé pour ne pas constituer un précédent dangereux dans le fonctionnement de l’ONU.

Par ailleurs, conformément à l’article 297 de l’actuelle constitution, « l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République après consultation du Gouvernement, à l’Assemblée nationale ou au Sénat statuant respectivement à la majorité absolue des membres qui les composent ». L’article 298 poursuit en disant je cite « Le président de la République peut soumettre au référendum un projet d’amendement de la Constitution», fin de citation. Au vu de ces articles, il est clair que toute demande ou commentaire qui va au-delà de ce qu’exigent les deux dispositions constitue une incitation à la violation de notre constitution.

Au niveau substantiel, contrairement à ce qui dit le rapport à son para.4, le nouveau projet de constitution garantit la stabilité et la paix, la protection de l’opposition politique, la protection des droits de l’homme et des minorités, la protection de la souveraineté ainsi que les quotas ethniques et de genre prévus dans l’Accord d’Arusha de 2000. Tous les articles substantiels de l’accord d’Arusha ont été maintenus dans le projet d’amendement.

En ce qui concerne la situation sécuritaire, celle-ci est globalement bonne sur tout le territoire national à l’exception de quelques cas isolés de criminalité de droit commun. Le pays est engagé de façon irréversible sur la voie de la paix, de la stabilité et de la réconciliation nationale. Il faut dire aussi que le retour massif des réfugiés au pays et le fait de confier au Gouvernement du Burundi l’organisation et l’accueil du 20ème Sommet du Marché commun pour l’Afrique australe et orientale (COMESA) après plusieurs missions d’évaluation, constituent un thermomètre du retour à la normalité. A ce constat positif s’ajoute la récente visite au Burundi d’une grande délégation des Députés de l’Assemblée Législative de la communauté Est- Africaine (EALA en sigle), qui après avoir sillonné plusieurs coins du pays a conclu dans un point de presse je cite : « Nous avons été témoins et nous confirmons que nous avons trouvé un pays paisible et calme. Nous appelons tous les députés de l’EALA à répandre partout l’environnement sécuritaire paisible qui prévaut au Burundi. Nous lançons un appel aux investisseurs, non seulement de la Communauté Est-Africaine mais aussi du monde entier pour venir investir au Burundi pour booster son économie», fin de citation.

En outre, ma délégation s’inscrit en faux contre les para.19 et 40 de ce rapport qui cherche à singulariser la jeunesse du parti au pouvoir «Imbonerakure » comme étant à la base de l’insécurité au lieu d’adresser un appel à la retenue à tous les jeunes en général affiliés aux partis politiques, qu’ils soient du parti au pouvoir ou de l’opposition car la sécurité au Burundi comme ailleurs est une affaire de tous. Ce paragraphe s’ajoute aux nombreux autres passages qui mettent en évidence le caractère partial de ce rapport car aucun appel n’a été lancé aux jeunes de l’opposition dont certains ont fui le pays après avoir tué vif des innocents, violé, détruit les biens publics et empêché les enfants d’aller à l’école durant l’insurrection de 2015. Ce point qui épingle une partie de la jeunesse burundaise tout en couvrant une autre s’éloigne de l’obligation de neutralité consacrée par la Charte de l’ONU.

En matière des droits de l’homme, sujet évoqué du para.23 au para.27 du rapport, il convient de signaler que malgré les défis qui restent à relever, le Burundi a enregistré des avancées significatives aussi bien du point de vue normatif qu’institutionnel.

Ainsi, sur le plan normatif, différents textes de Lois ont été promulgués et on peut citer sans être exhaustif ceux se rapportant à la réglementation des réunions et manifestations publiques ; à la création de la Cour Spéciale des Terres et Autres Biens ; à la répression de la traite des personnes et protection des victimes de la traite ; à la protection des victimes, des témoins et d’autres personnes en situation de risque ; à la prévention, protection des victimes et répression des violences basées sur le genre et enfin à la loi régissant la presse et celle portant cadre organique des associations sans but lucratif.

Du point de vue institutionnel, le Burundi reste très engagé à la protection des droits humains à travers plusieurs mécanismes nationaux existants dont la Commission nationale Indépendante des droits de l’homme (CNIDH) jouissant du statut A des principes de Paris, la Commission vérité et réconciliation, l’observatoire national pour la prévention et l’éradication du Génocide, crime de guerre et crime contre l’humanité, le Conseil de l’Unité nationale et réconciliation, l’arsenal juridique qui a aboli la peine de mort ainsi que les nombreuses conventions internationales ratifiées par l’Etat Burundais dont notamment le Protocole facultatif à la Convention contre la torture.

A tout ce paquet s’ajoute l’examen périodique universel qui vient de recevoir le rapport national résumant les progrès déjà réalisés et défis qui restent à relever en matière des droits de l’homme lors de sa 29ème séance où le Burundi était au programme le 18 janvier 2018 à Genève. Lors de cette séance, le Burundi a bien accueilli les recommandations constructives des Etats membres et regretté quelques-unes qui souffrent encore de surdose de politisation, de sélectivité et de double standard.

Au chapitre de la réconciliation nationale, le Président de la République a pris une mesure par la grâce présidentielle lors de son message à la Nation le 31 décembre 2017 de libérer environ 2000 prisonniers dont une grande partie est aujourd’hui libre. D’autres sont en train de rejoindre leurs familles au moment où je vous parle. Des gestes d’apaisement ont été également posés au lendemain du coup d’Etat et de l’insurrection de 2015. Je citerai notamment la réouverture de deux radios privées qui avaient été détruites dans les premières heures qui ont suivi la tentative de coup d’Etat du 13 mai 2015, l’annulation de 15 mandats d’arrêt contre certains leaders politiques et de la société civile ainsi que la libération de plus de 2000 prisonniers.

En ce qui concerne le retour des réfugiés qui ont fui le pays en 2015 évoqué sommairement au para.22 du rapport sous examen, le Gouvernement du Burundi et les organisations sous régionales ne cessent de demander aux réfugiés de rentrer pour contribuer à l’édification du Burundi. Aujourd’hui, grâce au retour à la normalité dans le pays, le mouvement de rapatriement volontaire de réfugiés continue à un rythme satisfaisant avec l’arrivée de plusieurs milliers de citoyens qui s’étaient réfugiés en Tanzanie notamment. Depuis 2016 à la date d’aujourd’hui plus de 000 Burundais sont déjà de retour au pays sur une base volontaire dont 13.000 entre août et décembre 2017. Et pour 2018, le Burundi attend plus de 60.000 rapatriés en provenance de la région.

Dans le domaine de l’humanitaire, ma délégation apprécie toute initiative de la communauté internationale à venir en aide aux personnes dans le besoin surtout celles en situation d’urgence, que ce soit par l’entremise du Bureau des Nations Unies pour la coordination des Affaires humanitaires (OCHA) ou toute autre organisation à caractère humanitaire.

Toutefois, ma délégation souhaite relever l’insuffisance de coopération de OCHA avec les Ministères sectoriels concernés par les questions humanitaires et le gonflement des chiffres dans l’élaboration de son plan de réponse humanitaire 2018 pour le Burundi. Suite à cette insuffisance de coopération, le Gouvernement du Burundi a demandé, travers son communiqué du 21 février 2018, aux responsables de OCHA de travailler étroitement avec la partie burundaise en vue de l’élaboration d’un rapport consensuel et conforme aux réalités du terrain. Le Gouvernement se dit prêt à coopérer pleinement avec OCHA à cet égard.

En ce qui concerne la coopération avec les Nations Unies, évoquée au para.27, 41 et 42 du rapport, le Burundi maintient le même souci de renforcer et pérenniser ses relations avec l’ONU et ses démembrements sur le terrain. Le projet d’accord de coopération avec le Bureau du Haut-commissariat aux droits de l’homme est en cours de discussions entre les deux parties. A la mi-janvier 2018, le Burundi a demandé à l’Office du Haut-commissariat aux droits de l’homme à Genève de proposer à la partie burundaise de nouvelles dates de la reprise des discussions. Bujumbura attend la réponse de Genève à cet égard.

Pour sa part le Gouvernement du Burundi réitère sa volonté de coopérer pleinement avec les Nations Unies et les autres partenaires dans un esprit de respect réciproque et de coopération mutuellement bénéfique et suivant les règles de jeu consacrées par la Charte de l’ONU.

Pour conclure, permettez-moi de demander à ce Conseil de bien vouloir envisager de retirer le Burundi de son agenda car la situation dans le pays est globalement calme et ne présente aucune menace à la paix et la sécurité internationale, qui est la mission principale du Conseil. Je rappelle qu’il n’y a aucun critère objectif qui justifie le maintien du Burundi sur l’agenda de ce conseil, un pays qui a plus de 6 mille casques bleus dans les missions de paix de l’ONU et de l’Union Africaine.

 

Je vous remercie de votre aimable attention !