L’Éthiopie au bord de la guerre civile

Le gouvernement fédéral est en guerre depuis plus d’un an dans le nord du pays contre les combattants du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), qui ont ces derniers mois progressé au-delà de leur région, notamment dans la région de l’Amhara.

Ils ont affirmé mercredi avoir atteint la localité amhara de Kemissie, à 325 kilomètres au nord de la capitale, où ils ont rejoint des combattants de l’Armée de libération oromo (OLA), groupe armé de l’ethnie oromo avec lequel ils ont conclu une alliance dès août.

Les deux groupes n’ont pas exclu de marcher sur la capitale pour faire chuter Abiy Ahmed. Le gouvernement dément, lui, toute menace sur Addis Abeba.

« Annuler les effets néfastes du pouvoir d’Abiy Ahmed »

Le TPLF et l’OLA ont annoncé vendredi s’unir contre le gouvernement avec sept autres organisations moins connues et à l’envergure incertaine. Il s’agit de groupes issus de diverses régions (Gambella, Afar, Somali et Benishangul) ou ethnies (Agew, Qemant, Sidama) qui constituent l’Éthiopie.

Cette alliance, baptisée Front uni des forces fédéralistes et confédéralistes éthiopiennes, est formée « en réponse aux nombreuses crises auxquelles fait face le pays » et « pour annuler les effets néfastes du pouvoir d’Abiy Ahmed sur les populations d’Éthiopie et d’ailleurs », ont-elles affirmé dans un communiqué.

Elles estiment « nécessaire » de « travailler ensemble et joindre (leurs) forces vers une transition » en Éthiopie.

 

Le procureur général éthiopien, Gedion Timothewos, a qualifié cette alliance de « coup de pub », soulignant notamment que certaines de ces organisations « n’ont pas vraiment de base populaire ».

L’impact sur le conflit de ce « front uni » reste incertain.

« Potentiellement un vrai problème »

« S’ils sont vraiment sérieux dans leur détermination à prendre les armes contre le gouvernement, c’est potentiellement un vrai problème » pour Abiy Ahmed, a déclaré à l’AFP un diplomate connaisseur des questions de sécurité, tout en concédant ne pas connaître la plupart de ces groupes, leurs effectifs et leurs ressources.

Face à une « escalade » dans le conflit qui ravage le nord du pays depuis un an, les États-Unis ont appelé vendredi leurs ressortissants à quitter l’Ethiopie « dès que possible ».

Cette nouvelle alliance semble manifester une volonté du TPLF de montrer qu’il dispose d’un soutien au-delà du Tigré.

 

Le TPLF avait déjà mis en place une coalition avec d’autres groupes ethniques et géographiques à la fin des années 1980, avant de renverser l’autocrate Mengistu Haïlémariam en 1991.

Cette coalition du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), largement dominée par le TPLF, avait ensuite dirigé le pays pendant près de 30 ans, avant un mouvement de contestation qui a mené Ahmed Abiy au pouvoir en 2018.

Devenu Premier ministre, M. Ahmed a progressivement écarté le TPLF du pouvoir fédéral.

Après des mois de tensions, le Prix Nobel de la paix 2019 a envoyé l’armée au Tigré en novembre 2020 pour destituer les autorités régionales, issues du TPLF, qu’il accusait d’avoir attaqué des bases militaires fédérales.

« Guerre existentielle »

Il avait proclamé la victoire le 28 novembre. Mais en juin, les combattants du TPLF ont repris l’essentiel de la région et poursuivi leur offensive dans les régions voisines de l’Afar et de l’Amhara.

Le gouvernement a, lui, démenti toute avancée rebelle majeure, assurant qu’il gagnera cette « guerre existentielle ».

La porte-parole du Premier ministre a fustigé vendredi une « désinformation » menée par le TPLF destinée à créer « un faux sentiment d’insécurité ».

« Il y a un discours alarmiste qui crée beaucoup de tension (…), y compris dans la communauté internationale », a déclaré Billene Seyoum, assurant qu’« Addis Abeba vit avec un sentiment de normalité ».

Vendredi, le ministère de la Défense a appelé les retraités de l’armée à se réengager « pour protéger le pays du complot visant à le désintégrer ».

Des milliers d’arrestations

L’état d’urgence a été déclaré mardi sur l’ensemble du territoire, permettant aux autorités de détenir sans mandat toute personne soupçonnée de soutenir des « groupes terroristes » ou de suspendre les médias qui « apportent un soutien moral directement ou indirectement » au TPLF.

Amnesty International a critiqué vendredi ces mesures, qui constituent un « plan d’escalade des violations des droits humains », selon son directeur pour l’Afrique de l’Est, Deprose Muchena.

Des avocats ont indiqué à l’AFP que des milliers de Tigréens avaient été arrêtés depuis l’annonce de l’état d’urgence.

Par l'AFP