Comment l’EAC pourrait-elle survivre à l’élection forcée du Rwandais Hon. Martin Ngoga comme Président d’EALA?
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Le principe de consensus qui réglait jusqu’ici la marche de l’EAC a volé en éclats sous la pression de Kigali, impatient de placer son candidat à la tête de l’EALA, au grand dam du Burundi.

Pour comprendre la colère de Bujumbura au sujet de l’EALA, il faut remonter à 10 ans, en 2007. Cette année-là, le Burundi et le Rwanda adhérent officiellement dans la Communauté des pays de l’Afrique de l’Est, l’une des dix organisations régionales du continent africain. Les deux pays viennent s’ajouter au Kenya, Ouganda et Tanzanie.

Pour éviter de continuelles tensions dans le bloc régional, les concepteurs de l’EAC fixent le Traité de la Communauté, assortie d’une règle cardinale: en dernier ressort, les décisions sont prises par consensus des Chefs d’État des pays membres de l’EAC.

 

C’est cette règle qui prévaudra à chaque grande décision de la communauté, dès l’élection des Secrétaires Généraux de l’EAC aux grandes négociations au sein ou en dehors de la Communauté comme celles, actuelles, entre l’EAC et l’Union Européenne sur un Accord de Partenariat Économique. Une phrase résume le fonctionnement du bloc régional: “Tant qu’un des pays n’est pas d’accord, c’est le blocage. L’EAC fonctionne sur le principe de consensus”.

Un mode de fonctionnement qui a le mérite d’éviter des confrontations entre pays voisins, mais qui a aussi le malheur de faire traîner les projets. Ainsi, le visa unique à travers l’EAC, a été si souvent reporté face aux réticences de la Tanzanie que le Kenya, le Rwanda et l’Ouganda ont fini par le lancer à trois. Même antagonisme sur l’EPA entre l’EAC et l’UE: alors que Kigali, Nairobi et dans une moindre mesure Kampala veulent signer le document, Bujumbura et Dar es Salaam s’y opposent.
La Tanzanie pour éviter d’être prise en locomotive par le Kenya en termes d’avantages d’un tel accord, alors que le Burundi y voit une occasion de contraindre Bruxelles à bouger sur sa ligne de sanctions post-2015.

Quand il s’est donc agi d’élire le nouveau Président de l’EALA, l’EAC a tout de suite mis en avant ce principe de consensus: le vote qui devait se tenir en juin a été retardé de six mois pour attendre le Kenya, empêtré dans une élection présidentielle pleine de rebondissements et d’inquiétudes.

Ensuite, au moment venu, il fallait tenir compte du principe de rotation des pays de l’EAC à la Présidence de l’EALA. Comme le Burundi et le Rwanda sont entrés la même année au sein de l’EAC, “le Burundi avait d’office le droit de se présenter à la tête de l’institution, en suivant l’ordre alphabétique” explique Hon. Jean-Marie Muhirwa.

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Mais sentant les problèmes qui allaient surgir avec les tensions entre Bujumbura et Kigali, et sachant que les Rwandais accepteraient difficilement que le Burundi préside et l’EAC et l’EALA, le Président en exercice de la Communauté l’Ougandais Museveni avait dès le 15 décembre recommandé “la concertation” comme mécanisme de règlement de ce vote.

Malheureusement, ce qu’il craignait est ce qui est arrivé. L’ouverture des candidatures pour la présidence de l’EALA à tous les pays sauf l’Ouganda le 19 dernier “montrait que les diplomates rwandais s’employaient à donner au vote une dimension purement arithmétique au lieu de préserver les canaux habituels de concertation”, se désole un député tanzanien.

Et quand, finalement, l’ancien Procureur Général du Rwanda Martin Ngoga se faisait élire, le Burundi rappelait le double principe pour constater le quorum à l’EALA. Si les 2/3 des députés étaient présents lors du vote (36 sur 54), le principe du tiers nécessairement présent de députés de chacun des 6 pays de l’EAC pour légitimer le vote n’a pas été respecté, du fait de l’absence du Burundi et de la Tanzanie.  “Le vote est donc illégal”, martelaient les députés burundais.

Selon de nombreux analystes, en décidant de passer outre le principe de concertation conseillé par Museveni, le Rwanda, d’ailleurs en froid avec l’Ouganda, a établi un cas sans précédent dans l’EAC. “Les grandes décisions ne sont plus prises entre Chefs d’État, mais soumises au lobbying. Comme pour les trois précédents président de l’EALA, ce quatrième devait être issu du consensus régional. Le Rwanda a préféré mettre la Communauté devant le fait accompli”, commente-t-on à Arusha.

En décidant de faire passer au forcing son candidat, le Rwanda dépouille de l’EAC l’aspect ‘fraternel’ sur la prise des grandes décisions au profit du réseautage. Pas si sûr que l’EAC survive durablement à cette nouvelle manière de faire qui rappelle les accusations portées contre l’Union européenne.

La question est donc de savoir comment l’EAC survivra à l’élection forcée de Martin Ngoga comme Président de l’EALA ? Le consensus continuera-t-il à prévaloir au sein de la Communauté, où se dirige-t-on vers la loi du plus fort en lobbying avec tous ses travers ?

by Adelin Manariyo