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Ça peut paraître étrange, mais la réalité est que le référendum organisé par le président Buyoya en 1991 pour se prononcer sur la charte de l’unité nationale a été un échec. L’équipe de Buyoya a tout simplement manipulé les chiffres puisque le “non” l’avait remporté. Pourquoi alors le peuple burundais n’avait pas voté pour la charte de l’unité nationale ?

Avant de répondre à cette question, analysons d’abord ce concept d’unité nationale. L’unité nationale dépend de la manière dont ce pays est géré. Elle ne repose pas sur des décrets présidentiels ou encore des slogans creux.

L’unité d’une nation dépend non seulement de la redistribution juste et équitable des richesses entre les entités régionales et ethniques, mais aussi du développement équitable de toutes les provinces du pays. Cette juste répartition des richesses nationales et de partage du pouvoir entre Hutu et Tutsi dans toutes les institutions publiques devrait constituer la condition sine qua non de l’unité nationale. Maintenant répondons à notre question : Buyoya a pris le pouvoir en septembre 1987, une année après en août 1988, une insurrection armée attribuée à des Hutu est signalée au nord, où des Tutsi sont tués dans les communes de Ntega et Marangara, par vengeance, l’armée burundaise essentiellement Tutsi massacre horriblement les Hutu.

La méfiance entre hutu et tutsi se renforce. Les hutu estimés à 85% de la population burundaise réclament “la redistribution juste et équitable des richesses entre les entités régionales et ethniques, et leur représentativité équitable dans l’administration, l’armée, la police et la gendarmerie. Ce sont des revendications que Buyoya n’a pas voulu entendre. Pour échapper à la réalité, il trouve l’astuce de promouvoir quelques Hutus dans son gouvernement, notamment Adrien Sibomana, Nicolas Mayugi, François Ngeze et d’autres. Ce qui pour le peuple hutu était insignifiant au regard des frustrations qu’ils ont encaissé depuis 1965. D’autre part, un grand nombreux de tutsi radicaux ne voulait pas entendre parler du partage du pouvoir avec les Hutu. C’est donc dans ce contexte tendu que le gouvernement Buyoya initie “la charte de l’unité nationale”. Or les conditions n’étaient pas réunies pour parler de l’unité nationale.

Aussitôt, un comité fut nommé, sous la direction de Libère Bararunyeretse. Après des débats de longues haleines, le secrétariat du Comité avait rédigé environ 1600 pages. Et monsieur Bararunyeretse, à lui seul, prit en mains la rédaction du rapport final, un livre plein de bons sentiments, presqu’un projet de déclaration d’amour entre les composantes ethniques burundaises. Très malhonnete, Libère Bararunyeretse a triché, le contenu de son rapport était différent de celui des 1600 pages contenant une part importante des frustrations des gens qui se sont exprimées et qui ont proposé des solutions concrètes.

La fin justifie les moyens. Le Major Pierre Buyoya voulait enterrer le passé sans crever l’abcès
A la vue du rapport final de Libère Bararunyeretse, Feu Monseigneur Jean-Alfred Ndoricimpa (Paix à son âme) et Membre de ladite Commission chargée d’étudier la question de l’unité nationale, fut surpris et choqué par ce rapport, il apostropha Bararunyeretse avec son franc-parler en lui disant :”Aho twicariye dukora n’imifutu ikaruha aya niyo ma raporo tuza kubesha ngo nivyo twumvikanye ? ” (“Avec tout le temps que nous avons posé nos fesses sur les chaises, c’est cela le rapport mensonger que nous allons mentir avoir conclu ? “)

Quand le jour du vote par référendum arriva, c’était normal que le “non” remporte. Buyoya ne pouvant pas digérer la défaite, il a inversé les chiffres et le “oui à la charte de l’unité nationale” fut proclamé gagnant. Buyoya semblait ignorer que l’unité nationale ne repose pas sur des décrets présidentiels, mais dans la satisfaction totale des revendications du peuple hutu et dans la sensibilisation du peuple tutsi d’avoir le courage de partager. “Ubumwe s’urugoto”, aimait dire l’Honorable Feu Gilles Bimazubute pour dire que l’unité nationale n’est pas un somnifère.

Le monument en la mémoire des Tutsis brûlés vifs à Kibimba. A quand des monuments des victimes Hutus massacrés depuis 30 ans?
Que signifie alors cette charte d’unité nationale au moment où quelques mois après sa promulgation, en octobre 1991, des attaques des hutus armés à Bujumbura, à Cibitoke, à Bubanza et à Bujumbura rural sont signalées suivies de la chasse à l’homme (hutu) par l’armée burundaise ? A quoi a servi cette charte de l’unité nationale pour empêcher le président Ndadaye et ses collaborateurs d’être assassinés? Pourquoi cette charte de l’unité nationale n’a pas empêché de 1993 à 2002 des innocents Tutsi d’être tués par des Hutu et des pauvres innocents Hutu d’être massacrés par des Tutsi ? C’est parce que Buyoya a triché le résultat, cette unité nationale qu’on célèbre chaque 05 février n’était que sur papier.

Comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, actuellement, on constate même que les accords d’Arusha ont été mal engagés d’autant plus que certains vrais protagonistes n’étaient pas là. D’où les inquiétudes et des divergences des uns et des autres sur son interprétation. Ce qui risque d’aggraver la situation.

Y a-t-il donc nécessité que les burundais choisissent de s’assoir ensemble Hutu et Tutsi pour définir des nouvelles bases solides et inclusives pour leur avenir commun dans ce petit pays ? Certains me répondront qu’au Burundi, la question ethnique n’est plus, mais à mon avis, ils se trompent énormément. Garantir l’unité nationale exige d’assurer à chacun un égal accès au service public, aux services de santé, à la justice, à la formation. Le véritable risque serait de laisser dépérir l’espoir et la confiance dans notre destin commun, faute de savoir montrer la cohérence, l’ambition et la finalité de notre action, au bénéfice de chacun et de la nation toute entière.

Biberk Kana