Rwanda: l’enseignement fondamental se meurt!
Partage

Dans son article du 23-03-2019, le journal rwandais « Kigali Today » titrait : « Dans la province du Nord, 47% des élèves qui terminent l’école primaire ne savent ni lire ni écrire ». Il rapportait ainsi les propos du directeur du REB (Rwanda Education Board), Dr Ndayambaje Irenée, qui était venu dans la région pour une réunion de mise au point avec les responsables du secteur pour examiner les raisons à la base de cette situation.

A cette occasion, dans son discours de circonstance, Dr Ndayambaje Irenée a précisé, en citant le rapport de 2018, que dans la région du Nord, « seuls 52, 8% des élèves qui terminent l’école primaire peuvent lire le contenu du livre de l’élève de la 6è primaire ». Il a poursuivi : « Le plus grave, c’est que cette lacune ne s’observe pas seulement dans la lecture du Kinyarwanda (langue maternelle), mais également dans les autres branches comme le calcul où le rapport ci-haut cité montre que seuls 59,7% des élèves peuvent effectuer des opérations mathématiques consignées dans le programme scolaire de la 6è année primaire ». Il a terminé en fustigeant les responsables de l’enseignement, à tous les niveaux, et leur a demandé de se remettre en question.

Le même constat a été fait le 06/08/2019 par le ministre de l’Intérieur, professeur Shyaka Anastase, dans la région de Ngorero, province de l’Ouest. Le même journal  « Kigali Today » dans son édition du 7-08-2019 rapporte : « Le Professeur Shyaka a instruit les autorités concernées que 1.851 élèves qui ont abandonné l’école soient réintégrés avant la fin de ce mois d’août 2019 ».  Au Rwanda, le décrochage scolaire est un fléau. Il est dû surtout à la pauvreté. Les enfants qui n’ont rien à manger préfèrent aller se livrer aux petits boulots pour gagner un peu de sous leur permettant de s’acheter de quoi se mettre sous la dent.

Ce constat amer des responsables politiques du pays au plus haut niveau donne l’image de ce qu’est l’enseignement public au Rwanda.

Les observateurs les plus avertis sont d’avis qu’en scrutant les causes de cette situation dans laquelle se trouve l’enseignement, l’on s’aperçoit qu’il s’agit d’une politique délibérée de la clique au pouvoir au Rwanda depuis juillet 1994. En effet, si on passe en revue les mesures prises dans ce secteur l’on s’aperçoit qu’elles visaient, toutes, le nivellement vers le bas de la qualité de l’enseignement. Voyons-en quelques-unes.

L’imposition subite de l’anglais comme langue d’enseignement

C’est en octobre 2008 que le conseil des ministres a décidé de supprimer le français comme langue d’enseignement et de le remplacer par l’anglais. Le ministre de l’Enseignement primaire et secondaire d’alors, Théoneste Mutsindashyaka, par sa circulaire du 31/12/2008, donna des directives pour l’accélération de l’adoption de l’anglais dans l’enseignement de base. Comme l’année scolaire débute en janvier, la mesure fut mise en exécution à la rentrée scolaire, en janvier 2009.

Dans un pays où le français a régné en maître depuis l’introduction de l’école au Rwanda par le colonisateur belge et l’Eglise catholique vers 1900, cette mesure est tombée comme un couperet. Avec la suppression subite du français comme langue d’enseignement, la presque totalité des enseignants du pays, tous francophones, devenaient ipso facto comme des analphabètes. Des stages d’anglais furent organisés à la hâte dans un court laps de temps durant le 3è trimestre 2008, mais c’était insuffisant pour que les enseignants puissent transmettre la matière aux élèves dans la langue de Shakespeare.

Des promotions entières en subirent les conséquences néfastes qui, malheureusement, font encore des ravages aujourd’hui, 10 ans après.

Le 18 avril 2019, sur une radio en ligne, Radio Inkingi, le journaliste est parvenu à faire parler trois enseignants de l’école primaire au Rwanda. Tous ont avoué qu’ils ne parlaient pas anglais alors qu’il leur était demandé de dispenser leurs leçons dans cette langue. Comment font-ils? A cette question ce fut motus et bouche cousue. Un des enseignants a eu le courage d’avouer qu’ils ont quelques phrases qu’ils ont mémorisées et qu’ils font répéter aux élèves quand c’est nécessaire, notamment si l’inspection s’annonce.

 

La surpopulation des classes

A ce sujet, les mêmes enseignants interviewés ont révélé que dans l’école primaire, il a été instauré le système de double vacation : dans une salle de classe, il y a au moins 90 élèves le matin et 90 élèves l’après-midi.  Dans ces conditions, l’enseignant a toutes les difficultés à suivre chaque élève. A l’école secondaire, une classe peut contenir jusqu’à 120 étudiants.

C’est ce qu’a constaté, avec étonnement, le premier ministre Dr Edouard Ngirente au mois de février 2019 lors de sa visite dans une école secondaire de la région de Karongi, dans la province de l’Ouest où l’on trouve 124 élèves par classe, dans un local exigu. Un des étudiants de cette école a dit au Premier ministre : « Le problème que nous avons est le nombre élevé des étudiants par classe. Les chaises sont trop serrées, on respire péniblement. On a des difficultés à écrire car on se cogne les coudes, … La solution serait de construire d’autres locaux de classe, ».

Dans le même article de « Kigali Today » on peut lire que dans le Groupe scolaire de Kinyinya dans les faubourgs de la capitale Kigali, certains élèves de l’école primaire et secondaire suivent les cours assis par terre ou sur des pierres, des bidons vides ou alors debout à longueur de journée.

La clochardisation de l’enseignant

Le salaire d’un enseignant de l’école primaire oscille autour de 50.000 francs rwandais (FRW) ; exactement 44.000 FRW pour un enseignant débutant.

A voir le coût de la vie au Rwanda, cette somme est dérisoire.  L’enseignant vivote. Il porte le sobriquet de Gakweto (porteur de vieilles chaussures). On parle également du « thé de l’enseignant » pour dire un thé sans sucre ; l’enseignant n’ayant pas de moyen pour s’acheter du sucre, il se contente de ce thé amer.

Dans l’émission-radio ci-haut citée, les enseignants ont expliqué pourquoi ils sont les plus mal chaussés : une paire de souliers bas de gamme coûte 15.000 Frw; une chemise 10.000FRW, un pantalon 15.000 FRW. Cela fait que certains enseignants se présentent devant les élèves en haillons avec des souliers troués.

Ajouter à cela que l’enseignant doit se nourrir et nourrir sa famille et quelques fois payer son loyer (un des enseignants interviewés a déclaré qu’il loue une chambrette pour 15.000Frw).

L’enseignant rwandais est au bas de l’échelle. A diplôme égal, son collègue qui est dans l’administration publique touche un salaire de 150.000frw (3 fois le salaire de l’enseignant). Si par chance un enseignant est coopté et nommé député au Parlement rwandais, il a un salaire de 2.500.000frw (50 fois le salaire de l’enseignant).

Pire encore, sur ce salaire de l’enseignant est ponctionné à la base de différentes cotisations : cotisation du parti FPR; cotisation dans le FARG; cotisation de maintien de sécurité ; cotisation pour le fond des constructions scolaires; cotisation de solidarité des mutuelles pour soutenir les moins nantis, …

La situation financière de l’enseignant est si catastrophique que certains enseignants ont des enfants qui n’ont pas pu aller à l’école secondaire, leurs parents ne pouvant pas leur payer les frais scolaires exigés.

Les effets du contrat de performance

C’est à la mode au Rwanda, chaque service doit signer un contrat renfermant des objectifs à atteindre sur une période d’une année.  Les effets délétères du « contrat de performance » se sont manifestés dans l’enseignement. Dans ce domaine, l’évaluation des objectifs se base sur le taux de réussite réalisé par un enseignant. Pour ce faire et pour mettre toutes les chances de son côté, il n’hésite pas à pousser les élèves à tricher lors des examens pour pouvoir atteindre le taux de réussite auquel il s’est engagé dans le contrat signé avec le district. En 2011, une quinzaine d’enseignants ont été renvoyés pour n’avoir pas atteint le taux de réussite fixé dans le contrat. La fraude est ainsi tolérée dans les examens au niveau des écoles primaires, secondaires et même dans des instituts supérieurs et des universités. Il est évident que la qualité de l’enseignement en subit un coup car les enseignants privilégient le gonflement des chiffres de réussite à exhiber et donc évitent ainsi leur renvoi.

Un enseignement à deux vitesses

La situation décrite plus haut est valable pour l’enseignement public surtout dans les campagnes. Dans des villes fleurissent des écoles privées, élitistes, qui accueillent les enfants des dignitaires du régime ou des enfants avec le statut de « rescapé » pour qui le FARG (Fonds d’aide aux rescapés du génocide) paye tout. Ces derniers peuvent ainsi accéder à ces « bonnes écoles » dont les frais scolaires exorbitants sont un facteur discriminant. Ces écoles  privées engagent des enseignants bien formés et dispensent un enseignement bilingue anglais-français de haute qualité.

 

Par Gaspard Musabyimana