Partage

Personne n’a vu venir le coup. Ni opposants, ni son équipe, ni officiels à Bujumbura, à l’image du ministre Nyamitwe qui, ébahi, ne faisait qu’acquiescer de la tête les propos du vieux tanzanien, bien remonté ce jour-là: « Ceux qui remettent en question Pierre Nkurunziza sont out of their minds… Personne ne peut denier au Burundais la révision de leur Constitution… Ce qui m’intéresse, c’est de préparer les élections de 2020, pas les radicaux … », et autres obus politico-oratoires de ce calibre.

Puis ce fut la cuvée des commentaires. Bujumbura jubilait. L’opposition fulminait. Les diplomates qui, jusque là, répétaient à qui voulait l’entendre leur soutien « au processus de dialogue mené par l’EAC », devenaient soudain réservés.

Car personne n’avait vu venir le coup. Même le président rwandais, qui laissera entendre que les propos du facilitateur ont été tenus sans consultations préalables avec les Chefs d’Etat de la région.

Nous nous perdions alors en conjoncture.

Mais qui est Mkapa par rapport au Burundi ?

– Ministre des Affaires étrangères de la Tanzanie de 1977 à 1980, puis de 1984 à 1990, 3ème Président de la Tanzanie de 1995 à 2005. C’est à dire qu’il a eu à gérer trois parmi les quatre plus grandes crises humanitaires du Burundi (1972, 1988 et 1993…)
– Alors en disgrâce à Bujumbura après 1993, Dr Jean Minani (actuel président du CNARED) recevra hospitalité de Mkapa qui l’appelait parfois « Mon fils ». De même que nombre des leaders de la rébellion Cndd-Fdd et Palipehutu, qui auront fait de la Tanzanie pendant plusieurs années leur champ de recrutement (camps des réfugiés) et de base-arrière.

En plus d’avoir abrité les négociations menant aux Accords d’Arusha (les renseignements tanzaniens savent du bout des doigts tous les calculs/petits arrangements des acteurs burundais d’alors), Mkapa connaît ces acteurs politiques à Bujumbura avant qu’ils ne soient ce qu’ils sont aujourd’hui (puissants, has been, en devenir). Il connaît toutes les ailes volant et non-volant du Frodebu, sait qui est qui au sein du Cndd-Fdd, le FNL, que pèse Rwasa, etc…

Mkapa connaît personnellement l’histoire du Burundi.

Qui plus est:

– En vertu d’une règle non-écrite du CCM, Mkapa est le père politique de Magufuli, son « garant » devant le système CCM (un président en exercice prépare son successeur 10 ans après son départ du pouvoir), de même que Kikwete avait pour garant Ali Hassan Mwinyi
– Mkapa est membre du « Conseil des Sages » du CCM. Sachant le poids politique de la Tanzanie en matière de politique régionale tant dans l’EAC que dans la SADC, il est illusoire de penser que ses propos soient uniquement une prise de tête d’un Mzee qui n’y verrait plus clair

Or, quel est le contexte politique général:

– certains ont vu dans l’intervention de Mkapa un feu vert pour le combat armé. Sauf que c’est un peu plus compliqué: du fait de son exiguïté, pour pouvoir lancer actuellement une rébellion au Burundi, il faut une base-arrière solide pour le repli et les entraînements.
Or, avec les élections au Rwanda (2017), en RDC (2018, l’enrôlement des électeurs est en cours) et les appétits économiques de Magufuli (455 million $ pour le chemin de fer EAC), aucun gouvernement de la région voisin du Burundi ne souhaite de guerre à ses portes, encore moins abriter une rébellion
– les crises dans les pays se résolvent désormais au niveau des blocs régionaux (Nigeria/Tchad/Cameroun avec Boko Haram, Gambie avec succession de Yaya Jammeh, Burundi avec élections 2015), ou à la limite continental (RDC avec le débat constitutionnel, Somalie avec Shebaab, Libye de l’après Khadafi)
– il est illusoire de penser qu’une facilitation onusienne viendrait au bout de la crise burundaise, si ce n’est de l’empirer. L’exemple parfait: la Syrie. Avec le droit de veto, le Conseil de Sécurité est devenu un machin souvent amorphe. Les Occidentaux diront quelque chose, les Russes s’y opposeront, et nous serons partis pour 4, 10 ans de négociations et de guerre

Donc, à moins d’un miracle, Bujumbura et Kigali vont se réchauffer leurs relations dans les prochains mois (pour des élections apaisées outre-Kanyaru), le gros de l’attention internationale va désormais se porter sur les élections en RDC et au Kenya, l’ONU sera busy en train de voir comment se restructurer avec l’arrivée de Trump et le drame syrien, … et le Burundi sera complètement abandonné au leadership tanzanien.

Si j’étais de l’opposition au Burundi:

– j’accepterais de participer au jeu de 2020, cette fois-ci en misant dès le départ sur une seule personne, en la personne de Rwasa. Détesté par le Cndd-Fdd, il est nécessaire pour l’équilibre du jeu politique. Mkapa l’appelle « acteur politique clé »
– je placerais la négociation du statut des réfugiés burundais et autres « putschistes » au cœur des discussions DIRECTES uniquement entre Chefs d’Etat de l’EAC
– Mkapa s’est donné 6 mois pour clôturer la crise au Burundi. Durant ces 6 mois, j’essayerais d’être le tendre fils du facilitateur, appliqué, présent à tous ses rendez-vous (formels et informels), ferme sur les positions mais obéissant aussi, … ikibajou, quoi.
Il y a un gars qui a voulu jouer aux malins avec les conseils de Mkapa: il aurait eu le pouvoir au Burundi pour des décennies en prenant le premier le chemin des négociations (le Cndd-Fdd l’a dribblé), il est rentré à Bujumbura comme Directeur de l’INSS alors qu’il faisait trembler le pays deux ans auparavant. Son nom: Rwasa.

Si j’étais de l’opposition hors du Burundi, je ne perdrais plus de temps dans des rencontres avec les diplomates occidentaux et ou conférences à Bruxelles ou Montréal.
Le Cndd-Fdd n’en perd pas: il prépare déjà 2025.

Sinon, pour ceux qui pensent à une guerre, je discutais avec un Ancien qui a vu 1991, 1993, 1995, 1998, 2000, 2002, 2007, 2014: « Uburundi urashobora kubwinjiramwo kabisa. Ikibazo ni ugusohoka »

bb.pngRoland Rugero via FB