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A l’occasion de la commémoration du 21ème anniversaire de l’assassinat de Melchior NDADAYE et de ses plus proches collaborateurs, il est permis de s’interroger sur l’héritage du héros à la lumière de l’état des lieux de la démocratie au Burundi. Je dois confier que cette sortie médiatique m’a été inspirée en partie par les propos ou mieux le culot de mégalomane et donneur de leçons sophistes du président d’une petite association FOCODE, monsieur Pacifique NININAHAZWE.

De l’avis ce faux militant sans ambitions politiques mais qui, en actes et en paroles, fait de la politique politicienne, la démocratie au Burundi n’existe pas aussi longtemps que des généraux d’armée dicteraient la loi au Burundi. Et de plaindre un Etat dont le chef de cabinet civil du Président de la République est un général en lieu et place d’un civil. Naïfs, on décernerait un brevet d’invention pour une telle révélation, tellement la trouvaille est subtile car elle a pour conclusion : le Burundi a échoué à accorder le droit de cité à la sagesse romaine « Cedant arma togae » ! Tout n’est-il que pourriture chez NININAHAZWE ?

Pacifique NININAHAZWE agit par malveillance et s’efforce de regarder les réalités burundaises par des lunettes déformantes. Comme la Fourmis des Fables de La Fontaine, c’est là son plus grand défaut ! Sinon, comment faire semblant d’oublier que la Constitution autorise le Président de la République à nommer aux emplois civils et militaires et que les hommes qu’il nomme ne sont que des moyens pour lui permettre de réaliser son programme ou de tenir les promesses faites à ses électeurs ? Comment faire semblant surtout d’oublier que notre magistrat suprême en costume civil nous vient de cette armée qui, de l’avis de l’opinion majoritaire au Burundi, a sauvé l’honneur de la démocratie, honneur bafoué avec la décapitation des institutions en 1993 ? 21 ans après le putsch sanglant contre Melchior NDADAYE, le Burundi est-il toujours malade de ses élites par trop malveillantes, iniques, outrecuidantes et nostalgiques des régimes marionnettes de l’Occident et de violence ?

Melchior NDADAYE, un homme d’action et de convictions

Je reconnais que Melchior NDADAYE a réussi un exploit quasi herculéen : une révolution pacifique au Burundi et la mise à chaos de la junte militaire qui était au pouvoir depuis l’abolition de la monarchie. Il a démystifié la nébuleuse UPRONA, ouvert les yeux au peuple burundais sur son véritable pouvoir et a démontré à la face du monde que le Burundi pouvait renaître des cendres du Prince Louis RWAGASORE. C’est que, sur les traces d’Alexis de Tocqueville, il était convaincu qu’ : « au-dessus de toutes les institutions (…) réside un pouvoir souverain, celui du peuple, qui les détruit ou les modifie à son gré. »

Melchior NDADAYE n’était pas un aventurier mais plutôt un leader avec une vision claire de la démocratie et du chemin à parcourir pour enraciner la paix sociale et l’égalité des chances pour tous les Burundais. Melchior NDADAYE était conscient du danger que représentaient la junte militaire, les nostalgiques des privilèges de l’époque, le syndrome de Stockholm pour certains citoyens longtemps otages de dirigeants despotiques et le changement brusque du landerneau politique. C’est dans cette logique qu’il avait proposé au président BUYOYA de ne pas se précipiter vers les élections mais de passer plutôt par une transition. BUYOYA et sa clique y ont lu la peur de la défaite. Ils ont cru devoir passer à la vitesse supérieure et ont fini dans un précipice. Malheureusement, ils y ont entraîné toute une nation, par petitesse d’esprit.

Melchior NDADAYE croyait en ses compagnons de lutte et en la capacité de résilience des élites burundaises. Mais il a dû comprendre, trop tard sans doute, qu’il avait affaire à des monstres plus que jamais assoiffés de sang. Mais alors, où se sont-ils évanouis ces monstres qui hier, décimaient les familles burundaises comme des volailles atteintes d’épizooties ? La Commission Vérité et Réconciliation saura peut-être nous le dire un jour et tirer les suppliciés des charniers qui pullulent à travers le pays.

Livrons-nous à un autre questionnement : après le départ des colons, les Africains ont cru avoir chassé l’Occupant pour récupérer sa place et ses méthodes. C’est ainsi que l’Afrique a sombré dans les ténèbres des dictatures et du sous-développement malgré l’abondance des esprits dits cultivés et des ressources naturelles. Il est permis d’établir un parallélisme entre ce départ des colons et la chute de la junte militaire burundaise pour apprécier si les dirigeants de l’ère que nous voulons démocratique, ont pu éviter ces pièges de la facilité. Ont-ils pu éviter les erreurs d’appréciation commises par leurs prédécesseurs ou quelles conditions devaient-ils créer pour rendre l’idéal de Melchior NDADAYE accessible ? Disons que je n’apporte rien de nouveau ici car, dans mon livre « Les trésors des albinos », j’ai eu largement à dénoncer ce genre de pièges et les anachronismes qui aveuglent bien des Africains.

Avec Melchior NDADAYE, ce questionnement aurait probablement été sans objet. Il était l’homme du changement et de la renaissance burundaise : « U Burundi bushasha » !Il suffit d’observer le nombre de proches collaborateurs du héros national qui ont payé de leur vie leur engagement pour un Etat démocratique et pour cet idéal d’un Burundi nouveau.

Melchior NDADAYE nous a quittés prématurément et tragiquement il y a de cela vingt-et-un ans. Les Burundais se heurtent encore aux traquenards des fossoyeurs de la démocratie, aux appétits gloutons des responsables des gagne-pain que sont les cathédrales politiques, aux diatribes et frondes machiavéliques des médias et d’une pléthore d’associations de la société civile. Le patriotisme a foutu le camp et des synergies se mettent en branle pour défendre les actes et dénonciations des activistes aux motivations discutables ou ouvertement politiciennes.

Malgré tout, la démocratie fait son bonhomme de chemin au Burundi

Tous les observateurs de bonne foi reconnaissent que la démocratie a été restaurée au Burundi. Il s’agit d’un constat par rapport à ce qui s’est passé en 1993. En 2005, les Burundais se sont rendus massivement aux bureaux de vote et ont pu changer leurs dirigeants. Le tandem FRODEBU/UPRONA fut laminé. A la place de ceux qui se targuaient du costume de démocrates mais au bilan dramatique, le peuple a accordé sa bénédiction aux combattants qui avaient contraint les Forces Armées Burundaises à faire profil bas. Ce que le CNDD-FDD n’avait pas gagné par les armes, il a eu le plus démocratiquement du monde, par les urnes.

Melchior NDADAYE, premier président démocratiquement élu de l’histoire du Burundi a eu un successeur qui est sur le point d’achever deux mandats. C’est un grand pas pour la démocratie et une maturité politique à saluer même en grandes pompes ou par des actions de grâce. Nous venons de très loin et l’Etat de droit exige bien des réformes et la foi dans l’action. L’organisation périodique des élections est pour le moment une fierté et dans l’avenir ce sera une simple tradition pour le peuple burundais de pouvoir se choisir des dirigeants dans une compétition électorale plus ou moins libre et transparente. La mode des coups d’Etat militaire a vécu. Quoique.

Face à toute petite crise, certains politiciens en mal d’assises populaires, penchent vers la restauration de la tutelle internationale et vers les pouvoirs magiques des négociations pour le partage du pouvoir comme d’un gâteau auquel ils ont été écartés par des urnes ! Inutile de revenir sur les dissensions au sein du CNDD-FDD en 2007 et le blocage des institutions à l’époque. Que dire des départs en exil volontaire ou forcé de certains politiciens aux abois ?

En 2010, le peuple burundais a été appelé aux urnes. Il a reconduit le CNDD-FDD. Ce fut, mutatis mutandis, une victoire sans appel. Les mauvais perdants ont tenté de recourir à la manipulation en criant au voleur. Ils ont été pris à leur propre piège car le boycott était la pire des stratégies face à un adversaire jouissant d’une assise populaire aussi solide. Le plan B des mauvais perdants a conduit à des tentatives de déstabilisation du régime à travers des grenades lancées ici et là pour semer la terreur et tenter d’accréditer l’hypothèse d’une force de nuisance susceptible de rendre le pays ingouvernable.

Mais il faut dire qu’ils se sont trompés d’adversaire car, faut-il le souligner, les civils au pouvoir aujourd’hui et qui ont la sympathie du peuple, sont d’anciens guérilleros. Le langage des armes, ils le maîtrisaient plus que ces fauteurs de troubles sans lendemain. Et comme « chat échaudé craint même l’eau froide », le plan B fut court-circuité pour éviter l’expérience de 1993. On connaît la suite. Malgré tout, on se dit démocrates jusqu’à moelle.

Il y a eu des bains de sang sous forme de représailles contre toute action de ceux qu’on a qualifiés de « bandits armés ». Alors que NDADAYE prônait la lutte pacifique, les événements de 2010 ont confirmé le tempérament de fauves de certaines leaders politiques burundais prêts à lâcher des hordes de jeunes pauvres et sans repères comme des soldats au service de quelque folie de grandeur. Le mouvement insurrectionnel organisé par Alexis SINDUHIJE le 8 mars dernier est une autre preuve que ceux qui se disent démocrates sont loin de vivre cette vertu d’hommes intègres envers la nation et l’histoire.

Aux grands maux, de grands remèdes

Une chose est certaine : les Burundais sont jaloux de leur démocratie. Mais peu d’entre eux comprennent réellement ce que veut dire « démocratie ». En 1993, quand Melchior NDADAYE a gagné haut la main l’élection présidentielle, les mauvais perdants ont rejeté le verdict des urnes et les ramenant à un recensement ethnique. Mais les faits sont têtus.

S’il ne fait aucun doute que Melchior NDADAYE a été élu sur un programme précis et surtout qu’il incarnait le changement que la plupart des Burundais, toutes ethnies confondues, appelait de ses vœux, ceux qui croyaient pouvoir l’éliminer comme un simple citoyen à jeter dans une fosse anonyme ont dû sentir rapidement la terre glisser sous leurs pieds. Melchior NDADAYE se donnait la mission de bannir toutes les tares de la nation burundaise : la culture du mensonge, l’injustice sociale, le favoritisme, le régionalisme, le tribalisme, les emprisonnements arbitraires, les assassinats et autres crimes d’Etat, le mépris du plus petit, l’insolence des dirigeants etc.

Melchior NDADAYE rejetait le clientélisme, le népotisme et les folies de grandeur. Il voulait un pays de tolérance, de paix, de dignité et d’égalité des chances pour tous les filles et fils de la République. Quand on vante le profil et la vision de Melchior NDADAYE à l’intention des politiciens burundais de nos jours, ils se rendent compte qu’ils pèsent trop léger. Ils s’en détournent, par complexe d’infériorité sans doute, et les échos de leur amour-propre finissent en grabuge sur les ondes de quelque radio ou dans quelque déclaration urbi et orbi. L’Internet aidant, ces actes de « ventriotes » érigés en leaders hypothèquent les dividendes de la paix et gagnent au Burundi l’image d’un pays au bord d’une crise sans précédent.

A la veille des élections de 2015 et devant ce podium toujours vide qu’a laissé Melchior NDADAYE, n’est-il pas grand temps de changer de mentalités et de comportements ? Ceux qui savent très bien qu’ils sont coupés des électeurs en ville et sur les collines mais qui multiplient les cris d’orfraie pour alerter contre des tricheries à prévenir, devraient faire acte de contrition. On ne peut pas manipuler indéfiniment l’opinion.

Ceux qui comptent sur la manipulation des jeunes ignorants ou fanatiques pour semer les troubles et la désolation dans les ménages à travers le pays, ils sont invités à comprendre que trop de sang d’innocents et de naïfs a été versé au Burundi. Ceux qui misent sur les appuis financiers et diplomatiques de la communauté internationale pour dénier au peuple burundais le droit de renouveler ou non sa confiance à un régime qu’ils qualifient de populiste, doivent revenir à la raison et cesser d’être des chasseurs de moulins à vent.

Aux politiciens qui se sont trompés de stratégie et ont perdu le contrôle de leurs formations politiques, ils feraient mieux de cesser de se fabriquer des boucs émissaires et de se ménager à temps des sorties plus honorables. En politique, les amitiés et les alliances se font et se défont au gré des intérêts ou des calculs parfois assez sophistiqués. C’est que de par le monde, la politique se fait en bandes. Seul le leadership de ces bandes fait la différence quand il se préoccupe de l’intérêt national. Le général Nasser face à la coalition franco-britannique qui lui contestait le droit de nationaliser le canal de Suez a rétorqué : « Avec vos machines, vous pouvez calculer et estimer votre capacité de nous détruire, mais vous ne pouvez pas calculer la détermination de mon peuple à défendre son territoire! » Et l’histoire lui a donné raison.

Dans son éditorial de Jeune Afrique n°2799 du 31 août au 6 septembre 2014, François Soudan s’interrogeait à propos du rejet de référendum proposé par les chefs d’Etat d’Afrique qui souhaiteraient se maintenir longtemps aux commandes: « Comment oser assumer publiquement ce que beaucoup d’entre eux pensent tout bas, à savoir que ce peuple dont ils se réclament manquerait de maturité politique au point de suivre les consignes du pouvoir comme des moutons de Panurge ? (…) Ce qui fait le charme d’un référendum, c’est que son issue est imprévisible et que sa charge d’incertitude, face à des électeurs souvent tentés par les réflexes de défiance, est lourde.»

Et François Soudan de rappeler qu’il y a un quart de siècle, Charles De Gaulle a décidé de soumettre à l’approbation du corps électoral une nouvelle constitution dont le but était de l’autoriser à briguer un nouveau mandat. A l’époque, François Mitterrand avait dénoncé « un coup d’Etat permanent », une forme de populisme critiquable, mais conforme au droit et aux prérogatives du chef d’Etat de l’avis de l’avis de François Soudan.

Au demeurant, sans chercher à de me prononcer sur la constitutionnalité et l’opportunité de la candidature de Pierre NKURUNZIZA pour un troisième mandat, je reste convaincu que les rédacteurs de la constitution en vigueur ont été moins vigilants et que le flou en droit est comme une écluse ouverte : elle laisse passer ! Tellement de maux burundais qui appellent de grands remèdes. Et ce n’est nullement dans l’outre-tombe qu’il faut chercher des solutions.

Et si NDADAYE avait élevé la démocratie sur un podium pour le moment inaccessible ?

A l’approche des échéances électorales de 2015, les langues se délient. Les plans malveillants ou démagogiques se peaufineraient dans tous les états généraux des partis politiques. Nous pouvons dire que la démocratie est en danger au Burundi chaque fois que le favori des sondages ou des rapports confidentiels des partenaires au développement est accusé de vouloir tricher.

La démocratie est en danger aussi longtemps que le moins favori se dit très optimiste et que les outsiders s’autoproclament arbitres du jeu et des enjeux. Car, lorsque l’heure de la vérité sonne, rien n’est alors surprenant de voir les perdants contester le verdict des urnes !

Melchior NDADAYE était un homme exceptionnel et surtout des concessions. Il suffit de voir la composition de son équipe gouvernementale en confiant le poste de Premier ministre à un militant du parti UPRONA, qui avait perdu les élections. Il suffit d’analyser les équilibres ethniques et régionaux de son gouvernement : on est agréablement surpris de constater qu’il avait anticipé ceux des accords d’Arusha ! Que dire de ses trouvailles quant à la gestion des tensions qui secouaient son propre camp avec des compagnons de lutte qui demeuraient partisans de l’aile dure ?

Qu’en est-il d’autres démocraties en Europe, en Amérique du Nord ? La grande leçon à en tirer est qu’il faut un climat apaisé, des règles de jeu claires et équitables pour tous les protagonistes. Du temps de NDADAYE, BUYOYA a refusé la transition. De nos jours, qu’en est-il du comportement des détenteurs du pouvoir ?

Disons qu’il faut inculquer aux politiciens burundais le sens de l’honneur national et du respect de la parole donnée. Il faut être de bonne foi et ne pas se réfugier dans des échappatoires. Autrement dit, le Burundi réclame des hommes d’Etat. Aussi longtemps que nos politiciens prennent leurs rêves pour des chevaux, la démocratie burundaise fera moins honneur au combat de Melchior NDADAYE. Mais nous ne devons jamais perdre l’espoir.

Bujumbura, le 22 octobre 2014

Daniel KABUTO, écrivain.


NdlR : Daniel KABUTO est actuellement Directeur du département de l’Information et de la Communication au Ministère burundais des Relations extérieures et de la Coopération Internationale