24ème commémoration des tueries perpétrées dans le camp des personnes déplacées de Bugendana.
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La Commission Vérité et Réconciliation a répondu à l’invitation de l’Association pour la Réconciliation et le Traitement du passé au Burundi (AGERBU), avec à l’ordre du jour une messe à la paroisse Bugendana en la mémoire des défunts tués dans la petite matinée du 21 juillet 1996, puis le dépôt des gerbes de fleur sur le site mémoriel de l’endroit, et enfin des allocutions de circonstances.
La messe qui avait été programmée pour commencer à 09 h 50 a duré jusqu’après 14 heures car elle correspondait aussi aux cérémonies de baptêmes de 68 enfants, et à celles de la dévotion à la Sainte Vierge Marie. La délégation de la CVR était forte de sept (7) Commissaires et d’un Cadre, sous la conduite du Président, Amb. Pierre Claver Ndayicariye.
 
Lors de son homélie, le Curé de la paroisse, l’Abbé Privat Nduhirubusa a exhorté les participants à la commémoration des tueries de Bugendana, de ne pas être habité par l’esprit de haine ou de vengeance, mais que la messe -qui a été autorisée par l’Archevêque de Gitega- soit une occasion d’un engagement en faveur de la réconciliation.
Déjà à l’intérieur de l’Eglise de la paroisse située sur la colline de Cunwe, plusieurs banderoles relatives à la réconciliation sont visiblement chargées de messages dans ce sens. L’une d’entre elle dit clairement, -traduction libre- « Dans la joie du Jubilé des 60 ans de notre diocèse, remercions le Saint Esprit qui est Don du Père et du Fils, et qui consolide en nous la réconciliation et le Pardon ».
Le second moment de la commémoration a été fait de plusieurs discours. Successivement, ont pris la parole M. Oswald Ntirampeba, représentant des rescapés de Bugendana et chef du site des déplacés ; M. Melchiade Ciza, représentant légal de l’Association pour la Réconciliation et le Traitement du passé au Burundi (AGERBU) ; M. Séverin Manirambona, représentant de l’association « Solidarité des Originaires de Bugendana » (SOBU) ; M. Térence Mushano, Secrétaire général de l’association AC-Génocide Cirimoso ; M. Côme Ndikumana, représentant de l’Association pour la dignité et la solidarité (ADS Inkingi) des familles des victimes des tueries de Kivyuka ; sans oublier M. Pierre Claver Ndayicariye, Président de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR).
 
Tous les orateurs sont revenus sur les mêmes sujets : commémorer est un acte légitime ; les tueries ont touché toutes les ethnies ; la vérité doit éclater au grand jour à propos des massacres de Bugendana ; la justice doit intervenir ; la solidarité doit prévaloir ; transformer le site de Bugendana en un village de paix.
Le message le plus attendu était celui du Président de la CVR. L’Ambassadeur Ndayicariye a d’abord présenté les Commissaires membres de la CVR qui étaient avec lui : Clément Noé Ninziza, son Vice-président, Elie Nahimana, Déo Hakizimana, Alice Nijimbere, Aloys Batungwanayo, Me Déo Ndikumana. Il a rappelé que l’année passée, lors de la même circonstance, la CVR n’avait pu dépêcher que trois Commissaires.
Il a ensuite exposé en quelques mots que depuis le matin, lors de la célébration eucharistique, les messages entendus étaient clairs. Le célébrant de la messe avait dit que le site mémorial de Bugendana était spécial car il a accueilli les nombreux corps de défunts, des burundais et des burundaises qui ont été tués innocemment. Pour lui donc, le site est aussi une preuve que les Burundais de plusieurs ethnies, clans et familles sont encore dans l’obscurité de la haine, car ils n’ont pas encore compris que l’homme a été créé à l’image de Dieu et que personne n’est autorisé à lui retirer la vie.
 
S’adressant aux habitants de Bugendana le Président de la CVR leur a dit qu’il n’y a aucun mal à se souvenir des leurs disparus. C’est même un droit. D’où ils ne devraient pas avoir honte de cette commémoration, car celle-ci permet à chacun de considérer d’où il vient, là où il est et préparer demain. Le message était surtout destiné aux jeunes pour qui il a souhaité ne jamais vivre les tragédies mortelles semblables à celle de Bugendana et ailleurs au Burundi.
Quant à la vérité tant souhaitée sur les faits du passé, le Président de la CVR a insisté en disant qu’au Burundi celle-ci est connue, mais que le plus difficile est le dire à la CVR de manière impartiale. Pourtant la vérité aiderait les Burundais à sortir de l’engrenage des violences. Et cette vérité sera la somme des connaissances des faits révélés à la Commission par les Burundais. Même pour le cas des massacres de Bugendana, des personnes témoins des scènes macabres de la petite matinée du 21 juillet 1995, des veuves et des orphelins pourraient renseigner correctement la CVR. Évidemment, le premier jour, les concernés ont peur d’approcher la Commission, mais progressivement, les langues arrivent à se délier, car ils finissent par comprendre que la CVR souhaite à arriver à la vérité libératrice.
Son troisième message était axé sur l’invitation à la CVR lors des cérémonies pareilles. La Commission mérite la confiance car elle est l’émanation des pourparlers politiques des Burundais depuis Arusha. Or, l’Accord d’Arusha a été coulé dans la Constitution. C’est une Commission faite de Burundais de plusieurs origines qui ont reçu une mission salvatrice. Selon lui, la haine et la guerre ne devraient plus avoir de place au Burundi.
 
Amb. Ndayicariye a révélé une réflexion faite avec le Président de l’AGERBU qui a lancé les invitations du jour, à propos du site mémoriel de Bugendana. Il a dit qu’il souhaite partager l’idée avec les responsables des institutions politiques du pays dans le sens de mieux travailler le look du site, car la place constitue un véritable site de la mémoire. Il a promis de mettre ce site de Bugendana sur le programme de rénovation et que tout passant, hutu, tutsi ou twa qui le verra ait une leçon à méditer. Cette idée a été fortement applaudie.
Pour le Président de la CVR, les Burundais doivent ainsi sortir de la mémoire revendicative pour entrer dans la mémoire partagée, à l’idéal du Centre d’Appui et de Réflexion des Associations des Victimes des conflits sociopolitiques (CARAVI). Car beaucoup de Burundais vivent avec des mémoires blessées, des mémoires ethniques pour les uns, des mémoires communautaires pour les autres, ou des mémoires claniques du fait que la notion de Nation ou de Patrie est souvent refoulée. Le Président a fait un clin d’œil à ceux qui commémorent encore séparément pour qu’ils évoluent vers l’empathie même s’ils seraient encore politiquement ou ethniquement différents.
Il a conclu son message par une adresse aux familles des victimes de Bugendana : Garder l’espoir, car les motifs de rester optimiste sont nombreux. Personne ne peut vivre séparé des autres. Vivre, et vivre ensemble est important. Vivre, et survivre ensemble. La paix isolée est un leurre. La vérité est au service de la réconciliation. Commémorer est pédagogique pour le « Plus jamais de crimes massifs de sang ! ». Il a invité les Burundais à se défaire de la myopie sociale et de l’obscurité criminelle qui détruit les hommes créés à l’image de Dieu. Le respect des droits de l’homme, les enseignements porteurs de bienfaits doivent commencer en famille, a-t-il insisté.