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Dans une interview exclusive au Groupe de Presse Ikiriho, l’Ambassadeur de l’Union Européenne au Burundi, Wolfram Vetter, a dit que les conditions de la reprise de l’aide directe au Burundi ne sont pas encore réunies et conditionne toujours la reprise de la coopération à la tenue d’un « dialogue inclusif ».

Wolfram Vetter, Ambassadeur de l’Union Européenne au Burundi
Après deux ans de crise politique au Burundi, vous avez effectué de nombreuses visites dans la ville de Bujumbura et à l’intérieur du pays. Quelle est votre appréciation de la situation sécuritaire actuellement ?

Moi en tant qu’Ambassadeur, je me sens en sécurité. Je ne me sens pas du tout menacé. Mais je crois que ce n’est pas le cas pour toute la population. Il y a de nombreuses personnes au Burundi qui sont arrêtées, qui disparaissent; il y a une forte présence d’hommes en uniformes dans la ville et dans le pays. Et à mon avis, s’il y a une apparence de sécurité, ce n’est pas dû au rétablissement d’un consensus politique. La crise politique continue, même si la sécurité dans un certain sens est assurée en apparence à Bujumbura et dans le pays.

Et que pensez-vous de la sécurité des personnes qui sont engagées dans la politique ?

Comme je viens de le dire, moi je me sens en sécurité mais je crois ce n’est pas le cas pour beaucoup de ceux qui sont engagés politiquement. Un nombre important de personnes engagées en politique a quitté le pays et n’ose pas renter. Et je crois aussi que ceux qui sont ici ne se sentent pas tout à fait en sécurité, comme par exemple certains membres de mouvements politiques.

Avez-vous l’impression qu’il y a un génocide qui est en train d’être préparé ou un processus de génocide qui se déroule au Burundi telle que cela a été précédemment revendiqué par la FIDH à Paris et certains membres de l’opposition en exil ?

Je crois qu’il y a une erreur d’interprétation dans votre question parce que la FIDH n’a pas dit qu’un génocide est en préparation. Ce que la FIDH a fait, c’est d’attirer l’attention sur l’existence du risque, parce que, je crois, celui-ci existe toujours dans cette région au vu de son histoire. Je trouve que c’est quand même autre chose. Et personnellement, je ne crois pas qu’un génocide soit en préparation mais qu’il existe toujours ce risque dans la région.

L’Union Européenne revient souvent sur des violations des Droits de l’Homme au Burundi citant principalement l’implication du Gouvernement burundais. Des sanctions ont été prises. Mais il n’y a jamais eu des sanctions contre les acteurs de l’opposition alors que les rapports mentionnent leurs exactions. Est-ce que ça ne serait pas une justice à deux vitesses ?

Je crois que le respect des Droits de l’Homme, la bonne gouvernance, la promotion de l’Etat de droit, sont d’abord de la responsabilité du gouvernement. C’est pour cela que nous, en tant que communauté internationale, nous nous adressons au gouvernement en premier lieu. Mais quand vous parlez de sanctions, il est vrai que quatre personnes sont sous des mesures de sanction de l’UE; mais parmi elles, il y a un membre de l’opposition.

Ambassadeur Wolfram Vetter et son conseiller politique Christian Joly
L’Union Européenne a pris des sanctions contre le Burundi et a arrêtée le soutien financier direct au Gouvernement en citant la violation des termes de l’accord de Cotonou par le Gouvernement Burundais. Est-ce que la libération des prisonniers, la réouverture des radios et autres actions du gouvernement semblent suffisantes pour que l’UE envisage de supprimer ses sanctions ? Si oui, quand et comment ? Sinon, quel processus qui a été considéré pour harmoniser la situation ?

Tout d’ abord il est exact que l’UE et ses Etats membres ont pris des mesures appropriées et ont gelé une partie de leur coopération avec le Burundi, en interrompant les appuis directs à l’Etat. Mais cette même décision énonce, de manière très détaillée, un certain nombre d’engagements attendus de la part du Gouvernement du Burundi par l’Union Européenne, qui comprennent, entre autres, un dialogue inclusif inter-burundais qui amène une feuille de route de sortie de crise, la réouverture de l’espace politique, la création d’un espace pour la société civile, la liberté d’expression, la liberté pour les médias d’opérer. Cela veut dire qu’il y a des critères très détaillés et clairement définis dans cette décision. Dès que l’on pourra observer de la part du Gouvernement du Burundi des pas concrets dans cette direction, l’UE sera en position de réengager sa coopération avec le gouvernement.

Le gouvernement du Burundi a déjà posé des gestes concrets…

Parmi les événements que vous avez mentionnés, il y a la libération des prisonniers dont ceux du MSD. C’est une décision qui a été très appréciée, et l’Union européenne l’a saluée en publiant une déclaration des Chefs de mission de l’Union Européenne au Burundi. Mais ce geste positif a en quelque sorte été contrebalancé par d’autres mesures et d’autres faiblesses du système judiciaire qui ont montré qu’au fond la situation n’a pas vraiment changé. Cela veut dire qu’à l’heure actuelle, ce sera difficile de revenir sur les mesures appropriées et de dégeler notre coopération.

Quels types de projets financés par l’UE et quels critères l’UE considère-t-elle pour financer des projets au Burundi ?

Vous parlez de la coopération qui est en cours.., oui. Comme je viens de le dire, il y a seulement une partie de la coopération qui est gelée, c’est la coopération directe avec le gouvernement. Mais il y a d’autres activités dans les secteurs de la santé, de la nutrition, de l’agriculture, de l’énergie qui sont en cours. En fait, nous avons lancé l’année dernière des projets et des programmes pour un montant de 55 millions d’euros dans ces secteurs. Cela veut dire que l’on continue à travailler pour le bénéfice de la population et que l’on essaie de soutenir la résilience du Burundi en même temps. Cependant, je crois que les conditions pour pouvoir se réengager véritablement dans le développement économique et social du Burundi ne sont pas remplies.

L’UE a retiré la mission de l’observation électorale en 2015. Est-ce que vous regrettez cette décision en considérant que les élections se sont déroulées et que les institutions ont finalement été mises en place ?

Je n’étais pas là en 2015 mais je peux vous dire que l’UE applique un système rigoureux en matière d’observation électorale. Une mission observe la transparence, l’environnement, l’état des libertés qui caractérisent le processus électoral et qui doivent être en place pour que les élections puissent être menées dans la paix et de manière crédible. Si ces conditions ne sont pas remplies, l’UE se retire pour ne pas donner un aval politique aux résultats de ces élections. Je crois que, là, l’UE a pris consciemment cette décision de retirer sa mission d’observation.

La Commission Vérité et Réconciliation a été critiquée par une certaine opposition. Quelle est la perception de l’UE sur cette commission ? De quelle manière l’UE est-elle impliquée dans ce processus ?

Je ne suis pas informé de ces critiques, mais pour nous, la CVR est une institution extrêmement importante. On essaie de la soutenir. Là aussi je crois qu’il y a des efforts de la part du président de la CVR et de son équipe, efforts que nous apprécions très positivement. Mais je crois en même temps qu’ils ne sont pas à même de faire leur travail dans le plein respect des standards internationaux applicables aux travaux d’une telle commission. Je veux prendre un exemple : comment les témoignages et dépositions sont-ils stockés et conservés ? Il s’agit d’une question qui est très sensible. A ma connaissance, toutes les conditions ne sont pas encore en place pour que cette commission puisse vraiment opérer.

Est-ce qu’on peut savoir comment l’UE est impliquée pour soutenir ce processus ?

Nous avons de fréquents contacts avec la CVR, qui organise d’ailleurs de temps en temps des réunions avec des partenaires. Nous répondons présents. Nous pourrons, de plus, envisager d’apporter un soutien financier à la CVR lorsque les conditions seront réunies.

Le dialogue inter Burundais sous la facilitation de Mkapa a été critiqué par l’opposition et par certains membres de la communauté internationale, mais le facilitateur a indiqué qu’il était satisfait des progrès et qu’il continuera le dialogue jusqu’à la fin. Quelle est votre perception et comment l’UE est-elle impliquée dans le processus ?

Vous avez autre information que moi parce que l’information que j’ai, c’est plutôt que le facilitateur n’était pas satisfait des progrès réalisés. Ainsi, dernièrement, il a au contraire demandé qu’un Sommet Extraordinaire de la sous-région soit organisé pour que le processus puisse vraiment progresser. Je crois qu’il a tout à fait besoin du soutien de la communauté internationale, et aussi de l’UE, pour qu’il puisse faire son travail. Nous espérons vraiment que toutes les parties prenantes accepteront de participer dans ce dialogue et de le faire de bonne volonté, de manière constructive, ce qui est absolument clé pour sortir de la crise actuelle au Burundi.

Et que dire de la quantité et de la qualité de l’information dans les médias burundais ?

Je trouve les deux assez limitées. C’est aussi quelque chose qui fait partie des engagements attendus de la part du Gouvernement du Burundi. Il faut vraiment ouvrir l’espace pour les médias. Il faut créer un environnement pour que les gens puissent s’exprimer, les médias puissent fonctionner librement. Je crois que là il y a encore du travail à faire.

Quelle est votre appréciation d’Ikiriho ?

Je suis très impressionné, par le dynamisme de cette agence, de son leadership surtout, par ses activités, sa présence, ses réseaux. Je remarque aussi son engagement pour une plus grande professionnalisation et pour la formation des jeunes. Tout cela est très impressionnant.

by Emmanuel Bizindavyi