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Hutu victimes de la tragédie de l’Assomption 1988, certains politiciens et leaders des associations de la société civile pointent un doigt accusateur au pouvoir militaire de la-tragedie-de-ntega-marangara-650x366.jpgl’époque dirigé par le major Pierre Buyoya. Peu présents dans la presse ou sur les réseaux sociaux, des Tutsi rescapés se disent frustrés de ce qu’un certain discours semble minimiser l’ampleur des massacres perpétrés par les Hutu sur la minorité tutsi dans ces deux communes du nord du pays.

Jean Hitimana, Hutu originaire de Ntega, indique que ce qui lui revient à l’esprit en premier lieu sont les opérations de l’armée « tutsi » du président Pierre Buyoya. «Les colonels Maregere et Nengeri ont fait l’usage des véhicules blindés. Des hélicoptères de guerre tiraient à la mitrailleuse et ont largué du napalm contre des civils de tous âges ». Il reconnaît que certains des Hutu étaient armés de machettes, lances, flèches, gourdins et massues.

Aujourd’hui ce rescapé se dit « frustré de ce que le pouvoir actuel n’ose pas qualifier de génocide contre les Hutu l’hécatombe de Ntega-Marangara ». Qui pis est, « la CVR traîne le pas à faire éclater la vérité sur ce génocide ».
Frustration aussi chez Louise Niyongabo, une Tutsi rescapée de la « folie meurtrière des Hutu de Marangara ». Elle se rappelle qu’avec sa fratrie, elle était en vacances chez leur oncle dans une localité située à deux heures de marche du chef-lieu de la commune Marangara.

Une semaine avant la date fatidique du 15 août, se souvient-elle, l’oncle a interdit aux enfants de se rendre à la fontaine pour puiser l’eau. Pour cause : « Armés de lances, de machettes, de flèches et de massues, des Hutus patrouillaient de jour comme de nuit. Un jour, j’ai surpris mon oncle, visage inquiet, murmurant : est-ce que les Hutu vont décimer tous ces enfants sous mes yeux ? ». Elle a compris que la situation était grave.

Une ruse de l’oncle, se rappelle Mme Niyongabo : il donnait de l’argent aux gens qui rôdaient autour de sa maison. « Cela distrayait ces Hutu qui affirmaient que mon oncle détenait une arme à feu ».
L’étau se resserrait de plus en plus fort autour de notre famille. Deus ex machina : la veille de l’Assomption, à la faveur de la nuit, toute la famille a pu gagner le chef-lieu de la commune Marangara à travers buissons, bananeraies et sentiers peu fréquentés.
Une fois au chef-lieu de la commune Marangara, un véhicule d’un commerçant a embarqué une partie de la famille. « J’ai échappé in extremis mais des membres de la famille ont été découpés à la machette ; un garçon de 4 ans fut tué et jeté dans une toilette ».

Au bord des larmes, Mme Niyongabo explose : « Je suis frustrée que des gens ressassent à tout bout de champ que seuls les Hutu ont été tués en 1988 alors que les Tutsi ont été autant sinon plus affectés, d’autant plus qu’ils sont une infime minorité dans cette commune.»

Le Palipehutu tout aussi indexé que l’armée de Buyoya

Frustration aussi chez Déo Hakizimana, rescapé de la tragédie de 1972 et initiateur de la résistance en 1988 (initiateur d’une lettre ouverte au président Buyoya, un condensé des injustices à l’endroit des Hutu). Impuissant, il constate que « 29 ans après, la lumière sur les massacres de Ntega-Marangara n’est pas encore faite ».
François-Xavier Ndaruzaniye n’y va pas par quatre chemins. Le président de l’ASBL « Izere » affirme que « Pierre Buyoya est l’auteur des massacres des milliers des innocents civils de Ntega et Marangara. Les victimes crient toujours justice. Il constate que la CVR a un gros chantier et doit parvenir à chercher la vérité sur les massacres de Ntega et Marangara.

Quant à Aloys Batungwanayo, représentant légal de l’Association pour la mémoire et la protection de l’humanité contre les crimes internationaux (Ampeci-Gira Ubuntu), il trouve que « 29 ans après Ntega-Marangara, les victimes restent silencieuses. Plus de 20. 000 victimes, Hutu et Tutsi. On ne connaît même pas là où elles ont été jetées. »

Et d’inviter le parti Palipehutu de sortir de son mutisme : « après 29 ans, le Palipehutu de l’époque peut aujourd’hui rompre le silence et accepter ou pas la responsabilité dans cette crise. » L’on saura ici que le pouvoir de Buyoya avait accusé le Palipehutu d’être derrière le massacre des Tutsi de Ntega et de Marangara justifiant ainsi la répression de l’armée qui « n’a fait que rétablir l’ordre et la sécurité ».

Pour M. Batungwanayo, « A quelque chose malheur est bon » : une conséquence heureuse de cette crise, dira-t-il, le président Buyoya a compris qu’il ne pouvait plus composer son cabinet ministériel majoritairement Tutsi. De cinq Hutu au cabinet, le cabinet passa de douze Hutu avec un premier ministre Hutu, Adrien Sibomana.
Philippe Ngendakumana