Pénurie du carburant /Gabriel Rufyiri : « Il faut une démolition totale du monopole de la société Interpetrol !»
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Voir une longue file de voitures devant les stations-service est devenu un spectacle familier, depuis deux semaines. Parmi les 7 pistes de solutions que propose l’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques (Olucome), il y a la libéralisation du système pétrolier. Interview avec Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome.

Que pensez-vous de l’état actuel du secteur pétrolier ?

Le secteur pétrolier au Burundi est un secteur presque abandonné du simple fait qu’il n’y a aucune politique qui montre réellement que ce secteur est prioritaire et que le gouvernement doit le promouvoir. L’Olucome a identifié 7 pistes de solutions pour que ce secteur puisse être un secteur porteur de croissance. Aux yeux de l’Olucome, elles pourraient aider à stabiliser l’économie burundaise.

Quelles sont ces pistes de solutions ?

La première piste est la mise en place de toutes les conditions pour que le climat des affaires soit favorable aux investisseurs étrangers et locaux. Ce qui n’est pas le cas actuellement.

Comment ?

D’abord, les investisseurs burundais et étrangers qui vivent au Burundi et qui veulent investir dans le secteur pétrolier ne trouvent pas de la place. S’ils sont victimes de vols ou d’autres problèmes, ils ne peuvent pas aller en justice pour faire valoir leurs droits. C’est le grand problème.

Le deuxième problème est au niveau de l’attribution des marchés. Vous savez que le premier consommateur du carburant est l’État. Comment les services publics donnent-ils les marchés aux opérateurs économiques qui œuvrent dans ce domaine ? L’Olucome a constaté à maintes reprises qu’il y a favoritisme, clientélisme et corruption. Dans la plupart de ces marchés, l’État perd plusieurs milliards. Prenez le cas du fuel qui est donné à la Regideso. Le volet gouvernance est important pour que l’environnement des affaires soit favorable au Burundi. C’est un point important auquel le gouvernement doit s’atteler afin que le secteur pétrolier soit rentable actuellement.

La deuxième piste ?

C’est la mise en place d’une politique des devises. Il est clair que la politique actuelle ne favorise pas les investissements étrangers mais qu’elle met en avant les intérêts d’un groupe et d’individus mafieux qui en profitent au détriment de tout le pays.

Que faire alors ?

Pour que cette politique des devises soit rentable, il faut d’abord la promotion des cultures industrielles, comme le coton, le café, le thé et bien d’autres produits exportables. Il y a un problème de balance commerciale du fait que ce que nous exportons est peu par rapport à ce que nous importons.

De plus, il faut promouvoir le secteur minier. C’est une autre source importante de devises. Nous voyons que ce secteur est mal géré car c’est toujours les intérêts des individus qui sont mis en avant au détriment de l’intérêt général.

Une proposition ?

Il doit y avoir un système de rapatriement des devises. Beaucoup de devises sont placés dans des paradis fiscaux. Même le gouvernement le dit clairement. Prenons les exemples de l’or et du café qui sont vendus par le gouvernement. Ce dernier a déclaré que sur 45 millions de dollars, 10 millions de dollars ont été rapatriés. Concernant l’or, le gouvernement a dit que 30% des devises ont été rapatriés.

Sur ce même chapitre de devises, comment la diaspora est gérée actuellement? Comment l’aide au développement est gérée ? Il y a plusieurs choses à faire pour la mise en place de cette politique de devises. Aujourd’hui, c’est de la cacophonie, le désordre.

Une autre piste ?

Il faut une démolition totale du monopole qu’on observe ici et là. Il a été érigé en mode de gouvernance. Ce monopole dans le secteur pétrolier est un problème grave qu’il faut à tout prix cassé.

Expliquez ?

Seule la société Interpetrol occupe le terrain. On le voit partout dans les marchés publics : la Regideso, l’armée, la police, etc. Ce n’est pas normal dans un pays comme le Burundi. Il doit y avoir plusieurs opérateurs économiques. Même la première société qui était Engen Petroleum, c’est Interpetrol qui a acheté une partie de ses actions. C’est une multinationale qui a des règles de procédure de transparence et de bonne gouvernance qu’elle utilise mais, à cause de ce monopole, elle a décidé de se défaire de ses actions.

Tout opérateur qui veut venir investir dans ce domaine au Burundi, il est refoulé, marginalisé, dépouillé de ses marchandises. C’est un signe éloquent de la mauvaise gouvernance que cache ce monopole. Il faut libéraliser le secteur pétrolier.

Une autre proposition ?

La gestion des produits arrivés au pays. L’État burundais possède des parcs pétroliers : un à Bujumbura et un autre à Gitega. Ce dernier se trouve actuellement dans les mains de la société Interpetrol.

C’est vrai ?

Cette société est juge et partie. Elle importe et détient les dépôts des produits pétroliers. Un seul ou deux agents de l’Office burundais des recettes (OBR) qui se trouvent sur les lieux sont facilement corruptibles. On dirait qu’il n’y a aucun contrôle. C’est Interpetrol qui est maître du jeu. Il faut que le parc de Gitega revienne à l’Etat ou cherche un autre cabinet privé qui va le gérer. Dans ce cas, il doit y avoir des inspections rigoureuses.

Que dire des taxes perçues par l’Etat ?

C’est la cinquième piste. Il faut diminuer les taxes. Le gouvernement demande beaucoup d’argent. Sur un litre vendu à la pompe, le gouvernement prend à peu près 40% du prix de vente. Cette taxe sur consommation est énorme. Le gouvernement doit tout faire pour que cela cesse.

La sixième piste ?

Comme le Burundi n’est pas producteur de produits pétroliers, il faut exploiter la voie maritime. Nous sommes un pays enclavé. L’Olucome a demandé à maintes reprises que la voie maritime soit utilisée, mais c’est le corridor nord qui est privilégié. Avec l’utilisation du corridor sud (maritime), nous allons gagner doublement.

Et enfin ?

La mise en place du fonds stock stratégique. Les citoyens ont payé pour constituer ce fonds. Mais il y a eu vol et détournement. Nous demandons qu’il y ait ce fonds qui va couvrir au moins entre 3 et 6 mois.

Par Fabrice Manirakiza