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Hors des camps des réfugiés, la capitale rwandaise abrite aussi beaucoup de Burundais qui ont fui Bujumbura. Même s’ils sont unanimes sur la sécurité et l’ordre qui règnent à Kigali, ils sont de plus en plus inquiets sur la cherté de la vie. Certains pensent déjà à rentrer, ou rêvent d’ailleurs.

Kigali est une ville propre, sûre, mais chère…Kigali est une ville propre, sûre, mais chère…
« C’est très cher, ceux qui sont venus parmi les premiers ont eu des maisons à un prix plus abordable. Mais plus les gens fuient vers Kigali, plus les loyers montent. » Annick, la trentaine, habite le quartier Kicukiro, depuis le 20 mai 2015.

Avec ses quatre enfants, ils ont fui Gasekebuye, leur quartier dans la commune urbaine de Musaga. Son mari, employé d’une ONG, y est resté et vient les voir régulièrement. Annick a loué une maison de deux chambres, équipée, pour 200.000 Frwa par mois, soit 540.000 Fbu. Elle espérait que ce serait pour un court moment. Mais elle commence à perdre ses illusions. « Je continue à me renseigner pour avoir une maison avec un loyer plus abordable. Sinon je pense à aller vers Kampala, il paraît que là-bas c’est mieux. » Pourtant, cette jeune mère de famille reconnaît que les Rwandais sont plutôt gentils et compatissants avec eux. Ainsi, se souvient-elle, à son arrivée à Kigali, c’est la gérante du restaurant dans lequel ils se sont arrêtés qui l’a aidée à trouver une maison. « C’est comme au marché, quand les gens nous entendent parler kirundi, ils nous vendent à un bon prix. » Une compassion qu’elle rencontre aussi chez la police de roulage, lorsqu’elle grille un feu rouge ou qu’elle dépasse la vitesse réglementaire. « Quand ils voient une plaque du Burundi, les policiers ne nous verbalisent pas et nous laissent repartir gentiment, avec une remarque. »

Face aux prix élevés, de la vie de Kigali, Annick essaie de s’adapter, en achetant certains vivres à Kirundo, à des prix raisonnables. « Ici, 25 kg de ce riz coûtent 24.000 Frwa, alors qu’on en trouve pour 38.000 ou 40.000 Fbu à Kirundo. Un kg de haricots jaunes coûte 1000 Frwa, contre 600 Fbu à Kirundo. » Annick apprécie beaucoup la sécurité, la propreté et l’ordre qui règnent dans la capitale rwandaise.

Claude le chanteur

Rencontré dans le quartier Ku Muhima, Claude, qui habite dans la commune de Ngagara à Bujumbura, est la star d’un club de la place, réputé pour son karaoké. Selon lui, il y a beaucoup de musiciens burundais à Kigali. Certains ont fui l’insécurité grandissante dans la capitale burundaise, d’autres étaient venus bien avant. « Les karaoké étaient devenus quasi inexistants chez nous, sans parler des concerts, à cause des interdictions de l’administration. Certains artistes sont venus ici pour vivre de leur métier, d’autres ont fui. Mon groupe est arrivé après moi, il y en a même un qui est arrivé aujourd’hui. » Ainsi, Kigali abrite certains des artistes burundais les plus populaires, comme Yoya, Sat B, le groupe Peace and Love, etc. Selon Claude, la musique des chanteurs burundais est très appréciée. « Ici, les gens sont plutôt habitués aux chansons rwandaises, classiques. Nos chansons très variées sont alors très aimées. » Il indique que chaque groupe ou chanteur évolue dans des endroits plus ou moins précis. « Moi, par exemple, je suis dans ce club, parfois aussi chez Jules, au quartier Remera. Les Peace and love chantent souvent au Kaizen, dans le quartier Kabeza ». Claude trouve que les artistes sollicités s’en sortent plutôt bien à Kigali : « C’est une ville très agréable à vivre quand on a un travail. »

Même si, admet-il, certaines personnes peuvent être méchantes. « Certains nous traitent de sales réfugiés, ou de lâches qui ne veulent pas se battre pour leur pays. Mais c’est très rare, et ce sont des propos tenus surtout par une ou deux personnes ivres, sinon les gens sont très gentils avec nous. » Claude avoue quand même que certains jeunes burundais sont très fêtards, parce que Kigali est une ville sûre. C’est ainsi qu’une mauvaise réputation leur colle à la peau. Pour lui, certains « Kigaliens » ne comprennent pas comment des réfugiés peuvent se la couler douce.

Brigitte, bonne à Nyamirambo

Des heurts surviennent entre les domestiques burundais et leurs collègues rwandais. Selon Brigitte, bonne à Nyamirambo, les domestiques burundais, notamment ceux venus des camps de réfugiés, acceptent facilement de bas salaires. « A Nyamirambo, c’est normalement entre 20 et 25.000 Frw. Les Burundais convertissent en Fbu et acceptent de travailler pour moins que ça, ce qui ne plaît pas à leurs collègues rwandais », explique-t-elle. Pourtant, ajoute Charles, un chef de ménage dans le même quartier, les domestiques burundais sont plutôt appréciés pour leur politesse, et il est prêt à payer le sien comme un Rwandais.

Janvier, journaliste dans une des radios attaquées et détruites dans la nuit du 13 au 14 mai

Arrivé à Kigali le 24 mai, Janvier passe les dix premiers jours dans un hôtel à 10.000 Frwa la nuit. « Toutes mes économies y sont rapidement passées, notre monnaie étant insignifiante par rapport au Frwa. Comme je devais faire venir ma famille, il me fallait chercher une maison à tout prix, bien que je fusse à sec. » Heureusement, la radio a donné à ses journalistes le salaire de mai, ce qui a permis à Janvier de faire venir sa femme et sa fille. « Avec mon salaire de mai, qui a fondu comme neige au soleil une fois converti en Frwa, j’ai quand même pu louer pour deux mois une maison de deux chambres, non équipée, dans le quartier Kanombe, à 120.000 Frwa par mois. » Janvier se dit que d’ici là, la situation se sera améliorée au Burundi et qu’il va rentrer. Cependant, lui aussi commence à perdre ses illusions et pense déjà à un plan B s’l reçoit le salaire de juin. Janvier salue la solidarité des Rwandais et des Burundais qui sont à Kigali : « Celui qui a de l’argent en prête facilement, tout le monde reconnaît que la vie ici est chère. Mais c’est vraiment l’endroit idéal lorsqu’on veut mettre les siens à l’ abri. » Il remercie aussi ceux qui prennent en charge les autres journalistes qui vivent ensemble, surtout des célibataires, mais il se demande jusqu’à quand cette main va rester tendue.

Albert, activiste de la société civile

« Nous louons à cinq une maison pour 200.000 Frwa par mois. Nous avons dû l’équiper, et nous partageons tous les frais, de la nourriture au domestique. Nous vivons comme des célibataires », raconte Albert, un activiste de la société civile réfugié à Kigali, dans le quartier Kimironko. Il est à Kigali depuis bientôt deux mois. Au début, raconte-t-il, ils ont été pris en charge par leurs partenaires, qui se sont lassés après une semaine. Logés dans un même hôtel, avec d’autres leaders de la société civile burundaise, ils se sont organisés pour vivre à Kigali, une ville très chère, selon Albert. « Certains ne peuvent plus tenir financièrement et préfèrent rentrer malgré les menaces qu’ils courent », raconte-t-il. Il se souvient que, vendredi dernier, un de ses collègues n’a pas pu trouver une place dans un bus pour aller à Bujumbura, tous les véhicules de la compagnie Volcano étant remplis de Burundais qui rentrent. « C’est vraiment difficile de s’en sortir, nous payons deux loyers, ici et à Bujumbura. Vivement que la situation s’améliore chez nous », souhaite Albert. Il reconnaît néanmoins que les Rwandais sont en général aimables avec eux, mais il indique que « certains vendeurs montent les prix quand ils nous entendent parler kirundi. Aujourd’hui, je sais qu’un domestique touche au maximum 20.000 Frwa, mais le nôtre nous en a exigé 50. »

Enregistrement des réfugiés par le HCR, à la Croix Rouge de Kigali, dans le quartier Kacyiru

Des femmes, des enfants, des jeunes et quelques hommes sont venus se faire enregistrer comme réfugiés au HCRDes femmes, des enfants, des jeunes et quelques hommes sont venus se faire enregistrer comme réfugiés au HCR
Le parking est rempli d’une trentaine de véhicules immatriculés au Burundi. Des femmes, des enfants, des jeunes et quelques hommes sont venus se faire enregistrer comme réfugiés au HCR. Il est 11h et, sur du gazon, des enfants et leurs mères prennent un petit encas assis à même le sol. En général, il y règne une ambiance de convivialité. La plupart viennent de Bujumbura, et beaucoup se reconnaissent et se saluent chaleureusement, même s’ils se connaissaient seulement de vue. Cependant, d’autres assurent avoir vu des administratifs frondeurs encore en activité venir se faire enregistrer. « Je cherche le statut de réfugiés surtout pour que les soins des enfants deviennent gratuits, sinon c’est très cher », explique Bosco, un quadragénaire rencontré sur place et qui a fui au Rwanda depuis un mois. Les enregistrements ont commencé le 17 juin et se termineront le 30 du même mois, indique-t-il.

Alors qu’au moins trois cents personnes sont venues se faire enregistrer, lundi 22 juin, Aicha, une jeune maman de deux enfants, originaire de Bwiza, et à Kigali depuis trois semaines, s’étonne qu’il y ait peu de monde. « D’habitude, ils sont plus nombreux, les files commencent très tôt vers 7h du matin. On s’inscrit d’abord pour obtenir un rendez-vous afin de venir se faire enregistrer avec ses enfants, ou seul, trois ou quatre jours après.» Elle aussi veut que ces enfants aient des soins gratuits. « Mais ce serait très bien si le HCR nous envoie au Canada », ne peut-elle s’empêcher d’espérer. Espérance, qui a quitté Jabe depuis bientôt un mois, est convaincue que l’obtention du statut de réfugié lui ouvrira les portes vers le Canada ou l’Australie. « Le HCR nous enverra au Canada ou en Australie, comme il l’a fait pour les Banyamurenge du Burundi, ou les Burundais en Tanzanie. » Mais Bosco ne peut s’empêcher de se moquer d’elle, en lui rappelant combien de temps ça a pris pour les Banyamurenge : « Pourras-tu attendre toutes ces années ? »

D’après les gens rencontrés sur place, des familles viennent exprès de Bujumbura rien que pour se faire enregistrer et repartir après. Une pratique qui n’est pas condamnée par les réfugiés de Kigali. « Tout le monde n’a pas les moyens de faire fuir sa famille à Kigali, certains sont même en train de rentrer alors que la situation là-bas est pire », souligne, magnanime, Bosco. Il ajoute que même des Rwandais se font passer pour des réfugiés burundais, surtout dans les camps, pour avoir des chances d’aller au Canada.

Je ne suis pas une 4G !

Dans un groupe qui est venu se faire enregistrer, un homme avec un mégaphone nourrit les rêves des jeunes filles réfugiées, avec un manque de tact ahurissant. « Ne vous comportez plus mal, n’acceptez plus que de jeunes rwandais vous entraîne dans la débauche pour un peu d’argent, le HCR vous amènera aux Etats-Unis, au Canada et en Australie ! »

Une certaine rumeur a circulé dans Kigali, sur le peu de vertu des jeunes burundaises réfugiées, qui s’offraient facilement et pour peu aux jeunes rwandais, dans l’espoir d’être hébergées. « Certaines l’ont fait, mais c’était des filles qui, même à Bujumbura, avaient des mœurs condamnables. Les fameuses M23 ou autres. Malheureusement, on nous a toutes mises dans le même sac », se désole Anita, une jeune burundaise rencontrée Chez Bienvenu, un bar très fréquenté par les Burundais dans le quartier Remera.