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L’ambassadeur du Royaume de Belgique au Burundi, Bernard Quintin a accordé une interview exclusive à Ikiriho. Au sujet des relations bilatérales, il révèle qu’il y a des gestes de part et d’autre pour arrondir les angles même si son impression est « parfois une certaine frilosité du côté burundais. » Il apprécie la sécurité actuelle au Burundi, même s’il estime « qu’il y a sans doute des progrès à encore réaliser sur différents plans. » L’économie burundaise ? Le diplomate belge est convaincu « qu’aucun pays, riche ou pauvre, ne peut aujourd’hui penser se développer en se coupant du reste du monde » et que «se replier sur soi n’est jamais la solution, ni à court, ni à moyen ni à long terme ». Au sujet de la justice, il dit que le manque criant de moyens est un des éléments qui peut « miner son indépendance ». Quant à la révision de la Constitution, le Belge se demande « si le climat, entre autres politique, soit propice à cela et si les conditions de la création d’un consensus soient réunies ».

-Quelles sont les relations que vous entretenez, vous en tant qu’Ambassadeur, avec les officiels burundais, notamment le ministère des Relations Extérieures ?

 J’entretiens des relations en général cordiales avec les autorités du pays et singulièrement avec le Ministre des Relations extérieures et de la Coopération internationales. C’est l’essence de notre métier de diplomate : garder les canaux de communication ouverts.

Des relations en dents de scie entre le Burundi et la Belgique, deux pays tous souverains. Pas de gestes de chaque côté pour tenter d’arrondir les angles ?

Nous sommes en effet deux pays souverains, et j’insiste sur le « deux ». Pour ce qui est des gestes, il y en a, de part et d’autre, même si mon impression est parfois une certaine frilosité du côté burundais. Mais il ne faut pas toujours des gestes spectaculaires.

-La Belgique, ancienne tutrice du Burundi. Aujourd’hui le Burundi lui tient un discours souverainiste. Quel est le sentiment de la Belgique ?

Nous avons été le premier pays à reconnaître le Burundi en tant que pays indépendant. Nous ne nous en sommes jamais dédits.

-La Belgique frustrée de ce qui se passe au Burundi et qui décide de fermer le robinet de l’aide… Aurait-elle jamais envisagé un retrait du Burundi pour se concentrer au Congo ?

Il y a parfois un certain sentiment de frustration, je ne le cache pas, mais certainement pas un arrêt de l’aide, sauf à considérer qu’environ 40 millions d’euros par an c’est un robinet fermé. La RDC fait face elle aussi à d’immenses besoins et les ressources ont plutôt tendance à se raréfier. Cependant, il n’y a pas d’intention de la Belgique de se retirer du Burundi.

-Sursaut d’orgueil face aux accusations contre votre pays par le Burundi, la Belgique aurait-elle comme ancienne tutelle envisagé de changer le régime au Burundi comme les anciennes métropoles le faisaient dans leurs anciennes colonies ?

Il ne devrait jamais être question d’orgueil dans le cadre des relations internationales ni dans la gestion de la chose publique d’ailleurs. De graves accusations ont été et sont encore portées contre mon pays mais vous aurez constaté que nous n’y répondons jamais et certainement pas par des invectives ou des propos déplacés… Au contraire, nous sommes toujours là, engagés auprès des Burundais qui sont seuls responsables de choisir leurs dirigeants, ce qu’ils doivent pouvoir faire absolument librement.

-Un rapport des Nations Unies fait état de la présence des combattants rebelles des FOREBU d’Hussein Radjabu à l’Est du Congo. Ne bénéficierait-il pas d’un appui de votre pays ?

Non.

-Comment appréciez-vous la situation sécuritaire au Burundi actuellement ?

C’est une question plus complexe qu’il n’y paraît. Si l’on compare avec la situation de 2015-2016, on doit constater un calme relatif au Burundi, c’est un fait, malgré plusieurs incidents encore récemment. Mais la sécurité ce n’est pas que le calme. C’est aussi la protection du domicile, la protection des droits civils et politiques et, encore plus important, la protection de la vie. Il y a sans doute des progrès à encore réaliser sur ces différents plans.

-Le Burundi, un pays qui vient de frôler une résurgence de guerre civile, qui a notamment étouffé dans l’œuf des rébellions en gestation. N’a-t-il pas le droit et surtout le devoir de rétablir la sécurité par tous les moyens ?

Si vous voulez dire que la fin justifie les moyens, ma réponse est sans équivoque : Non! Un rôle fondamental de l’État est d’assurer la sécurité de ses citoyens, et de toute personne sur son territoire en fait. Mais la sécurité dans tous ses aspects, comme je le soulignais avant. De plus, il y a un principe fondamental qui est celui du monopole de la violence légitime qui appartient exclusivement à l’État, ici l’exécutif, qui doit, le cas échéant, en répondre devant les instances judiciaires ou parlementaires.
Les jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure. Des milices ou des gardiens de la paix ?

Je le répète : ce n’est pas à une association privée de s’occuper des affaires de police ni de sécurité publique en général.

-Le Burundi accuse l’UE et ce que l’on désigne souvent sous l’appellation de l’Occident de chercher à déstabiliser le pays à cause de ses minerais. Votre commentaire.

Fantasmes.


 Quel est actuellement le volume de l’aide de la Belgique au Burundi ? Quelles sont les secteurs appuyés par la Belgique et ceux que vous n’appuyez plus ? Quels sont les secteurs que vous auriez aimé appuyer ?

Nous avons encore une enveloppe annuelle bilatérale d’environ 40 millions d’euros. C’est toujours difficile de quantifier exactement car les cycles sont longs et pas toujours concordants. Nous sommes très impliqués dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’agriculture. Nous sommes aussi présents, à travers les ONG que nous finançons, dans le renforcement de la société. C’est déjà beaucoup mais je crois que le secteur de l’énergie est aussi absolument fondamental pour aider au développement économique du pays.

-Le Burundi qui depuis 2015 ou même avant démontre qu’il peut vivre sans l’aide de l’Occident. Comment interprétez-vous la décision de Bujumbura d’avancer certes à la vitesse de la tortue mais se passer de l’aide conditionnée de l’Occident. Le Burundi n’est-il pas sur la bonne trajectoire ?

Vivre ou survivre ? Aucun pays, riche ou pauvre, ne peut aujourd’hui penser se développer en se coupant du reste du monde et ceux qui ont essayé cela dans le passé n’ont pas eu des résultats probants, au contraire. De plus, qu’on le veuille ou non, l’UE et ses États membres restent de loin les plus grands contributeurs de l’aide au développement dans le monde. Se replier sur soi n’est jamais la solution, ni à court, ni à moyen ni à long terme.

-Comment estimez-vous la capacité de la Chine et de la Russie à impulser le développement du Burundi ? Une alternative à la coopération avec l’UE ?

Nous pouvons être complémentaires mais les modalités de nos soutiens respectifs ne sont pas les mêmes. Je suis sincèrement persuadé que c’est contre-productif pour le Burundi de vouloir jouer les uns contre les autres… les enjeux majeurs auxquels ce pays doit faire face valent mieux que cela.

Le Burundi prêt à prouver qu’il peut se développer sans Investissement Direct Étranger (IDE). Quelle sont d’après vous les chances de réussite de cette politique ?

Nulles.


 L’ambassadeur du Royaume de Belgique au Burundi, Bernard Quintin
La Belgique abrite des « criminels » burundais sous mandats d’arrêt internationaux émis par la justice burundaise. Quelles réponses avez-vous réservé à la demande d’extradition par Bujumbura ?

Des procédures liées à ces mandats sont en cours, je ne me prononce pas sur ce sujet. Par contre, je dis et je répète que la Belgique a toujours, depuis des siècles, été une terre d’accueil et elle compte le rester. Il y a des règles et des conditions nationales et internationales à cela et nous veillons à ce qu’elles soient respectées. Pour ce qui est de la justice burundaise, il est évident qu’elle fait face à un manque criant de moyens, ce qui est un des éléments qui peut miner son indépendance. Donnons-nous les conditions de sortir des réserves de l’article 96 et nous pourrons reprendre notre soutien à ce secteur essentiel dans n’importe quel État de droit.

-Le changement de la Constitution parce que le peuple, seul garant de la souveraineté du pays l’a décidé ainsi. Votre commentaire ?

Entièrement d’accord avec vous, la Nation est souveraine. En Belgique d’ailleurs nous modifions régulièrement la Constitution. Mais cela demande que le climat, entre autres politique, soit propice à cela et que les conditions de la création d’un consensus soient réunies. Est-ce le cas maintenant ? Poser la question, c’est peut-être y répondre.

-L’Occident voudrait envoyer les putschistes à la table des négociations à Arusha d’où une certaine frilosité de Bujumbura à l’égard du dialogue extérieur. Votre point de vue ?

Je me demande encore qui compose exactement votre « l’Occident », mais si vous voulez parler de la Belgique, je peux être très clair : les personnes qui ont commis des actes armés avérés – appelez-les des putschistes si vous préférez- se sont disqualifiées. De plus, il me paraît impropre de parler de dialogue extérieur : il y a une médiation qui a été mise en place par un sommet des Chefs d’État de la Communauté d’Afrique de l’Est, à laquelle appartient le Burundi. Enfin, il y a quand même un principe universel : on négocie avec les gens avec lesquels ont n’est pas d’accord au départ, non ?

-Le président Nkurunziza qui appelle à l’autofinancement des élections de 2020 et qui donne l’exemple en versant 5 millions de Fbu. Comment interprétez-vous cela comme pays qui est souvent indexé par le pouvoir de Bujumbura comme ayant voulu saboter les élections de 2015 ?

D’abord, nous n’avons ni voulu ni agi pour saboter les élections de 2015. Ensuite, c’est toujours louable de ne pas vouloir dépendre de l’extérieur… mais je rappelle ce que je disais un peu avant : pas un pays au monde ne peut espérer vivre et croître en se coupant du reste du monde. Les prochaines élections doivent-elles être financées par les contribuables burundais uniquement ? Si c’est la volonté du Gouvernement burundais, pourquoi pas ? Les besoins sont nombreux mais c’est aux autorités à décider de l’affectation de ses revenus et de veiller à ce qu’ils soient gérés en toute transparence.

Author: Philippe Ngendakumana