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« Un rêve », telle est la réaction du 1er Vice-Président à ceux qui croient que la Cour Pénale Internationale (CPI) peut ouvrir une enquête sur le Burundi. Dans une interview exclusive à Ikiriho, Gaston Sindimwo parle des relations internationales et revient sur la question des réfugiés. Il a répondu aussi à d’autres questions notamment les dernières recommandations du CNARED.

Avec le Rapport de la Commission d’experts des Nations Unies sur les droits de l’homme au Burundi, on parle de la CPI qui va ouvrir des enquêtes sur le Burundi depuis 2015. Quelle est votre réaction ?

Le Burundi n’est plus membre de la CPI. Et d’ailleurs, ce n’est pas seulement notre pays : presque tous les pays de l’Afrique vont quitter la CPI. Ceux qui voient la CPI au Burundi rêvent. Ils oublient que les temps ont changé. Aucune pression ne peut faire fléchir notre détermination vers le renforcement de la paix et l’unité au Burundi. Nous allons mener ce combat jusqu’au bout.

Si les enquêtes devraient y avoir… ne vont-elles pas remettre en question l’unité gouvernementale puisque la plupart des hauts responsables de l’appareil sécuritaire sont particulièrement cités ?

Non. Ceux qui sont cités sont visés parce qu’ils ont mené le noble combat de ramener la paix. Et quand on ramène la paix, on le fait de gré ou de force. Pourquoi on ne parle pas des sources de ces problèmes ? Des manipulateurs ont voulu brûler le pays, ils ont poussé les jeunes dans la rue, puis ils ont filé à l’étranger.

Les relations restent tendues avec l’Union Européenne et le Rwanda. N’est-ce pas un échec diplomatique du gouvernement dont vous êtes premier Vice-Président ?

Ce n’est pas un échec parce que toutes ces organisations ou ces pays sont ceux qui avaient comploté contre notre pays. Face à cela, nous avons fait tout ce qui est à notre pouvoir pour pouvoir redresser la situation.

Le Burundi cité comme le pays le plus pauvre de monde avec un PIB de 312 $ par an et par habitant: n’est-ce pas judicieux pour le pays de se rapprocher de l’UE et des autres partenaires traditionnels ?

Le Burundi n’a jamais eu l’intention de s’éloigner de ces organisations ou de ces pays. Ce sont ces pays qui ont comploté contre notre pays, qui ont voulu mettre à genoux notre souveraineté. Ce n’est pas à nous d’aller vers eux, c’est plutôt à eux de changer de comportement. Aujourd’hui, malgré ce qu’ils ont voulu faire contre le Burundi, le gouvernement et toutes les institutions de la République ont fait tout pour que la situation reste calme. Nous avons fait des efforts au niveau sécuritaire et alimentaire. Sur ce dernier aspect, nous avons connu une sécheresse et la solidarité burundaise a fait que nous puissions arrêter la famine. Grâce à Dieu le climat a été clément. La récolte a été aujourd’hui bonne sur presque toute l’étendue du territoire.

Si le Rwanda et son président Paul Kagame ne font pas les premiers le pas en direction du Burundi pour normaliser les relations bilatérales, le Burundi ne pourrait-il pas faire le premier ce geste ?

Le Burundi le fait tous les jours parce que nous n’avons jamais attaqué le Rwanda. Le Burundi n’a même pas riposté aux tracasseries ou aux manœuvres que le Rwanda fabrique contre le Burundi. Notre grande retenue montre que nous avons fait un pas. Nous nous sommes présentés avec les preuves de l’agression rwandaise à l’EAC, la Communauté à laquelle le Burundi et le Rwanda appartiennent depuis 2007, devant la CIRGL et l’ONU, et nous attendons toujours la réponse. Nous sommes confiants que la situation finira par se normaliser. Depuis la colonisation, le Rwanda et le Burundi ont observé des moments de tensions suivis de réchauffement.

Le Rwanda va présider l’UA en 2018. Ne craignez-vous des pressions rwandaises hostiles via cette institution si d’ici là le Burundi et le Rwanda ne se seront pas réconciliés ?

Nous ne voyons aucune menace: être président de l’Union Africaine ne changera rien au regard des rapports qui existent entre le Burundi et l’Union Africaine. Nous sommes membre de cette institution comme le Rwanda l’est. Devenir président de l’UA ne signifie pas faire tout ce que l’on veut. Le Burundi sera là pour défendre ses intérêts. Le Rwanda est un État parmi d’autres États tous égaux.

Selon certaines sources, la Tanzanie a joué le rôle dans le refus de la SADC d’intégrer le Burundi malgré l’avis favorable du Président Zuma. N’y voyez-vous pas de message politique ? Une pression indirecte ?

Le Burundi ne peut subir une pression quelconque aujourd’hui. Nos deux pays sont frères: la non-entrée du Burundi dans la SADC, c’est parce qu’il n’était pas encore temps. Uniquement.

Après deux ans à la première vice-présidence, comment appréciez-vous le bilan de vos réalisations ? Réussite ou échec?

C’est une réussite. Pas une réussite du 1er Vice-Président de la République, mais une réussite de tout le gouvernement. Vue la situation de 2015, lors de notre nomination et aujourd’hui, tout le monde est témoin de l’amélioration nette de la situation et des perspectives de notre pays.

Quels sont les secteurs dans lesquels vous auriez enregistré le plus de succès ?

La cohabitation pacifique de la population burundaise, l’unité des Burundais qui est la base de la vie nationale a été défendue et maintenue. Nous avons énormément contribué à ramener la paix et la sécurité à Bujumbura et dans tous les endroits du pays où la paix était précaire. Aujourd’hui, le Burundi est en paix, sur toute l’étendue du pays. Certes, nous avons aussi des défis compte tenu de la conjoncture économique et de la sécheresse. Dans certaines localités, nous avons observé une période de famine. Ceux qui disent que la population a faim, que c’est la vie chère au Burundi, qu’ils s’informent auprès de ceux qui sont dans les pays voisins comment ils vivent là-bas. Nous pouvons dire que nous sommes mieux qu’eux.

Malgré ce tableau prometteur, on parle des détentions arbitraires, de disparitions, des cas de tortures. N’est-ce pas quelque part un échec ?

Les détentions, ce n’est pas seulement au Burundi. Il y en a partout car on doit mettre en prison les fautifs. Pourquoi on oublie qu’il y a des cambrioleurs, des tueurs, des criminels ? Aujourd’hui quand on parle de droits de l’homme, on dirait que ces droits sont pour une certaine catégorie de la population. Pourtant, les droits humains pour n’importe qui commencent là où finissent ceux des autres. Donc si il y a les fautifs, nous sommes là pour punir et corriger. Des criminels sont arrêtés parce qu’ils ont kidnappé, tué des citoyens. Cela n’est jamais dit. On dit seulement qu’il y a des disparitions, on ne dit même pas les conséquences de ces disparitions, qu’il y a des gens que les forces de l’ordre ont appréhendés à cause de ces disparitions. Il peut y avoir des disparitions parce qu’au Burundi il y a des conflits fonciers qui amènent les gens à s’entre-tuer. Nous avons aussi les cas de règlements de comptes. Curieusement, on met tous ces cas sur le dos du gouvernement. Mais on oublie que tous ces criminels qui font ces forfaits sont déjà arrêtés.

Jacques Bigirimana plaide pour le pardon aux personnes incarcérées pour l’insurrection de 2015. Y a-t-il des chances que son appel soit entendu ?

Ce n’est pas seulement Jacques Bigirimana qui demande cela. Le Président de la République a relâché des milliers de condamnés. Nous croyons que maintenant il faut poser la question à ceux qui ont armé les jeunes ou ceux qui ont participé au mouvement insurrectionnel s’ils sont prêts à demander pardon. Le gouvernement est disposé à l’accorder.

Le gouvernement du Burundi est-il outillé à accueillir des milliers de réfugiés qui s’apprêtent rentrer en même temps ?

Le Burundi est disposé à accueillir ses fils et filles qui rentrent. Il y a de la place pour tous les Burundais. D’ailleurs, ceux qui rentrent ce sont ceux qui venaient de se réfugier très fraîchement. Ils ont leurs maisons, leurs terrains: tout a été préservé en leur absence. Nous sommes là pour les aider à recommencer une nouvelle vie.

Si ce sont des réfugiés économiques, ne risquent-ils pas de retourner en Tanzanie à cause de la même raison, la famine ou la pauvreté ?

Aujourd’hui il y a accalmie, les récoltes sont bonnes. Nous allons leur donner les semences et nous allons les accompagner pendant toute la période de labour. Par ailleurs, le Gouvernement mène en ce moment plusieurs projets pour juguler la pauvreté en milieu rural, que ce soit via une aide financière directe, la facilité de l’accès aux intrants agricoles, la construction des routes modernes permettant de désenclaver les régions et de fluidifier les échanges économiques. Ces efforts ne sont mentionnés par aucun de ceux qui brossent en noir le Burundi.

Ceux qui vont rentrer sont de simples citoyens. Et les politiciens ?

Nous demandons à tous les Burundais de rentrer. Nous exhortons les politiciens qui sont à l’extérieur du pays de rentrer. Nous savons les difficiles conditions dans lesquelles ils vivent là où ils sont. Il faut qu’ils rentrent pour mener une politique saine et propre à l’intérieur du pays.

Dans la réunion du CNARED du 14 août au 17 août 2017, les organes de cette plateforme ont demandé aux dirigeants de la sous-région de faire pression au gouvernement du Burundi pour répondre aux pourparlers d’Arusha. Votre réaction ?

Je le redis: aucun pays ne peut faire de pression sur le Burundi. Le CNARED, c’est une fabrication de l’Union Européenne qui croyait que la plateforme pouvait être une pression contre le gouvernement du Burundi. Hélas!, notre pays peut dialoguer mais nous ne pouvons accepter aucune pression. C’est pourquoi nous demandons aux politiciens de rentrer pour mener leurs revendications dans la paix et la tranquillité à l’intérieur du pays.

Le CNARED demande aussi à l’UE de maintenir des sanctions sur le Burundi. Votre commentaire ?

Les sanctions ciblées et économiques, ils en parlent depuis 2015, avec un penchant divisionniste clair. Aujourd’hui, nous sommes sereins pour pouvoir mener le pays vers l’éradication de l’ethnisme au Burundi. C’est notre objectif de pouvoir mener un combat politique dans nos différences mais étant unis.

Le CNARED demande à l’ONU de mettre en application la résolution 2303…

Le CNARED est en perte de vitesse et fait une confusion de périodes. Il y a eu beaucoup de choses qui ont positivement changé depuis que la résolution 2303 a été prise. Aujourd’hui, nous sommes dans une période de paix, de reconstruction, de renforcement de la paix pour pouvoir préparer les élections de 2020. Les gens du CNARED sont encore en 2015 alors que nous avançons vers une autre législature. Ils contestent encore le troisième mandat, alors que le mandat actuel touche bientôt à sa fin. Qu’ils regagnent le pays et travaillent pour avoir au moins leur premier mandat.

Par ailleurs, le CNARED exhorte Kafando à appuyer fortement la facilitation dans la recherche de la paix négociée: votre réaction ?

Michel Kafando est un fonctionnaire des Nations Unies. Sa mission est celle d’œuvrer pour le retour de la paix. Le Gouvernement y travaille, avant même sa nomination, et reste le premier garant de la paix au Burundi. Tout Burundais, à l’extérieur comme à l’intérieur, doit pouvoir goûter de cette paix, et ce ne sont pas les milliers de touristes et vacanciers qui aiment ou pas le gouvernement mais qui se sont succédé ces deux derniers mois au Burundi qui me contrediront.

Une délégation de la facilitation a séjourné dernièrement à Bujumbura mais rien n’a filtré. Pouvons-nous en savoir davantage ?

Je ne fais pas partie de l’équipe de la facilitation, qui a sa méthodologie de travail. Ils viennent ici et rencontrent qui ils veulent. Le gouvernement leur facilite simplement la tâche. C’est à eux de répondre à votre question.

Le Ministre de l’Intérieur demande à la Cour Suprême de radier le parti MSD. Quelle plus-value cette radiation pourrait-elle apporter au Burundi ?

Le ministre a dans ses attributions la latitude de voir les partis qui font leurs activités conformément à la loi, ou pas. Et quand il constate de profondes lacunes dans certaines formations politiques, il peut demander leur radiation. Les partis qui ne fonctionnent plus, restant là comme porte-noms, sont aussi en train d’être scrutés. Nous demandons le respect de la loi, rien que la loi.

Des membres de l’administration de base proposent que la contribution aux élections de 2020 soit obligatoire…

Le Gouvernement a demandé de faire une contribution volontaire pour que nous puissions organiser les élections en toute quiétude en 2020. Moi je l’avais proposé en 2015 et certains citoyens l’ont fait pour les scrutins d’alors. Mais l’idée de contribuer financièrement émane de la population elle-même. Aujourd’hui, nous avons la mission de sensibiliser toute la population pour qu’elle comprenne qu’organiser les élections par les moyens du peuple burundais c’est une grande manifestation de notre indépendance.

On prête à votre gouvernement l’intention de supprimer la limite des mandats dans la Constitution. Vrai ou faux ?

Le gouvernement ne peut pas supprimer les mandats, ou les limiter. Seul le peuple le peut. Suivant les recommandations du dialogue inter-burundais, le gouvernement a mis en place une équipe qui va voir les modalités ou les points sur lesquels on peut bâtir une nouvelle Constitution. Donc, ce n’est pas le gouvernement qui va abolir la limitation des mandats. C’est le peuple burundais qui va le faire, parce que c’est le peuple qui va voter cette Constitution, ou pas.

Y a-t-il oui ou non des pourparlers entre les émissaires du gouvernement et ceux d’Helsinki ?

Le gouvernement ne s’était pas présenté à Helsinki. C’est une affaire de l’Ombudsman. Nous appuyons toute initiative, n’importe d’où qu’elle vienne, pour pouvoir amener les Burundais pacifistes à s’assoir ensemble. Les pourparlers que nous pouvons faire, ce sont ceux pour amener des Burundais à rentrer pour préparer les élections de 2020.

Y a-t-il oui ou non des pourparlers entre les émissaires du gouvernement et ceux du CNARED ?

A mon avis, non.