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Dans le rapport transmis confidentiellement ce jeudi 23 février aux quinze membres du Conseil de Sécurité, le tout nouveau Secrétaire Général de l’ONU, le Portugais ambassadeur-albert-shingiro-100x75.jpgAntonio Guterres se dit inquiet de Pierre Nkurunziza « qui nourrirait l’ambition de briguer un quatrième mandat ». Il exprime aussi ses appréhensions sur les « Imbonerakure », une milice, selon lui. De son côté, l’ambassadeur du Burundi à l’ONU, Albert Shingiro dénonce « Un rapport biaisé à saveur politique, la faute à Benomar ». Interview avec Ikiriho.

Peut-on avoir le contenu de ce rapport ?

Le Secrétaire général se dit “très préoccupé” par le passage où le président Nkurunziza a déclaré dans la conférence publique de fin d’année à Rutana qu’il ne saurait décevoir le peuple si jamais il lui demandait de faire un autre mandat. Cela « risquerait d’intensifier la crise et de saper les efforts collectifs en vue d’une solution durable», selon M. Guterres qui s’inquiète aussi de la ligue des jeunes du parti au pouvoir. Dans ce rapport, il les qualifie de milices et les accuse de “contribuer à donner un sentiment d’insécurité et à créer un climat de peur”.

Quelle réaction faite-vous de ces inquiétudes d’Antonio Guterres, précisément sur la question du quatrième mandat ?

Il est plus que surprenant que dans ce rapport, le SG de l’ONU soit préoccupé par un soi-disant quatrième mandat non annoncé du Président Nkurunziza pendant qu’ un peu partout en Afrique et ailleurs dans le monde, plusieurs présidents sont à leur quatrième, cinquième sixième ou septième mandat sans que la même préoccupation soit évoquée ! Les affaires constitutionnelles relèvent de la souveraineté exclusive des États-membres et de leurs peuples.

Des visées donc derrière ce rapport qui, d’après vous, prête des intentions au président Nkurunziza ?

Effectivement. Cette invention de la notion de quatrième mandat non annoncé vise à déstabiliser le Burundi en 2020 comme cela a été le cas en 2015 avec la fabrication de la notion du troisième mandat. Ce harcèlement politico-diplomatique sur le Burundi doit cesser car il est contre-productif sur tous les points. La Communauté internationale doit plutôt adopter une approche incitative au lieu de poursuivre sa démarche coercitive qui a failli depuis deux ans. Les progrès irréfutables observés sur le terrain sur le plan politique et sécuritaire doivent être récompensés. Le rapport, le “advance copy” comme on dit dans notre jargon du métier, est trop négatif, biaisé, déséquilibré car ne tient pas compte de nouveaux développements positifs intervenus dans le pays en 2016 et début 2017.

Comment expliquer le fait que le secrétaire général qui est nouveau dans ses fonctions ait produit un tel rapport ?

Il faut noter que le Gouvernement a retiré sa confiance depuis novembre 2016 en Jamal Benomar, envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies et attend son remplacement dans les meilleurs délais. Je viens de réitérer au nom du gouvernement notre demande dans une nouvelle lettre au SG.

Quel aurait-été donc le lien entre le rapport de Guterres et Jamal Benomar ? Ne faites-vous pas de l’amalgame ?

C’est lui qui a produit le rapport publié par le Secrétaire Général. Pour nous, il est clair qu’un fonctionnaire des Nations Unies déjà récusé par le Gouvernement ne devrait pas produire un rapport équilibré. Rien d’étonnant! Le rapport est biaisé et on sent un esprit de vengeance et de nervosité de la part de Jamal Benomar. Et pourtant les progrès sur le terrain sont là et réels! Bref, il est fort probable qu’il agit par procuration de ceux qui ont toujours voulu un changement de régime au Burundi par des moyens anticonstitutionnels, mais en vain. Mais tous ces acteurs qui agissent dans l’ombre devraient savoir que la résilience du peuple Burundais est imperturbable!

Mais il n’est pas encore jusqu’ici remplacé et peut donc continuer à informer même le Secrétaire Général actuel…

Il est plus que étonnant de voir un fonctionnaire des Nations Unies récusé par un gouvernement d’Etat membre continuer à produire des rapports sur ce même pays. Ce qui jette l’équilibrisme qui devrait caractériser l’ONU dans la poubelle tout simplement. Vous savez, de principe, l’ONU notre organisation commune, agit de bonne foi. Mais il arrive que ses fonctionnaires agissent contrairement aux principes et valeurs de l’ONU et cela affectent malheureusement la crédibilité et le prestige de de cette organisation universelle.

Que devrait être l’attitude de Benomar face au rejet maintes fois répété de Bujumbura ?

Il est évident que la lenteur observée dans le remplacement de M. Jamal Benomar handicape sérieusement la coopération entre le Burundi et le Bureau du Conseiller spécial du SG. En un mot il n’est plus compétent pour traiter des questions du Burundi. A sa place je me dessaisirai des dossiers burundais car, dans ce domaine, le forcing devient un choix dangereux pour les deux parties.

Le rapport mentionne-t-il qu’il a été produit par un homme récusé au Burundi ?

C’est un autre fait surprenant, le rapport ne fait pas mention explicite à la lettre du Gouvernement du Burundi qui demande clairement la désignation d’un autre conseiller spécial qui serait chargé également du Burundi ! S’agit-il d’une simple omission? Ou d’un oubli intentionnel? Le deuxième scénario est le plus probable à mon avis.

Ce rapport parle aussi de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les « Imbonerakure »…

Le rapport a fait un recours maladroit à l’utilisation du mot “milice” pour désigner les Imbonerakure, ligue des jeunes du parti au pouvoir. Or, le mot “milice” n’existe pas dans le langage du Conseil de Sécurité. Dans toutes ses résolutions, de la 2248 à la 2303 en passant par la 2279 et autres textes sur le Burundi, le Conseil de Sécurité de l’ONU n’a jamais utilisé ce mot inapproprié pour designer cette jeunesse. Avec sa prudence habituelle, le Conseil utilise plutôt le langage soigné de “jeunes affiliés au parti politique” c’est encore une fois une dérive dangereuse du rédacteur de ce rapport.

Pour qui roule ce rapport que vous rejeter , d’après-vous ?

Ce rapport du SG sur la situation au Burundi est purement et simplement politique. Il est loin d’être factuel. Et je répète ce que j’ai dit ci-haut, le réducteur l’a rédigé dans un esprit de vengeance et de nervosité aiguë après que le Gouvernement ait demandé légitimement le remplacement du Conseiller Spécial du SG chargé du Burundi.

Bujumbura ne serait pas non plus content de la procédure…

Autre fait à signaler: pour la première fois, le conseil passe du format briefing oral auquel nous étions habitués depuis la résolution 2303 le 29 juillet 2016 à un rapport écrit.

Un rapport que vous rejetez de but en blanc tant pour son fond que sur la procédure. Encore une fois, pour quelles visées l’ONU aurait produit un tel rapport ?

Il est fort probable que ce rapport biaisé vise à influencer les décisions du prochain Sommet de l’EAC. Le report sine die du briefing au Conseil sur ce rapport qui devrait passer le 23 courant ne serait pas non plus très éloigné à cette visée. Mais à la fin de la journée, le peuple du Burundi saura comment désamorcer ce piège comme il l’a toujours fait depuis l’échec du coup d’Etat du 13 mai 2015.

Pour tout dire, l’ONU est coupable d’après vous de malhonnêteté intellectuelle ?

Nous avons encore des défis à relever comme ailleurs dans d’autres pays et personne ne le nie, mais sortir un rapport négatif du début à la fin pendant que la situation tend à se normaliser dans le pays sur tous les plans, pourrait ressembler à une malhonnêteté intellectuelle doublée d’un agenda caché de la part du rédacteur. C’est très dommage que le tout nouveau brillant et talentueux Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterres hérite d’un dossier falsifié auquel il n’a pas matériellement participé avant sa prestation de serment à la tête de l’ONU. C’est le conseiller Spécial de son prédécesseur toujours en fonction, rédacteur en chef de ce rapport à saveur politique, qui l’induit malheureusement en erreur.

En attendant, ce rapport est déjà médiatisé …

Nous regrettons aussi le fait que les rapports de l’ONU sur la situation dans les Etats membres tombent dans les griffes des médias avant les Etats concernés. Cela devrait faire partie de la très attendue réforme projetée par le nouveau Secrétaire général. Je dois dire qu’il a du pain sur planche car ce sera toute la culture de l’ONU à réviser. Bref, il a beaucoup de tâches fastidieuses à accomplir un peu de temps! Il peut compter sur le plein appui et l’entière coopération du Burundi dans la réalisation de cette réforme ambitieuse.

by Philippe Ngendakumana