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La civilisation électorale est un processus extrêmement lent, et la compétition électorale entraîne chez quelques acteurs politiques des comportements dit déviants aux règles même de la démocratie, mais qui permettent d’accéder au pouvoir ou de le conserver par le biais des élections démocratiques. La stabilisation d’un tel régime, avec des élections qui ne sont pas susceptibles d’entraîner une crise du système politique, doit passer par un processus dont seul le temps sera le maître de sa mise en place effective. Faisons une analyse des différentes élections qui se sont déroulées au Burundi et tirons une conclusion.

Elections communales de Décembre 1960
Dès la fin des années 1960, dans le contexte de décolonisation, l’ONU impose le processus démocratique comme mode de transfert de pouvoir et des institutions aux acteurs politiques locaux : ainsi, nous assistons à un foisonnement des idées et des revendications politiques. De nombreux partis politiques sont nés juste avant les élections communales prévues en décembre 1960. On compte 27 partis politiques dont les quatre plus importants étaient : l’UPRONA, le PDC, le PDR et le PP.

Avant les élections communales, en voyant l’effervescence populaire qu’impulse l’UPRONA, de part son affiliation avec la royauté et son assise populaire dans les masses paysannes, l’administration coloniale mit en place un décret qui interdit aux parents et alliés du roi de s’occuper de la politique, de peur que ce parti ne remporte les élections. Avec ce décret, l’UPRONA se voyait privé pour les élections de grands leaders charismatiques tels que le Prince Rwagasore, et des deux gendres du mwami, Ndenzako et Muhirwa, plus d’une centaine de personnes provenant majoritairement de l’UPRONA ont été mis en résidence surveillée ou en prison pour des motifs à caractère politiques. Ces élections communales ont vu une large victoire du Front Commun et l’UPRONA a immédiatement contesté les résultats, taxant des résultats d’une usurpation de la victoire et du pouvoir de la part de ce Front Commun.

Elections législatives de septembre 1961
Dès le milieu de l’année 1961, la Commission des Nations Unies pour le Ruanda‐Urundi (CNURU), a supervisé le déroulement et l’organisation des élections législatives prévues en septembre 1961, qui avaient pour but de choisir les futurs représentants du Burundi indépendant. La compétition politique et la campagne électorale, ayant commencé officiellement trois semaines avant le scrutin, ont été beaucoup plus libres qu’en 1960. De nombreux meetings sont organisés par les partis politiques. Des tracts ont été distribués pendant la campagne. Ce climat de forte compétition électorale a donné lieu à de nombreux débordements et à une montée de la violence politique sans précédent. Les débordements ont été la plupart du temps verbaux, à certains endroits ils ont pu être physiques. Ici le niveau de la violence parait s’accroitre proportionnellement à l’intensité de la compétition et l’importance des enjeux. Par ailleurs, des rumeurs se sont développées, comme la «rumeur du cachet» : De nombreux électeurs ont eu peur de voter car selon eux, la mention «Yatoye» sur leur livret d’identité pouvait constituer une preuve de leur complicité avec l’administration tutélaire et qu’au départ des belges, ils pourraient être chassés de leur village.

A l’issue de ces élections législatives, l’UPRONA rafle 90% des sièges à l’Assemblée nationale. Cette victoire fut la cause directe de la disparition de son leader charismatique, le Prince Rwagasore, seulement quelques semaines après avoir été élu Premier Ministre. Son assassinat a été organisé par certains membres de la famille royale, avec d’autres leaders du parti PDC avec l’appui de l’administration coloniale belge. Avant même l’Indépendance, une lutte s’était engagée pour la succession à la tête du parti UPRONA, conduisant en interne, à la scission de la direction du parti en deux factions rivales : celle de « Casablanca » et celle de « Monrovia ». Au départ, ce clivage qui se développe surtout au sein du Parlement, paraît suivre l’axe des « progressistes » et des « modérés ». Mais rapidement, il va prendre une connotation ethnique très marquée. La tension entre les hutu et les tutsi est aggravée par l’assassinat du Premier Ministre Pierre Ngendandumwe, le 15 janvier 1965.

Elections législatives de 1965
Après la mort de Ngendandumwe, le roi arrête la dissolution de l’Assemblée nationale le 3 mars 1965, afin que la nouvelle Assemblée soit en sa faveur. Ainsi donc, les élections législatives au suffrage universel vont se dérouler dans un climat de tension et d’instabilité politique On peut voir que pendant les élections, l’UPRONA était toujours mixte ethniquement, même si le clivage interne va dans cette direction. Les résultats définitifs proclamés en juin, sont toujours en faveur de l’UPRONA. Cependant, le PP renaît. Sur 33 sièges à l’Assemblée Nationale, 21 reviennent à l’UPRONA, 10 au PP et 2 à des indépendants. En terme ethnique, se sont les hutus qui ont remporté la victoire: ils sont majoritaires pour la première fois.

Après ces élections, le climat politique va se détériorer davantage. Suite à la victoire de la coalition hutue, le roi a rejeté les résultats et a refusé d’investir la nouvelle Assemblée nationale, ainsi que le candidat à la primature Gervais Nyangoma proposé par la majorité parlementaire. A la place, il nomme son cousin, un ganwa, ce qui provoqua de la frustration dans les milieux hutu. Nous assistons dès lors, à l’ethnisation des partis politiques burundais. La peur des uns et des autres se transforme en une animosité qui aboutit tragiquement aux massacres ethniques avant et après le coup d’Etat réussi de 1966 contraignant les rescapés à l’exil.

Elections de 1993
Conformément à la Constitution de 1992, il a été organisé les élections présidentielles le 1er juin et les élections législatives le 29 juin. Lors de ces élections nous pouvons voir que seul l’UPRONA, le FRODEBU et le PRP ont présenté un candidat. Les candidats présidentiables sont Pierre Buyoya pour l’UPRONA, Melchior Ndadaye pour le FRODEBU et Pierre Claver Sendegeya pour le PRP.

Au-delà des programmes politiques, les consciences d’appartenance ethnique se sont cristallisées. La stratégie principale du FRODEBU pour gagner des militants était d’exploiter essentiellement le passé sanglant caractérisée par les massacres systématique et le génocide dont les Hutus ont été victimes. Ce passé éclaboussé l’UPRONA qui détenait le pouvoir et dont étaient issues tous les responsables politiques et administratifs au moment des faits.

La stratégie électorale de l’UPRONA était de prouver au monde que le FRODEBU est un parti divisionniste et tribal qui recrute sur des bases ethniques et que donc il ne diffère en rien au parti PALIPEHUTU, qui est un parti non-reconnu ayant l’objectif de libérer les Hutus. L’UPRONA a elle aussi ethnicisé et militarisé la campagne.

Le candidat du FRODEBU, Melchior NDADAYE gagne le scrutin présidentiel avec 64,75% des suffrages exprimés. Ces résultats font l’effet d’une bombe à l’UPRONA qui avait la certitude que son candidat allait gagner. Lors de la campagne électorale les médias officiels prédisaient la victoire de P.BUYOYA dès le premier tour. Pour l’UPRONA, ces résultats ne sont qu’un un vote ethnique, basée sur une campagne électorale ethnique. Le parti espère par là influencer la Cour Constitutionnelle à ne pas valider les résultats des présidentielles, et les milieux extrémistes tutsi voyaient cette victoire comme un coup d’Etat de par sa nature ethnique. L’on peut en effet déduire que les Hutus ont massivement voté pour le candidat du FRODEBU tout comme les Tutsis l’ont fait pour le candidat de l’UPRONA. En outre, au regard de la composition ethnique burundaise, Buyoya n’aurait jamais atteint les 31% du scrutin si tous les Hutus avaient voté pour son concurrent politique du FRODEBU.

Ainsi les caciques de l’UPRONA se sont décidés à tout bouleverser pour empêcher Ndadaye de mettre en place son programme. Dans la nuit du 20 au 21 octobre 1993, les militaires ont opéré un coup de force qui a coûté la vie au Président de la République du Burundi ainsi que de ses proches collaborateurs. A l’annonce de l’assassinat du président, des massacres ethniques ont explosé un peu partout dans le pays. Ainsi, des milliers des personnes victimes de leur appartenance ethnique ou de leur tendance politique sont massacrées.

Electoral de 2005
Pour éviter un vide constitutionnel le 31 octobre 2004, des élections générales doivent avoir lieu, tel que l’accord d’Arusha le prévoit. Mais suite à des problèmes d’ordre matériel et législatifs, les élections ont été reportées au cours de l’année 2005. Tout d’abord, pour entrer dans la période post‐transition, le Burundi devait se doter d’une nouvelle Constitution validée par un référendum, et également d’un code électoral et communal.

Ces élections se déroulent toujours dans un contexte de guerre civile car le FNLPALIPEHUTU est toujours officiellement en guerre contre le gouvernement burundais. Le contexte est très dangereux étant donné la présence dans certaines communes de la guerre et parce que la population est fortement armée. Lors de ces élections, la donne politique a changé par rapport aux élections de 1993: l’adversaire redoutable du FRODEBU en 2005, n’était plus l’UPRONA mais le CNDD‐FDD. Pour discréditer le CNDDFDD, le FRODEBU mettait en avant les tueries et les exactions commises par l’ancienne rébellion. Quant au CNDD‐FDD il accusait le FRODEBU de s’être enrichi sur le dos de la population tout au long de sa cohabitation avec l’UPRONA.

A la suite de ce processus électoral, la victoire du CNDD‐FDD a été confirmée par la CENI et tous les Observateurs indépendants.

Au Burundi, il y a souvent de mauvais perdants: après une défaite, certains partis politiques ont du mal à accepter et gérer leur défaite électorale. Ils préfèrent appeler au boycott des futures élections où encore ne pas présenter de candidats plutôt que d’être confrontés à une nouvelle défaite électorale. C’est ainsi que le président du parti FRODEBU appela ses militants à une résistance contre le CNDD-FDD et en les incitant à la révolte et en les préparant à s’affronter aux forces de l’ordre comme s’il y avait une guerre en préparation.

Elections de 2010
Tout comme le processus électoral de 2005, le renouvellement de tous les hommes politiques au service de l’Etat s’effectue dans un court espace‐temps, afin de concentrer les moments les plus à risque sur une même période et donc de mieux les contrôler. En effet au Burundi, ce sont les moments électoraux et plus particulièrement les périodes post électorales qui comportent le plus de risque de violence.

En 2010, tous les citoyens électeurs burundais iront voter quatre fois en l’espace de quatre mois. Seules les élections sénatoriales sont organisées selon un mode indirect.

Le processus électoral de 2010 est une phase décisive pour le maintien de la paix et des instances démocratiques au Burundi, car se sont les premières élections depuis la fin de la guerre en 2007 avec le mouvement du FNL‐PALIPEHUTU.

Pour chaque scrutin, cent journalistes des médias membres du Plan d’Action Commun d’Appui aux Médias (PACAM) sont déployés à travers tout le Burundi. Ce qui fait près de six journalistes par provinces. Ils arriveront sur le terrain une journée avant le scrutin, afin de commencer un premier tour des bureaux de votes de la province et y resteront le jour du scrutin, ainsi que les deux jours suivant. Les journalistes sur le terrain devront pendant ces quatre jours, passer si possible dans tous les bureaux de vote. Ensuite par l’intermédiaire des téléphones mobiles, les journalistes devront envoyer les informations concernant le déroulement des élections et lors du dépouillement les premières tendances, à un bureau régional, qui par la suite envoie les informations à un bureau central à Bujumbura qui trie toutes les informations. Le but de cette synergie était d’éviter tout dérapage des médias dans l’annonce des résultats et également de pouvoir informer rapidement la population des avancées du processus électoral. Malgré cette synergie, malgré la présence des observateurs nationaux et internationaux, une dizaine des partis politiques ont contesté les résultats qui donnaient le CNDD FDD vainqueur. La suite tout le monde la cannait, elle vit encore avec et à côté de nous.

Question : pourquoi les élections déclenchent-elles chaque fois les tensions au Burundi?

Ma réponse : Parce que la pauvreté et l’égoïsme politique

La démocratie par les urnes émancipe les citoyens et envoie au chômage des fonctionnaires politiques au Burundi en les privant du coup de l’accès au manger. La raison est que dans ce pays la préoccupation principale est bien souvent de manger à sa faim. Comme le dit le chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly, c’est la «mangecratie. Un pied dans le pouvoir politique pour un membre d’une famille, de la même colline, d’une ethnie peut changer totalement la capacité de cette famille, de ce village, de cette ethnie à survivre. La solidarité ethnique et régionale prime pour résoudre ce problème de pauvreté, d’où les conflits ethniques/régionaux pour le pouvoir. L’accès à la richesse en passant par le politique justifie la multiplicité des partis politiques mais aussi les déclarations insensées de guerre. Je pense que manger à sa faim et pouvoir se soigner relativement correctement évitent généralement les solidarités de l’ethnisme ou du népotisme et tous les fanatismes qui vont avec, ce qui à mon sens réduirait les appétits du pouvoir que l’on observe et ses risques souvent cruels.

Hassan Ngendakumana