Interview exclusive :« Le manque de courant freine notre développement »
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Relations avec la Tanzanie, gestion des rapatriés, facteurs et freins au développement, etc. Aloys Ngenzirabona, administrateur de la commune Gisuru, province Ruyigi, fait le point.

Votre commune est frontalière de la Tanzanie. Quelles sont les relations entre les Burundais et les Tanzaniens ?

La cohabitation est bonne. Nous tenons des réunions entre nos populations respectives, des rencontres sportives sont aussi organisées. Des échanges commerciaux sont fructueux.

Quels sont les produits échangés ?

Les Burundais s’y approvisionnent en maïs, manioc, haricot surtout celui communément appelé ‘’jaune’’, arachides, éleusine, ciment et en jus. A leur tour, les Tanzaniens achètent les produits de la Brarudi. On y écoule aussi des avocats, des bananes, des savons, des ananas, etc.

Que gagne la commune ?

Ces échanges rapportent beaucoup d’argent à la caisse communale. Même l’Office Burundais des Recettes (OBR) en tire des recettes. Comme il n’y a pas de rivière à la frontière, c’est difficile de dire que nous avons réussi à gagner la lutte contre la fraude à 100%. Mais les gens ont été sensibilisés à payer la taxe. Certains le font volontairement, ce qui augmente les entrées à l’OBR. Son bureau local collecte à peu près 100 millions BIF par mois.

Récemment, des cas de banditisme ont été signalés dans votre commune. Quelle est la situation actuelle ?

Il y avait un groupe de bandits armés composé de Tanzaniens et de Burundais. Des cas de vol étaient fréquents. Après avoir commis un forfait au Burundi, ils se cachaient en Tanzanie. Pour le démanteler, l’administration et la police des deux pays ont collaboré. Des stratégies ont été élaborées. Ce groupe a été démantelé et les armes saisies. Les Burundais ont été remis à la police.

Certains Burundais travaillant dans les champs tanzaniens ne sont pas payés ? Est-ce vrai ?

Ces cas sont fréquents. On a dit à nos administrés qu’avant d’y aller, il faut chercher des documents d’identité. Mais comme la frontière est poreuse, cette consigne n’est pas toujours respectée. Or, que ce soit en Tanzanie ou au Burundi, il est prohibé de circuler sans document. En Tanzanie, les coupables écopent d’une peine d’emprisonnement de plus d’une année.

Quand un patron constate que son employé est un irrégulier, au lieu de le payer, il menace d’appeler la police. Et pour sauver leur peau, certains Burundais préfèrent abandonner l’argent et rentrer au pays. Ceux qui tentent de réclamer sont directement arrêtés par la police comme des irréguliers. Il est difficile de plaider pour de tels cas. Mais nous essayons de faire de notre mieux.

Quels sont ces documents exigés ?

Il y a un laissez-passer de 15 jours. Mais avec ce document, il est interdit d’aller au-delà de 10 km. Le mieux est de se munir d’un laissez-passer d’une année. Avec ce document, la sécurité est garantie.

Est-ce facile de s’en procurer ?

C’est là que se situe le grand défi. On doit aller à Gitega. Ce qui exige un ticket de 24 mille BIF pour un ticket aller-retour. Une somme très difficile à avoir pour nos populations. Nous demandons que ce bureau soit installé à Ruyigi. Les nécessiteux peuvent y aller à vélo.

Qu’en est-il du développement de votre commune ?

Gisuru est sur une bonne lancée. Beaucoup d’écoles construites, la route Rusengo-Rusaka a été réhabilitée. Malheureusement, elle ne va pas résister longtemps car il y a des camions qui l’empruntent. Nous aimerions qu’elle soit goudronnée pour rendre le trafic plus intense et le commerce florissant. .

Avec la somme de 500 millions BIF, nous avons construit une huilerie moderne. Nous avons aussi acheté 1350 chèvres. Chaque colline a reçu 19 têtes. Dans ma vision, il faut que chaque ménage ait au moins une chèvre. Et les collines Kabingo, Gacokwe, Musha, Kavumwe et Ndemeka de la zone Ndemeka ont reçu des vaches de la part des bienfaiteurs.

Côté santé ?

Nous avons construit le centre de santé de Mwiyogero. Les populations faisaient plus de 8 km pour se faire soigner à Gisuru. Deux autres CDS sont en cours de finissage : Gakangaga et Muvumo. Celui de Nyabigozi est déjà opérationnel. Un autre chantier est en cours sur la colline Kabingo. Et l’hôpital de Gisuru a récemment été équipé. Mais certains matériels ont besoin d’électricité pour fonctionner.

Gisuru n’est donc pas alimenté en électricité ?

Non. Nous avons recours aux plaques solaires qui ne produisent pas assez d’énergie, ce qui freine notre développement. Avec un coût d’environ 1 milliard BIF, nous avions construit un marché moderne qui ne fonctionne pas convenablement, suite au manque de courant. Une grande perte pour la commune.

L’autre frein est l’inexistence d’une station-service. En cas de besoin de carburant, on doit se rendre à Ruyigi. Et pour arriver, le ticket est de 6 mille BIF.

Votre commune reçoit sans doute des rapatriés. Quelle est la situation ?

Ils sont de deux ordres. Depuis 2016, des réfugiés ont commencé à rentrer à pied. Ceux-ci n’ont pas été assistés. Mais, par après, certains ont été enregistrés. Ils ont finalement eu une assistance alimentaire. Environs 100 familles ont reçu des tôles. Mais c’est toujours insuffisant.

L’autre partie concerne ceux rapatriés par le gouvernement et le HCR. Ils reçoivent une aide alimentaire sur trois mois. Ils ont besoin que leurs maisons soient réhabilitées.

On parle souvent de Burundais qui reprennent le chemin de l’exil. Qu’en dites-vous ?

En fait, il s’agit d’une tricherie. Certains réfugiés ont deux ou trois cartes. Ils pensent qu’en retournant là-bas, ils pourront présenter la deuxième carte et être de nouveau rapatriés et assistés. Arrivés sur place, ils sont confiés à la police. Ils deviennent des irréguliers. Ils sont refoulés. Ils oublient que les données sont informatisées. Dans cette semaine, nous avons accueilli 100 personnes se trouvant dans cette situation. En Tanzanie, nous avons plus de 10 mille Burundais dans cet état. Une situation difficile à gérer.

Comment ?

Le gouvernement et le HCR ne le reconnaissent plus comme réfugiés. Ils les croient chez eux. Imaginez un natif de Bubanza, de Muyinga ou de Makamba qui vient ici nous demander une assistance pour regagner sa province. Or, nous n’avons pas de moyens alloués à cette opération. Mais en tant qu’administratif, impossible de fermer totalement les yeux. On les nourrit, on les soigne.

Il faut que les services chargés du rapatriement vident cette question. Sinon, notre commune va être débordée.

Propos recueillis par Edouard Nkurunziza & Rénovat Ndabashinze

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