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L’EURO, la monnaie commune de la zone-euro, continue de perdre du terrain en raison de la faiblesse des économies des pays de la zone, mais aussi des contradictions structurelles sous-jacentes à la politique monétaire choisie par ses autorités. La BCE vient de prendre la décision de recourir à la planche à billets pour stopper la déflation. Elle s’en est servie pour racheter les dettes souveraines pour 60 milliards€. Mais ce choix comporte plus d’inconvénients que d’avantages, à moyen terme au moins.

En réalité la BCE a cédé à la pression des autorités politiques de certains grands pays, qui voient leurs économies se détériorer chaque jour sans qu’ils y puissent grand-chose. Les réformes prescrites ont eu des résultats médiocres sinon nuls, là où elles ont été mises en place. La courbe du chômage continue à prendre l’ascenseur ; le crédit devient rare, et la consommation prend du froid.

Tel un ménage qui voit ses revenus subir une chute vertigineuse, l’Europe de l’Euro voit s’installer une déflation (baisse générale et durable des prix dans les secteurs clé de l’économie) préludant à un hiver économique de tous les dangers. La décision d’activer la planche à billets n’est qu’une aspirine donnée à un patient gravement atteint dans ses fonctions vitales.

Si les banques vont disposer de plus de liquidité, rien ne dit que cet argent relancera l’emploi, par contre, la dégringolade de l’Euro, elle, sera artificiellement différée. Il faut enfin remarquer que les milliards d’Euro que la BCE va injecter dans le système vont grossir le poids de la dette publique, pourtant déjà énorme. Car en effet, l’achat par la BCE des dettes souveraines n’est qu’un simple jeu d’écriture ; les pays resteront malgré tout débiteurs de leurs créanciers.

Que ce soit vis-à-vis de la BCE n’y change rien, puisque l’institution commune de Frankfort s’endette au nom de ceux qui lui ont délégué cette prérogative. Autant dire que la décision que Mario Draghi, le patron de la BCE, a prise de soutenir l’Euro relève moins de la science économique que d’une opération politique, au mauvais sens du mot.

Mais avait-il le choix ? Face à une Espagne dans le coma, un Portugal à peine convalescent, une Italie en état critique, une France qui refuse obstinément de dire la vérité au toubib, une Grèce agonisante et qui va demain voter pour un parti qui prône, sinon la sortie de la zone Euro, en tout cas le refus de payer son dû, la crainte d’un effondrement économique et financier autorise les pires écarts doctrinaux.

Reste une question, terrible celle-là, la planche à billets, on veut bien : mais alors, jusqu’à quand ? La réponse est parfaitement connue, même pour qui n’est pas spécialiste de l’histoire économique : c’est la ruine, à court ou moyen termes. L’abus de l’opération appelée aujourd’hui le « quantitative easing » (pour ne pas effrayer le bon peuple), est déjà une erreur grave pour un pays, mais pour un groupe de pays, comme ceux de la zone Euro, c’est proprement un suicide.

Dans tous les cas de figure. Il suffit d’imaginer que dans le cas, très probable, où la croissance escomptée ne serait pas au rendez-vous, la même opération devra être renouvelée, encore et encore, jusqu’à ce que l’on réalise que le médicament prescrit au patient est le poison qui le tue.

La décision annoncée aujourd’hui par Mario Draghi marque la fin d’une époque, celle d’une orthodoxie monétaire dont l’Allemagnes’était faite la championne. C’était comme une religion qui a été au cœur de la renaissance économique de l’Allemagne avant d’être un des moteurs importants de sa prospérité. D’avoir cédé sous la pression de ses partenaires de la zone Euro, Madame Merkelet son équipe ont peut être exprimé leur râle bol de devoir se fâcher constamment avec des partenaires incapables de prendre le risque d’une réforme structurelle en profondeur.

Notre hypothèse à nous est certes audacieuse, mais l’idée que Berlin aurait déjà compris que la survie de l’Euro est une utopie et qu’il faut,dès à présent, en tirer la conclusion qui s’impose, cette idée-là n’est peut-être pas si farfelue que ça. Le prix de l’abandon de l’Euro sera certainement très lourd, mais retrouver le mark et la légendaire discipline budgétaire qui a permis à l’Allemagne de surclasser les économies de ses voisins en moins de 15 ans après la guerre, Allemands en rêvent.

La fin de l’Euro, donc ? C’est trop tôt pour le dire. Mais il nous souvient que la création de cet instrument commun d’échanges avait été l’aboutissement d’une longue bataille entre Paris et Berlin .François Mitterrand qui considérait le mark comme la bombe atomique de l’Allemagne avait consenti à troquer sa mort contre la réunification allemande. Dix ans après la mort du « Sphynx de Jarama », l’Allemagne pourrait retrouver sa « bombe » alors que son unité est aujourd’hui achevée. What else !

Les conséquences pour les économies africaines

Dans une économie mondialisée, il serait naïf de croire que nos économies échapperont aux répercussions négatives qui accompagneront le tsunami économique et financier qui se profile à l’horizon. Certes, en 2008, l’Afrique a été moins touchée qu’on ne pouvait le craindre. Mais 8 ans se sont écoulés depuis, et l’insertion de nos économies dans le système global est plus importante que lors de la crise des subprimes américaines. Certains secteurs clé de nos économies seront obligatoirement affectés. Le tourisme, l’exportation, « l’aide au développement », connaitront une baisse drastique. Certains pays, qui subventionnent nombre de produits de première nécessité ne pourront plus le faire, en suite de quoi la société supportera mal un tel choc.

Une des mesures urgentes pour amortir un tant soit peu le choc serait d’augmenter la production agricole pour parer à d’inévitables famines. L’endettement sur le marché des capitaux des pays pris à la gorge serait une erreur à éviter, au moins sur une courte période. Le renforcement de l’intégration régionale est plus que jamais urgente car, c’est ensemble que certains pays pourraient faire face adéquatement à l’insécurité importée.

Enfin, la mort éventuelle de l’Euro constituerait un précédent difficile à surmonter pour tous ceux et celles qui travaillent durement à la mise en place des ensembles africains plus viables. Il faudra attendre des années avant de voir la mise en place d’entités politico-économiques et financières à même de tenir leur rang dans la féroce compétition en cours entre les grands ensembles régionaux ou continentaux. Ce jour-là, nous aurons, une fois de plus, raté notre embarquement dans le grand train de l’histoire. A Dieu ne plaise !