RDC : Opération militaire d’envergure de l’armée rwandaise dans le Nord-Kivu
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Depuis la matinée de ce lundi de Pâques du 13 avril 2020, la Rwanda Defence Force (RDF, l’armée nationale rwandaise) mène une offensive militaire d’envergure dans le Nord-Kivu. L’armée rwandaise est soutenue dans ses actions par des éléments des Forces Armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Les attaques ont déjà causé plusieurs pertes humaines, en grande partie des réfugiés rwandais situés à Kazaroho dans le groupement de Tongo (Nord-Kivu), mais aussi des populations déplacées congolaises.

D’après des réfugiés qui prennent contact avec Jambonews depuis la journée du 13 avril, les camps de fortune comprenant des réfugiés rwandais et des déplacés congolais situés dans le groupement du Tongo ont été attaqués au cours de la matinée du 13 avril.

Des soldats décrits comme étant « à n’en pas douter des Rwandais » avaient été localisés par des associations de la société civile du Rutshuru la veille à Kahunga, dans les environs de Kiwanja, ainsi qu’à Mabenga, et ensuite Kasali dans la matinée de 13 avril 2020. 

Honorine, membre de l’Association des femmes rwandaises réfugiées (AFERWAR) avec laquelle nous nous sommes entretenus, nous a confié l’horreur de la situation : « C’est horrible, tout est en feu. Ils ont commencé par lancer des bombes sur nous. Cela venait de partout, on ne savait où fuir. Nous savons qu’il y a déjà beaucoup de morts.» Pascal, un réfugié qui a réussi à fuir les attaques, nous a confié que « les soldats ont mis le feu à toutes les habitations, parfois même avec des personnes à l’intérieur ». A l’heure où nous écrivons ces lignes, il reste difficile de faire un bilan des pertes humaines.

Voici ce qu’il reste des habitations de réfugiés rwandais après les attaques débuté lundi 13 avril 2020. Ces Photos ont été prises mardi 14 avril 2020 à Kazaraho, dans le groupement de Tongo, Rutshuru, Nord-Kivu

Combats contre les FDLR ou attaque contre des civils ?

Kivu Security, un projet mené conjointement par le Groupe d’Etude sur le Congo (basé à New-york) et Human Rights Watch a fait état de « combats en cours entre l’armée congolaise et les rebelles hutus FDLR-FOCA ».

Un officier des Forces Démocratique de Libération du Rwanda (FDLR-FOCA)1, joint au téléphone par Jambonews, nous quant à lui confirmé la présence des FOCA (Force Combattantes Abacunguzi, la branche armée des FDLR) dans la région : « Oui, nous avons des éléments dans le Rutshuru. Nous avons eu plusieurs fois des accrochages avec les RDF ou leurs proxys tels que certains régiments de FARDC ou les NDC-Rénové dans le Rutshuru». Cependant, celui-ci condamne le procédé des Forces armés rwandaises : « ils savent précisément où nos éléments sont situés, tout comme nous connaissons précisément l’ensemble de leurs déplacements dans la région. Pourtant à de nombreuses reprises, ils ne s’attaquent pas à nous directement qui sommes prêts à nous défendre. Ils préfèrent bombarder les camps de réfugiés civils et vont ensuite clamer dans les médias qu’ils ont affronté les FDLR-FOCA. C’est un procédé lâche mais ça ne nous étonnes pas d’eux, ils font la même chose depuis 25 ans ». Avant de conclure en critiquant l’inaction des observateurs internationaux : « Le plus révoltant, c’est la complicité des médias et des institutions internationaux qui préfèrent reprendre les thèses des RDF sans prendre le temps de discerner alors que dans les faits, dans le silence et dans l’ombre, c’est les civils congolais et rwandais qui en subissent les conséquences ».

D’après Honorine, les réfugiés sont attaqué car « ils recherchent des FDLR», mais la jeune maman est sans équivoque : « ici il n’y a ni FDLR ni même aucun rebelle. Nous vivions d’agriculture et en paix depuis plusieurs années avec les populations locales ». Même son de cloche du côté de Pascal, qui nie la présence d’hommes en armes dans leur ancien camp : « Je vous assure que si nous avions des armes pour nous défendre, on se serait défendu, mais nous n’étions que des civils, les FDLR ne sont encore une fois qu’un prétexte pour s’en prendre aux réfugiés. »

Robert Mugabowindekwe, président de Jambo ASBL, a témoigné de son inquiétude à propos des opérations menées par l’armée rwandaise dans le Rutshuru. « Chaque année depuis 2017, nous collaborons par l’intermédiaire de la plateforme SOS Réfugiés avec l’association AFERWAR-Duterimbere pour approvisionner les enfants rwandais réfugiés à l’est du Congo en vivres, soins de santé et matériels de premières nécessités. Nous sommes très inquiets car nous avons appris qu’à l’heure actuelle une partie des femmes qui composaient cette association sont déjà décédées suite aux attaques qui ont débuté le lundi de Pâques dans le Rutshuru. »

L’armée rwandaise aux manettes

Plusieurs sources convergentes relatent la présence d’éléments rwandais sur le territoire congolais depuis plus d’un an. Fin 2019, l’armée rwandaise était même aux avant-gardes dans les opérations menées à Kalehe dans le Sud-Kivu. Empruntant des tenues des FARDC et accompagnée de quelques régiments congolais pour faire diversion, l’armée rwandaise semble avoir un blanc-seing pour mener des opérations militaires sur le territoire congolais comme elle le souhaite.

Pourtant les règles internationales et la constitution congolaise interdisent pareil état de cause sans accord préalable. La tentative d’accord qui devait permettre l’entrée officielle d’éléments rwandais et d’autres pays de la région a été tuée dans l’œuf par l’Ouganda qui craignait que les velléités belliqueuses de son voisin du sud ne s’exporte également à son frontière ouest avec la RDC.

Une nouvelle fois, pour cette opération du « Lundi de Pâques » dans le Rutshuru, il semble que les Forces de défense rwandaises sont aux manettes. Kivu Security a confirmé que « d’après plusieurs sources militaire, des soldats rwandais participeraient à l’opération ».

Sur les ondes de la radio Top Congo, le député national Juvenal Munubo a alerté sur la présence des militaires rwandais en territoire de Rutshuru au Nord-Kivu. L’élu de Walikale a suggéré par ailleurs la tenue d’un sommet extraordinaire de la CIRGL pour clarifier cette situation qui perdure clandestinement depuis plus d’un an.

La Lucha, le mouvement citoyen le plus influent au Congo, a également dénoncé le fait qu’une « nouvelle vague de militaires rwandais sont arrivés sur le territoire congolais ces derniers jours pour y mener des opérations ».

La société civile de Nyiragongo a signalé depuis plusieurs jours la présence de l’armée rwandaise dans le groupement de Munigi, plus précisément dans le village de Murambi, avant de qualifier cet acte de « provocation pure et simple ».

Au début du mois d’avril, il avait été rapporté à Jambonews la présence de soldats rwandais stationnés à Kiwanja et Kahunga dans le Rutshuru et d’autres dans le groupement de Bwiza. Deux des commandants des régiments étaient le colonel Rusimbi et le colonel Gasasira. Tous deux sont des éléments rwandais qui avaient à l’époque été infiltrés au sein des M23. Ces régiments sont en grande partie composés d’anciens FDLR rentrés au Rwanda et intégrés depuis au sein des Forces de réserves rwandaises.

Vers un nouveau carnage ?

Le momentum de ces attaques est plus qu’inquiétant. La République démocratique du Congo fait en effet face une pandémie sans précédent, comme plus de la moitié de l’humanité. Le gouvernement a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble de son territoire. À l’heure où nous couchons ses lignes, la RDC comptabilise 241 cas confirmés de Covid-19 et 20 décès. Le Rwanda n’est pas en reste puisque proportionnellement à la population, c’est le pays d’Afrique de l’Est qui est officiellement le plus touché par cette pandémie et un confinement drastique y est décrété depuis le 21 mars 2020.  

Le président congolais Felix Tshisekedi a également ordonné la fermeture de toutes les frontières du pays depuis le 24 mars dernier. Néanmoins la société civile de Nyiragongo au Nord-Kivu a constaté des cas de violations des mesures d’isolement de la ville de Goma, et des violations ont été observées sur les différents postes frontières de la province du Nord-Kivu. Mambo Kawaya, président de la société civile du territoire de Nyirangongo qui a lancé l’alerte, a déploré que cela se fasse avec « la complicité de quelques services, notamment l’armée, la police et les services de l’Agence nationale de renseignement ainsi que des migrations de deux pays ».

« il est impératif de contraindre les Forces de défense rwandaises à retourner au Rwanda »

Global Campaign For Rwandans Human Rights a condamné « avec la plus grande fermeté les opérations militaires qui visent les réfugiés non armés. » Par la voix de son coordinateur, René Mugenzi, l’organisme des droits de l’Homme basé à Londres a rappelé la RDC a ses responsabilités en rappelant que son gouvernement  : « devrait protéger les réfugiés rwandais conformément à la convention sur les réfugiés de 1948 qu’elle a ratifiée ».

L’est de la RDC est depuis un quart de siècle le théâtre des pires attrocités des droits de l’Homme. Pourtant, le sort des réfugiés rwandais est peu connu et peu traité par la communauté internationale. René Mugenzi a souligné « qu’il est totalement et complètement inacceptable que depuis 1996 les réfugiés rwandais en RDC continuent à être chassés et massacrés ». Global Campaign For Rwandans Human Rights demande «  à la communauté internationale de faire tout ce qui est possible pour mettre fin au plus long crime contre l’humanité et au plus long génocide que notre planète ait connu ». Le Haut-Commissariat des Nations Unies et la Commission Nationale pour les Réfugiés a estimé à au moins 245.000 le nombre de réfugiés rwandais en RDC lors d’un recensement en 2015. Ces réfugiés sont depuis 25 ans les premières victimes de l’assimilation qui est faite par la communauté internationale avec les groupes politiques et militaires rwandais à l’Est de la RDC.

Même son de cloche du côté de Jambo ASBL qui a condamné « ces attaques aveugles menées sans discernement contre des camps de réfugiés de fortune. Les forces armées rwandaises agissent avec une lâcheté sans commune mesure. Elles profitent d’une période où l’ensemble de la communauté internationale est concentrée sur l’éradication de la pandémie du COVID-19 pour mener des opérations clandestines et criminelles sur le territoire congolais ». Robert Mugabowindekwe, le Président de Jambo ASBL a appelé : « la communauté internationale par l’intermédiaire de la MONUSCO et les autorités congolaises à tout faire pour éviter une nouvelle catastrophe humanitaire et sanitaire dans le Nord-Kivu. Pour cela, il est impératif de contraindre les Forces de défense rwandaises à retourner au Rwanda, une bonne fois pour toute. »

« nous atterrissons, nous frappons notre coup et nous revenons en effectuant la danse de la victoire »

Le gouvernement rwandais a toujours balayé les accusations pointant la présence de l’armée rwandaise sur le territoire congolais. Le secrétaire d’État aux Affaires étrangères fraichement limogé, Olivier Nduhungirehe avait même qualifié avec beaucoup d’ironie et de condescendance ces faits de « théories du complot aussi vieilles que ridicules ».

Toutefois, le général-Major Mubarak Muganga, responsable de la région de Kigali et de la région Est au sein des RDF a récemment vanté les faits d’armes de l’armée rwandaise en RDC. Dans une allocution devant des chauffeurs de taxi-moto en février 2020, le général s’est laissé aller à des confidences quant aux activités militaires rwandaises en RDC. Celui-ci a avoué qu’il a « besoin de la guerre mais plus  loin (…). J’ai besoin d’aller les affronter là-bas, c’est facile d’y aller, nous avons RwandAir, nous ne marchons plus pendant neuf mois dans ce pays plus grand que le nôtre de 89 fois, il nous fallait marcher pendant neuf mois pour le traverser et depuis nous avons RwandAir, nous atterrissons, nous frappons notre coup et nous revenons en effectuant la danse de la victoire”.

Norman Ishimwe

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