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Photo : Le MondeLe pouvoir de Bujumbura devrait faire attention, les belges sont des professionnels dans la diplomatie démagogique. Un wallon namurois a dit : « Qui ne connait pas le belge, l’héberge ». Cela est d’autant vrai que d’une part les diplomates belges font sortir des mots doux envers le pouvoir de Bujumbura et en même temps au niveau du Senat et de la Chambre des Représentants, on affiche l’hostilité et la méfiance belges envers le gouvernement du Burundi.

L’un des espions de la Belgique est Antoine Kaburahe directeur du groupe de presse Iwacu, invité à la Chambre des Représentants (Parlement belge), devant la Commission des relations extérieures au coté de Didier Ryenders, voici le rapport de son audition.

Audition de M. Antoine Kaburahe (Iwacu)

1. Exposé introductif

M. Antoine Kabuhare, directeur du groupe de presse Indépendant Iwacu, dernier groupe de presse encore en activité au Burundi, rappelle qu’en mai 2015, tous les médias indépendants ont été détruits. M. Kabuhare a dû quitter le Burundi en novembre 2015 suite aux menaces du régime, qui l’accuse d’avoir participé à l’organisation d’un coup d’État. Il y a aujourd’hui plus de cent journalistes en exil. Il en va de même pour de nombreux représentants de la société civile et de partis de l’opposition.
En avril 2015, malgré les appels à la raison de la communauté internationale et de la société civile burundaise, le président Nkurunziza a décidé de briguer un troisième mandat. Depuis lors, le pays a sombré dans une grave crise. Le régime burundais se ferme toujours davantage vis-à-vis de l’étranger et multiplie les arrestations, actes de torture, violations des droits de l’homme et assassinats ciblés. Une telle situation est d’autant plus déplorable que le pays était sur une bonne lancée démocratique.

L’orateur salue la position de la Belgique dans la défense des textes fondamentaux que sont la Constitution burundaise et les accords d’Arusha. La Belgique a été un des premiers pays à déclarer que le troisième mandat du président Nkurunziza est anticonstitutionnel. Pour la première fois dans l’histoire et malgré les liens qui unissent la Belgique et le Burundi, l’ambassadeur belge a été déclaré persona non grata. La communauté d’Afrique de l’Est a fait plusieurs tentatives de médiation mais le régime burundais multiplie tous les obstacles pour éviter de réelles négociations à Arusha. Or, le Burundi dépend pour plus de 55 % de son économie de l’aide étrangère. Le régime burundais a proposé d’organiser un “dialogue national” avec comme seul objectif l’organisation d’un référendum pour consacrer la révision de la Constitution et supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels.

Le président Nkurunziza fonde son pouvoir sur des éléments mystiques. Il est convaincu d’avoir été élu par la volonté de Dieu et chaque rencontre officielle commence par une prière publique; son épouse est pasteur d’une église évangélique. M. Kabuhare estime que la seule solution pour la communauté internationale est de continuer à maintenir la pression et de prendre des sanctions plus sévères tant sur le plan économique que diplomatique (restriction de visas, …). Les sanctions prises par les États-Unis, visant à bloquer les comptes bancaires de quatre officiers, sont totalement inefficaces car ces personnes ne sont même pas titulaires d’un compte aux États-Unis et ne voyagent pas à l’étranger. La Belgique doit utiliser son expertise et sa connaissance du pays pour imposer des sanctions là où cela fait mal. Le régime burundais a implanté la terreur dans le pays. Grâce à l’accord de paix signé à Arusha le 28 août 2000, la question ethnique a été réglée. Aujourd’hui, l’opposition est purement politique et est menée par les hutus (ethnie majoritaire au Burundi). Les Burundais n’ont plus rien à perdre; il faut donc tout faire pour faire plier le régime.

2. Questions des membres

M. Peter Luykx (N-VA) constate que le Parlement et le gouvernement belges ont adopté une attitude ferme face aux événements récents au Burundi, mais les sanctions prises ont-elles un réel effet? Comment le gouvernement peut-il réellement peser sur les autorités burundaises? M. Stéphane

Crusnière (PS) insiste sur l’importance du rôle d’une presse et d’une société civile actives et libres. Quelle est la situation actuelle de la presse écrite et des médias audiovisuels? Est-il exact que les médias tolérés par le pouvoir sont tenus de défendre les points de vue du régime? La plupart des ONG sont empêchées d’agir par le pouvoir, qui leur a coupé toute forme de financement. Le membre souhaite aussi savoir quel est le rôle joué par l’armée. Beaucoup de Burundais ont déjà quitté leur pays pour se réfugier dans les État voisins. L’Union européenne a fourni une aide complémentaire. Comment la situation évolue-t-elle? Enfin, M. Crusnière demande si les sanctions doivent viser directement l’État ou plutôt toucher des acteurs de l’État de manière individuelle. Ne faut-il pas veiller à limiter l’impact sur la population?

3. Réponses de M. Antoine Kabuhare

M. Antoine Kabuhare souligne l’impuissance des interlocuteurs internationaux face à la situation au Burundi. Le régime actuel semble imperméable aux sanctions et n’a pas peur de renoncer aux aides financières. Il a décidé de garder le cap, quitte à appauvrir la population et à s’aliéner le monde entier. Il ne faut en tout cas pas relâcher les pressions. Certains mouvements, tels que RED-TABARA et FOREBU, envisagent le recours à la force pour se débarrasser des dirigeants du pays. Si le régime a l’impression que la communauté internationale s’essouffle, cela va renforcer le souhait de certains de recourir à la force.

Le Burundi est un des pays les plus pauvres du monde. Il faut donc espérer que les sanctions puissent pousser le pouvoir à négocier. Des troupes burundaises participent actuellement à une force d’intervention internationale en République centrafricaine. Les Burundais vivent très mal le fait que le gouvernement vend l’image d’un pays qui aide à maintenir la paix à l’extérieur de ses frontières alors que la violence est monnaie courante sur son propre territoire. Si la communauté internationale oblige le Burundi à retirer ses troupes, cela aurait un impact financier non négligeable pour le régime. Par ailleurs, des sanctions ciblées pourraient être imposées à certaines personnalités proches du régime.

Pour ce qui est des médias, M. Kabuhare confirme qu’une station de radio a été rouverte mais elle a dû signer un “acte d’engagement”. La liberté de presse est donc très contrôlée. Iwacu et SOS Médias Burundi travaillent dans des conditions très hostiles et difficiles. Selon les dernières statistiques, entre 250 000 et 300 000 Burundais ont fui leur pays. Plus de cent journalistes vivent en exil. Les réfugiés peuvent compter sur l’aide du Haut -Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et de l’Union européenne. La situation sur le terrain continue à se détériorer si bien qu’il n’est pas possible d’envisager un retour à court terme des réfugiés. Le pouvoir burundais minimise les problèmes et les médias sont muselés. Les milices armées (Imbonakure) sont actives sur l’ensemble du territoire.

M. Kabuhare craint que la situation en RDC ne détourne l’attention de la communauté internationale. Alors que le Burundi était cité en exemple pour avoir résolu pacifiquement le conflit en 2000, le pays est aujourd’hui en train de reculer sur tous les plans. La communauté internationale ne peut donc abandonner la population burundaise à son sort.

Par Marc Masango