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L’universalité des mythes grecs a survécu au fil du temps pour nous inspirer à traiter de la singularité des sujets complexes de nos jours tel Orphée mis à l’épreuve face à la vérité !

Le Mythe de la Verite – Salim MawadMultiples sont les passages littéraires qui décrivent le mythe d’Orphée et Eurydice et illustrent l’association faite.

Dans le prélude du film « Orphée » de Jean Cocteau, datant de 1950, le narrateur, avec sa voix grave prépare la scène, nous informe et nous instruit :

« On connaît la légende d’Orphée. Dans la mythologie grecque, Orphée était le chantre de Thrace. Il charmait même les bêtes. Ses chants le distrayaient de sa femme, Eurydice. La mort la lui enleva. Il descendit aux Enfers, les charma et obtint de revenir avec elle sous condition de ne jamais la regarder. Mais il la regarda et fut déchiré par les Bacchantes. Où se passe notre histoire ? Et à quelle époque ? C’est le privilège des légendes d’être sans âge… Comme il vous plaira ! »

Chers lecteurs et chères lectrices (genre oblige), un peu d’imagination est requise, la suite n’est qu’une ébauche d’une pièce de théâtre en cours de rédaction …

L’histoire de l’humanité est faite de conflits et de tueries, suivie de quêtes de la vérité. Celle-ci fut, est et restera sans doute une réalité amère et un défi perpétuel, elle s’étend et perdure là ou l‘être humain est de passage.

Aiguillons l’adaptation et la banalisation de la mythologie grecque vers une transposition de nom dans notre monde terrestre, là où le charmeur héroïque Orphée répond au nom de « MJT » (mécanisme de la justice de transition) et Eurydice à celui de « Vérité ». Ainsi, Orphée pourrait prendre plusieurs formes. Celles-ci s’inscrivent parmi les meilleures pratiques telles que les commissions de vérité et réconciliation, de dignité et de pardon et l’amnistie par exemple. Toutefois, par défaut de volonté politique, l’Orphée terrestre se limite à une forme d’amnésie non déclarée pourtant épiée par les Bacchantes qui restent vigilantes pour toute éventualité.
En se rendant dans les entrailles de l’histoire de la violence, Orphée passe par l’enfer du passé, pour ressusciter sa bien-aimée Eurydice « la vérité » dans l’espoir de sauvegarder notre coexistence. Il se rend compte alors que c’est justement le traitement du passé qui frise entre la volonté de la politique nationale et internationale et qui conditionne de ce fait notre coexistence.

Au nom de la population, et souvent par le biais de la société civile citadine, on lutte pour la mise en place de ces mécanismes pour révéler la vérité. Les cadres normatifs pour leurs mises en place, sont eux, fréquemment marchandés entre l’acteur étatique ou non-étatique national et son homologue international. Sans cette vérité dévoilée, les accords de paix resteront approximatifs et les acteurs continueront à prétendre ne pas pouvoir se porter garants d’une paix durable. Au-delà des intérêts de ces joueurs d’échecs qui sollicitent à tout prix une vérité commune afin que les accords de paix deviennent lucratifs, la répétition de l’histoire les guette et les renvoie discrètement vers un enfer chronique!

Soudainement, Orphée s’annonce des nôtres ! Il invite l’humanité et l’encourage à parler, à dévoiler, à dénoncer, à accuser, à demander pardon et à l’accorder. Par contre, notre « MJT » demande justice avec moins de ferveur, réclame des réparations et surtout, avec détermination cette fois, il réclame des mesures de non-répétition.

Orphée ne partage pas la vérité des choses comme il l’a fait avec Eurydice pendant leur court séjour en enfer lorsqu’ils négociaient leur retour conditionnel à la vie.

Le dramaturge Jean Anouilh, nous étourdit dans sa pièce de théâtre « L’Eurydice »:

« Vérité : Alors une supposition, si on a vu beaucoup de choses laides dans sa vie, elles restent toutes en vous ? Toutes les images sales, (…) même ceux qu’on a haïs, même ceux qu’on a fait, (…) tu crois qu’on les garde au fond de soi ?
MJT : Oui…
Vérité : même les mots qu’on a dit sans vouloir et qu’on n’a jamais pu rattraper sont encore sur notre bouche quand on parle… ?
MJT : Oui… ma folle !
Vérité : On est jamais seul alors… jamais sincère, même quand on le veut de toutes ses forces… (…) tous les sales éclats de rire… toutes les mains qui vous ont touchées sont collées à votre peaux et qui m’empêchent de devenir une autre…
MJT : Qu’est- ce que tu racontes ?
Vérité : Moi je crois qu’il vaut mieux ne rien dire… bien que ce soit tout simple… comme pour nous hier…»

Notre Orphée terrestre ne nous a pas dit que tout ce qu’il faillait pour perdre sa belle Eurydice à jamais et la renvoyer à la mort n’était qu’un regard qui captait le reflet de son visage dans un miroir. La conditionnalité fut ainsi brisée et les conséquences ont été immédiates !

L’histoire nous apprend que la vérité se conjugue au pluriel et dès qu’elle serait amorcée, elle ne pardonnerait pas. Ainsi, elle pourrait se transformer en Bacchante séduisante pourtant prête à briser nos coexistences qui miroitent ainsi que son propre reflet dans son existence. En cas de manifestation de Bacchante, sachez que celle-ci ne se traduira pas nécessairement par une répétition de l’histoire violente mais que pire pourrait arriver : l’instauration d’une paix négative !

C’est ainsi, chers lecteurs et chères lectrices, que le rideau tombe. Et si vous en êtes toujours à vous demander où se déroule nôtre histoire sur ce monde terrestre et de quelle vérité il s’agit ; tel qu’il a été suggéré par Jean Cocteau, ce sera à vous de choisir… ‘Comme il vous plaira’ !